Messieurs, vos exposés étaient très instructifs et je désirerais que vous nous en adressiez le texte par courriel afin que nous puissions en prendre connaissance de façon plus précise qu'en nous fiant aux notes que nous avons prises en vous écoutant. Merci par avance de nous faire parvenir votre contribution.
Je commencerai par une remarque et des questions d'ordre général. Comme vous le savez, il arrive encore aujourd'hui qu'on incrimine un certain paternalisme médical qui était plus banal autrefois mais qui perdure malgré la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi « Kouchner ». Cette loi requiert que les informations concernant leur santé soient fournies aux malades et que leur consentement aux actes médicaux soit libre et éclairé. Or, il s'avère que, dans différentes branches d'activité, le point de vue et la décision du médecin l'emportent parfois sur ce que le malade aurait souhaité.
En indiquant que les malades rencontrent parfois des difficultés à faire respecter leurs droits, je n'exprime pas une opinion personnelle mais je rapporte les propos qui nous été tenus. Il semble que renforcer la représentation des usagers de santé dans les différentes instances permettrait de faire progresser les droits des patients. On pourrait également envisager d'améliorer leur formation afin de les faire bénéficier du même niveau de connaissance que leurs interlocuteurs et leur faire acquérir ainsi plus de pouvoir. Quels moyens permettraient selon vous, de faire que les décisions concernant les patients soient des codécisions des soignants et des premiers concernés que sont les malades ?
Vous avez également abordé la question de la gratuité des dons, que vous souhaitez maintenir et pour laquelle vous prônez un cadrage international. Je pense qu'il s'agit là d'un voeu pieux. Au niveau international, la gratuité des dons est ultra-minoritaire : le don gratuit du sang, par exemple, n'existe guère qu'en France et au Brésil. Et s'il a maintenu le principe de la gratuité pour le don du sang, notre pays ne la pratique pas pour le plasma, les immunoglobulines et les autres produits dérivés du sang de donneurs. Or, c'est bien parce que la France ne collecte pas suffisamment de sang que les malades français sont traités avec ces produits dérivés du sang de donneurs rémunérés ! Par conséquent, ne craignez-vous pas qu'une gratuité internationale ait pour effet d'augmenter une pénurie qui, en France, n'est compensée que grâce aux achats faits à l'étranger ?
Je souhaiterais vous entendre sur ce sujet et connaître les solutions que vous proposez. Personnellement, je n'en ai pas. Nous sommes tous d'accord pour dire que la gratuité est éminemment souhaitable, mais comment faire pour la conserver dans ces conditions de pénurie ? Les producteurs des dérivés du sang indiquent d'ailleurs que la gratuité coûte en fait nettement plus cher qu'une rétribution modérée des donneurs, car solliciter les dons gratuits représente une dépense importante de moyens mais aussi d'énergies. Et n'est-il pas un peu présomptueux ou inconsidéré de notre part de penser que nous avons la capacité de faire adopter aux autres pays le principe français de la gratuité ?
Concernant les dons d'organes, une mission flash portant principalement sur les donneurs décédés a été conduite récemment. Elle a conclu que les acteurs ne souhaitaient pas une nouvelle évolution de la législation, qui a été renforcée pour mieux garantir le respect du principe du consentement présumé et celui du droit de la personne donneuse. Car, comme vous le savez, des dérives ont eu lieu par le passé, lorsque le prélèvement d'organes ne dépendait pas de l'avis que le donneur potentiel avait exprimé de son vivant, mais de l'avis de tel ou tel de ses proches. Il suffisait qu'un petit-cousin manifeste une réticence pour que le prélèvement n'ait pas lieu ! Le taux de prélèvement avait alors chuté d'environ 50 %. Les chiffres de l'Agence de la biomédecine sont de l'ordre de 35 % car ils prennent en compte les prélèvements non réalisés du fait de l'impossibilité médicale d'une utilisation des organes. Mais si on prend seulement en compte les donneurs dont les organes pouvaient être greffés, les prélèvements ne concernaient qu'une moitié des donneurs potentiels – une moitié seulement, il faut connaître cette proportion – car, pour l'autre moitié, un membre éloigné de la famille avait fait part de ses états d'âme. Dans certains cas, les prélèvements d'organes n'étaient pas faits alors même que la personne était membre d'une association de donneurs. Des professionnels de santé ont même dit s'être opposés à des prélèvements pour lesquels la personne et sa famille étaient d'accord, parce qu'ils avaient appris que le donneur en question s'était comporté de façon un peu égoïste durant sa vie !
Cette situation méritait d'être corrigée et elle l'a été, les nouvelles dispositions étant appliquées depuis un an. Il faut veiller à ce qu'elles soient mises en oeuvre partout mais, d'après les trois quarts des auditions que nous avons faites, elles sont d'ores et déjà appliquées sur une grande partie du territoire, conduisant à une augmentation du nombre de prélèvements. Ainsi que vous l'avez indiqué, un problèmes d'inégalité d'accès subsiste, notamment pour les transplantations rénales. Vous avez rapporté la position de l'association Renaloo qui demande que les centres préleveurs ne puissent plus garder un rein sur deux pour un centre de transplantation proche. Mais cette demande à laquelle on ne peut être a priori que favorable aboutirait dans les faits à une diminution encore plus importante du nombre de prélèvements, et donc à une pénurie aggravée de greffons. Pour en comprendre la raison, nous devons nous rappeler qu'avant l'instauration de la règle actuelle, tous les organes prélevés étaient disponibles pour le centre proche, d'où un déséquilibre entre les régions. Afin de corriger ce déséquilibre, il a été décidé qu'un organe sur deux serait mis à disposition à l'échelle régionale, et un organe sur deux à l'échelle nationale. Cette règle a permis d'améliorer l'équilibre entre les différents centres tout en maintenant une motivation pour les centres de proximité qui conservent une moitié des organes prélevés.
On constate en effet que, sans motivation, les taux de prélèvement diminuent : une enquête a montré qu'une activité de transplantation très faible induisait un nombre de prélèvements faible lui aussi. Je crois donc que les inégalités de greffes d'organes sont essentiellement dues aux inégalités de prélèvements, et non à la règle de conservation d'un organe sur deux. Ces inégalités proviennent de ce que certains professionnels recourent à des arguments que n'a formulés aucune des personnes concernées chaque fois qu'ils considèrent que le contexte n'est pas assez favorable à un prélèvement. Il faut par conséquent faire porter l'effort sur l'application des règles selon lesquelles les prélèvements ont lieu lorsque nulle opposition n'a été d'une façon ou d'une autre exprimée, la manière dont peut s'exprimer cette opposition étant précisée par les décrets d'application et les guides de bonnes pratiques. S'ils ne suivent pas ces règles, les centres doivent être rappelés à l'ordre. Nous pourrons bien sûr en reparler, mais je considère que la meilleure façon de lutter contre l'inégalité que subissent les malades attendant une greffe est de combattre les inégalités de prélèvements.
Je suis entièrement d'accord avec ce que vous avez dit des dons solidaires. Concernant plus particulièrement le développement de chaînes d'échange d'organes, vous savez que subsistent des réticences qu'il faut effectivement vaincre. Mais si les dons croisés se font uniquement par paire, c'est, semble-t-il, uniquement par crainte que certains donneurs se dédisent, et qu'une fois que le donneur de la famille A a donné pour la famille B, la promesse de la famille B de donner à la famille A ne soit pas tenue. C'est pourquoi les deux prélèvements sont réalisés de façon simultanée. Or, la simultanéité est très difficile dans le cas d'une chaîne car il n'est pas possible d'effectuer une douzaine de prélèvements le même jour à la même heure dans des conditions parfaitement standardisées. Il nous faut donc trouver d'autres moyens que la simultanéité pour faire respecter les engagements pris. Car les chaînes d'échange d'organes permettraient d'augmenter le nombre de donneurs vivants et d'améliorer ainsi non seulement l'accès aux organes mais les résultats des greffes, qui sont supérieurs avec donneurs vivants qu'avec donneurs décédés.
Je ne veux pas aller trop avant sur cette question des greffes mais il me semble en tout cas que les solutions que vous avez évoquées sont propres à améliorer le sort de malades qui sont plus de 20 000 sur liste d'attente pour seulement 6 000 greffes par an. L'enjeu est aussi d'accroître la sérénité, pour le moment assez bonne, qui règne dans les équipes receveuses et les équipes donneuses de notre pays.