Intervention de George Pau-Langevin

Séance en hémicycle du mardi 9 octobre 2018 à 15h00
Lutte contre la manipulation de l'information — Motion de rejet préalable (proposition de loi organique)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorge Pau-Langevin :

Ce qui est nouveau, et vous l'avez signalé, ce sont les changements engendrés par l'émergence d'internet et des réseaux sociaux dans le monde de l'information. Les créateurs d'information se multiplient et les nouvelles technologies permettent à tout contenu de circuler dans le monde entier en quelques secondes. De ce fait, la barrière entre l'expéditeur et le destinataire de l'information est floue, ce qui permet à n'importe qui de créer et de diffuser n'importe quel type de contenu : un contenu véridique, nuancé et de qualité, mais aussi un contenu faux, trompeur et discriminatoire.

Les fausses nouvelles ou les canulars peuvent avoir un impact particulier dans des contextes sensibles, par exemple des situations de conflit économique, politique, humanitaire ou armé, qui peuvent exacerber la diffusion de contenus discriminatoires contre des groupes minoritaires. En 2017, un rapport du Conseil de l'Europe intitulé « Le chaos informationnel : vers un cadre interdisciplinaire pour la recherche et l'élaboration de politiques » a mis en garde sur le fait que les fausses nouvelles ne sont que l'un des aspects d'un phénomène plus large : le chaos, ou le désordre de l'information. Les auteurs de ce rapport proposent de distinguer les concepts suivants : les fausses informations délibérément créées pour blesser une personne, un groupe social, une organisation ou un pays ; les informations qui, bien que fausses, n'ont pas été créées dans l'intention de causer un préjudice ; les informations véridiques, enfin, qui sont utilisées intentionnellement pour nuire à une personne, à un groupe social ou à une organisation.

Il semble donc important, avant toute chose, de préciser ce dont on parle et ce contre quoi cette proposition de loi entend lutter. Dans un premier temps, vous nous avez proposé une définition extrêmement large de la fausse information : « toute allégation ou imputation d'un fait dépourvue d'éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ». Au cours des débats, cette définition a évolué et vous nous avez ensuite proposé la rédaction suivante : « toute allégation ou imputation d'un fait inexacte ou trompeuse », ce qui me semble tout à fait tautologique. Et j'ai cru comprendre que le texte ne comportait plus aucune définition…

Or, à partir du moment où l'on va à l'encontre de la liberté d'expression, qui est garantie par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il faut encadrer précisément ce que l'on incrimine. C'est la raison pour laquelle la loi de 1881 sur la presse définit très précisément la diffamation, l'injure et la provocation à la haine, mais encadre aussi très précisément toute la procédure de poursuite. De la même manière, la loi contre le racisme de 1972, qui est adossée à la loi sur la presse, contient des définitions extrêmement précises des délits.

Si nous pensons qu'il faut effectivement faire évoluer ces textes, afin de prendre en compte les réseaux sociaux et internet, nous pensons aussi qu'il ne faut pas abaisser notre niveau d'exigence, s'agissant de la procédure : il convient donc de définir précisément les infractions visées. Or la proposition de loi qui nous est présentée ne définit pas l'objet de la poursuite, dont la définition a pratiquement disparu du texte définitif. Une fausse information peut être satirique et ne nuire à personne : rien ne justifie, dans ce cas, qu'elle fasse l'objet de poursuites.

Le défaut majeur de cette proposition de loi, outre son imprécision, c'est qu'elle ne s'articule pas aux autres textes existants en matière de délit de presse. À mon sens, elle ne témoigne pas de la même rigueur que les autres textes relatifs à la liberté d'expression et les délits de presse.

Vous prévoyez d'élargir les pouvoirs du CSA : il pourra désormais décider de rejeter la diffusion de services radiophoniques ou télévisés risquant d'attenter à la dignité de la personne humaine, à la protection de l'enfance ou aux intérêts fondamentaux de la nation. Cela peut tout à fait se justifier, à condition que cette autorité publique reçoive les moyens de remplir ses nouvelles attributions. Le texte dispose que le CSA pourra suspendre ou interrompre la diffusion de services de télévision contrôlés par un État étranger ou sous l'influence de cet État. Comment déterminera-t-on que tel service est sous l'influence d'un État étranger ? Aujourd'hui, nous manquons d'éléments précis pour évaluer les tentatives qui peuvent être faites par un État étranger pour influencer le processus démocratique en France. Du reste, je vois mal ce qui pousserait un État étranger à perturber nos élections européennes. Pour dire du mal de l'Europe, les Européens sont déjà assez actifs et je pense qu'ils n'ont pas besoin du concours d'un État étranger.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.