Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du mardi 9 octobre 2018 à 15h00
Lutte contre la manipulation de l'information — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière :

Cinq minutes, c'est peu mais beaucoup d'arguments ont déjà été échangés. C'est un sujet d'importance : il va de soi que nous sommes d'accord pour dire que le citoyen doit pouvoir se forger une opinion librement, afin de pouvoir délibérer et voter en conscience, en fonction de ce qu'il croit bon pour l'intérêt général. Nous devons garantir une information pluraliste et veiller, en cas de fausse information, à ce que celle-ci soit sanctionnée. Mais le dispositif législatif existe depuis longtemps ! Ce n'est pas un argument mineur. Un collègue tout à l'heure, dans sa réponse à Jean-Luc Mélenchon, évoquait Jean Jaurès. Nous n'en sommes plus là mais, du temps de Jaurès, il y avait beaucoup de propagande et de fausses informations, à tel point que c'est une personne victime de cette propagande, pensant que Jaurès voulait vendre la France à l'Allemagne, qui a assassiné celui-ci ! C'est vous dire l'efficacité de la propagande de masse, alors qu'il n'existait pas autant de moyens pour la combattre.

Le débat que nous devons avoir, qui est totalement absent de ce texte de loi, c'est celui de la qualité de l'information. En 2018, nous faisons face à un phénomène nouveau, que j'ai déjà évoqué : la concentration de l'information entre les mains de quelques-uns, de quelques grands groupes de presse. Le modèle est celui d'une précarité renforcée du métier de journaliste ; le modèle économique est celui de la recherche du clic et de ce qui fait le clic. Voilà ce qui motive nombre d'articles. Ainsi, certains grands hebdomadaires que vous trouvez en kiosque ont été vendus, livrés à des groupes privés ; les rédactions de ces hebdomadaires n'ont plus la maîtrise de leur site internet, des algorithmes faisant remonter les articles en fonction des clics, à la recherche de publicité.

Nous devons nous interroger sur ce modèle économique qui vise à faire monter certaines informations et baisser d'autres. C'est le coeur de la discussion : pour quelle raison telle ou telle information circule-t-elle ou bien est-elle mise de côté ? Pour quelle raison tel ou tel fait est-il présenté de manière systématiquement polémique ? Pour faire fonctionner la pompe à clics ! Pour quelle raison chaque débat politique est-il ramené à sa pure conflictualité ? Nous devons nous poser ces questions, parce qu'il y a indiscutablement une détérioration de la qualité de l'information : cela a des conséquences.

Nous assistons à un phénomène d'« infoxication » – contraction d'« information » et d'« intoxication » – , le citoyen étant « infoxiqué ». Parce qu'il existe des informations de mauvaise qualité, nous devons savoir, comme le disait tout à l'heure notre collègue Faucillon, comment l'aide publique à la presse est distribuée aujourd'hui. Alors que des journaux pluralistes peuvent exister, cette aide se concentre parfois sur des titres qui relèvent essentiellement de la presse people ; de même, elle peut être distribuée à des groupes déjà fort riches : voilà un sujet de fond, qui met en jeu la capacité du citoyen à se forger une opinion libre. Il n'est pas nécessaire d'inventer qu'une information pourrait modifier la sincérité d'un scrutin, comme nous l'avons entendu lors de la campagne présidentielle ! J'ai été, comme vous, l'un des acteurs de cette campagne, et pourtant je n'ai jamais entendu parler d'une information en capacité, même contre l'actuel président de la République, de modifier la sincérité du scrutin !

Je m'interroge d'ailleurs sur ce que vous appelez la sincérité du scrutin : de quoi s'agit-il ? À un moment donné, le citoyen doit voter : la sincérité du scrutin consiste à lui garantir qu'il peut se forger une opinion en ayant connaissance d'opinions contradictoires et que la presse peut faire son travail. J'affirme ici que le modèle de plus en plus précaire régnant dans de nombreuses rédactions fait que peu de journalistes ont le temps d'investiguer, à l'image d'un film américain fabuleux qui nous racontait les déboires de journalistes – je ne reviens pas sur ce film, que vous connaissez tous. Mais des journalistes qui, pendant un an et demi, sont en capacité de faire une enquête, cela n'existe pas !

Je vais à l'essentiel parce que j'ai déjà perdu du temps. Vous ne posez pas la question des sondages, pourtant particulièrement importante. Les organes de presse, sur la base de sondages, font leur « une » sur tel candidat en capacité d'obtenir tel résultat, d'être ou de ne pas être au second tour : voilà qui modifie la sincérité du scrutin ! Le citoyen, pris dans des stratégies électorales qui ne correspondent pas à ses convictions, risque de se déterminer en fonction de ce qu'on lui dit qu'il vaut mieux penser : et sur ce sujet, vous ne proposez rien !

Madame Moutchou, vous avez qualifié de fake news l'affirmation de M. Mélenchon que le texte de loi que vous présentez ne ménageait pas de possibilité d'appel. C'est pourtant le cas puisque vous allez introduire cette possibilité par voie d'amendement.

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