Monsieur le rapporteur, je tiens à dire d'emblée que mon propos, quelle que soit sa franchise, ne vise pas à dénoncer, mais bien plutôt à tenter d'expliquer le système. Les médecins ont une très forte légitimité, à tel point qu'on peut parler de « normativité médicale » - et c'est pourquoi médecins et juristes peuvent ne pas très bien se comprendre. Je considère que c'est très important, très intéressant, et j'y reviendrai sans doute.
La première question était relative à la recherche sur l'embryon. L'état de notre législation sur ce sujet s'explique très clairement. J'ai écrit à ce propos, et je peux vous communiquer mon texte. À cette fin, j'ai repris tous les travaux parlementaires : j'attache en effet beaucoup d'importance à ce genre de lecture, qui permet de se rendre compte de ce qu'il en est.
La raison pour laquelle le Sénat a isolé toutes les règles ayant trait à la reproduction humaine, à commencer par l'embryon, est qu'on ne doit pas assimiler un embryon humain à un élément du corps humain, parce qu'il est destiné à devenir un enfant. La particularité de l'embryon est d'exister in vitro et non pas in vivo, et son extériorité a focalisé un certain nombre de fantasmes et de critiques.
Derrière cela, il y a toutes les conceptions que l'on connaît, qui sont discutées depuis le texte de la loi de 1975 sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG) : puisque l'embryon est un être en devenir, il ne devrait pas y avoir de distinction entre cet être en devenir et l'être humain. Mais je vous rappelle que du point de vue juridique, il n'y a d'être humain et de personne humaine qu'à partir du moment où cette personne est née : voilà le problème.
Il y a ensuite des représentations diverses et variées : en détruisant l'embryon, ce qui est effectivement le cas dans un certain nombre de recherches, on détruit l'enfant potentiel. Cela étant, nous sommes dans une démocratie et en l'occurrence, il n'y a pas d'obligations, mais des possibilités offertes aux couples. Et certains d'entre eux acceptent l'utilisation de leurs embryons par la recherche.
Je pense que l'intérêt de la dernière loi est d'avoir enfin autorisé la recherche sur l'embryon. En effet, la raison du choix politique des sénateurs d'abord, de la droite ensuite – car il y a eu des changements de majorité parlementaire au moment de ces lois de bioéthique – était claire : faire en sorte que la recherche apparaisse comme illégitime. Et l'enjeu, pour les chercheurs – que j'ai vu défiler, et dont je connais un certain nombre – était très important : dire d'emblée que la recherche est autorisée, c'est la légitimer.
Maintenant, quelles en sont les modalités ? Je suis incapable, parce que je n'ai pas établi de comparaison, de parler de la différence existant entre les modalités anglaises, qui sont effectivement très compréhensives, et les modalités françaises. Mais au moins a-t-on affaire à une autorisation.
Vous avez par ailleurs avancé l'idée que les recherches sur l'embryon pouvaient permettre d'améliorer les conditions de l'assistance médicale à la procréation. Puis-je vous suggérer de faire quelques modifications dans les derniers énoncés qui ont été votés, et qui sont d'une absurdité totale ?
Il se trouve qu'initialement existaient des dispositions relatives aux recherches et d'autres relatives aux études sur les embryons – la différence est que dans les recherches, on intervient sur l'embryon, et que dans les études, on ne touche à rien et on se contente d'observer. À l'occasion du vote de la loi de 2013, les dispositions relatives aux études ont disparu. Puis, à l'occasion du vote de la loi du 26 janvier 2016 sur la modernisation de notre système de santé, un député a proposé un amendement modifiant les dispositions relatives à la recherche sur l'embryon.
Je rappelle qu'en France, on distingue bien l'embryon de la personne humaine. Ce n'est pas le choix du législateur de bioéthique, ce sont des règles juridiques acquises depuis le code civil. C'est-à-dire qu'il n'y a de personne, juridique et humaine, qu'à partir du moment où un individu est né. Il n'existe qu'une exception, dans le cadre de la transmission des biens à cause de mort : si la femme est enceinte, on va postuler que cet enfant a une existence juridique et pourra donc revendiquer une partie de l'héritage à condition qu'il naisse vivant et viable. C'est la seule exception. Donc, on distingue bien la personne humaine qui est vivante, qui est née, de l'embryon humain.
Mais en 2016, dans l'article L. 2151-15 du code de la santé publique, on a ajouté un V ainsi rédigé : « Sans préjudice du titre IV du présent livre Ier, des recherches biomédicales menées dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation peuvent être réalisées sur des gamètes destinés à constituer un embryon, ou sur l'embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation… »
Je précise qu'à l'époque, quand le texte a été voté, s'appliquaient les règles relatives aux recherches biomédicales. La loi relative aux recherches impliquant la personne humaine, dite loi « Jardé », avait bien été votée en 2012, mais, pour des raisons liées à l'adoption du règlement européen sur les essais cliniques de médicaments, on était en stand-by. Aujourd'hui, s'applique un nouveau corps de règles, relatif aux « recherches impliquant la personne humaine ».
Comment peut-on imaginer sérieusement que, dans un énoncé d'ensemble de règles relatives à la recherche sur l'embryon, on puisse affirmer que des recherches impliquant la personne humaine, c'est-à-dire qui est née, pourront être réalisées sur des gamètes ? Cela ne va pas du tout ! Donc, les malheureux chercheurs, à commencer par M. Pierre Jouannet, que je connais bien et qui m'a demandé de l'aider parce qu'il n'y comprenait plus rien, s'arrachent les cheveux.
Il y a donc aujourd'hui : d'un côté la recherche sur l'embryon, qui relève de l'Agence de la biomédecine, et de l'autre ce « machin », que je ne sais pas nommer juridiquement, une espèce d'oxymore, intégré aux recherches impliquant la personne humaine, qui relève donc de l'Agence de sécurité du médicament et des produits de santé.
Il faut que vous fassiez quelque chose ! Ce n'est pas possible ! J'ai appelé Mme Laure Coulombel en lui demandant de m'expliquer, mais elle m'a répondu qu'elle ne comprenait pas non plus ! Malgré tout, nous comprenons bien l'une et l'autre que, lorsque l'embryon est transféré, il deviendra éventuellement un enfant. On sera alors en présence d'une femme enceinte. Or les dispositions juridiques qui s'appliquent à une femme enceinte font partie des règles impliquant la personne humaine.
Je suis prête à vous aider, si vous le souhaitez. Il faut absolument sortir de cette situation : c'est absolument n'importe quoi ! On mélange les règles impliquant les personnes humaines qui, comme vous et moi, sont vivantes, et celles qui s'appliquent à l'embryon.
Vous avez ensuite parlé d'un système de protection et d'autorisation. Je pense que l'on pourrait avoir des conceptions beaucoup plus souples. Pour avoir été membre du conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, j'ai pu constater que les projets de recherche présentés devant l'Agence sont généralement impeccables, passés en revue par je ne sais combien de personnes. S'il faut lever des doutes, c'est à la fois sur la qualité du projet de recherche et sur la façon de procéder. Mais, évidemment, je ne peux vous faire part que de ma modeste expérience personnelle sur les sujets qui nous étaient présentés.
Vous envisagez de ne pas attendre cinq ans pour procéder à une réévaluation des questions de bioéthique. Je crois que c'est une bonne idée, d'autant qu'il vous suffit, en tant que législateur, de modifier le texte instituant ce rythme de cinq ans. J'ajoute que la périodicité actuelle donne lieu à un rituel, à une sorte de grand-messe, où tout le monde raconte la même chose, ce qui manque d'intérêt. En outre, un tel exercice est très coûteux, à une époque où le budget de l'État est contraint.
J'en viens aux modalités de filiation. Il n'est pas pensable que le statut juridique d'un enfant varie avec son mode procréation !
Rappelons au passage que la reproduction humaine ne peut pas être assimilée à la filiation. Les ethnologues et les anthropologues, qui ont fait des travaux remarquables sur ces questions, n'ont jamais confondu les deux. Et n'oublions pas que la France a dû s'incliner il y a quelques années devant les conclusions d'un arrêt extrêmement important de la Cour européenne des droits de l'homme, qui concernait la distinction alors faite entre les droits de l'enfant légitime, de l'enfant naturel et de l'enfant adultérin. En l'occurrence, à l'occasion d'un héritage, une jeune femme, enfant adultérine de la personne décédée, avait estimé qu'elle faisait l'objet d'une discrimination. La France a donc dû modifier sa législation : on ne différencie plus l'enfant légitime de l'enfant adultérin et de l'enfant naturel.
Je ne vois pas comment on pourrait, dans ce contexte, imaginer que les enfants issus de PMA, dont vous avez parlé, aient une filiation spécifique. Non seulement c'est impensable, mais compte tenu du fait que la France a adhéré à la Convention européenne des droits de l'homme, c'est juridiquement impossible.
Je terminerai sur les dons ou prélèvements d'organes.
En la matière, tous les textes, qui sont d'ailleurs très bien rédigés, légitiment des pratiques médicales, donc des gestes. Ce sont les médecins, plus précisément des chirurgiens, des spécialistes qui, compte tenu de leurs compétences tout à fait spécifiques, sont en mesure de prélever des organes. Dans une logique de droit pénal, en cas d'atteinte à l'intégrité physique de la personne, c'est évidemment celui ou celle qui fait le geste qui pourrait être en difficulté. Voilà pourquoi l'énoncé est construit à partir de celui ou de celle qui fait ce geste. Cet énoncé a très peu changé depuis la première loi de 1976, qui décrit le prélèvement d'organes et en fixe les conditions juridiques. Ainsi, « le prélèvement d'organes sur une personne décédée est possible dès lors que de son vivant, la personne n'a pas exprimé de refus. »
Ce geste est donc bien un prélèvement. Et pour plusieurs raisons, cela ne peut pas être un don. D'abord, on ne peut pas faire parler les morts. Ensuite, contrairement à la présentation habituelle, ce n'est pas un consentement présumé, ne serait-ce que parce qu'en droit français, le consentement ne se présume pas. Le consentement suppose l'expression de la volonté. Et si la personne n'a rien dit, on ne sait rien de ce qu'elle voulait.
De quoi s'agit-il alors ? D'un droit d'opposition. Celui-ci est fondé sur l'expression de la volonté. Mais c'est aussi un système facilitateur pour celui qui doit faire la démonstration que la personne ne s'est pas opposée au prélèvement. Rares sont les personnes qui vont exprimer une opposition. On est donc autorisé à dire que lorsque la personne ne s'est pas opposée de son vivant, le prélèvement est licite.
Je vais vous livrer une anecdote. À l'époque, l'Établissement français des greffes, qui finançait un certain nombre de travaux de recherche, avait lancé un projet sur le thème du consentement présumé. J'avais donc présenté un projet, où je me proposais d'analyser les présomptions dans le système juridique français, et de vérifier si les conclusions tirées pouvaient s'appliquer au cas qui nous intéressait. J'ai donc repris tout le système juridique des présomptions qui figurent dans le code civil, et démontré qu'en l'occurrence, il ne s'agissait pas d'une présomption, mais d'un droit d'opposition. J'ai ajouté qu'il serait judicieux de faire une communication réaliste auprès de la population française. En substance, on dirait : « Mesdames et messieurs, vous êtes titulaires du droit de vous opposer. Sachez que si vous ne vous opposez pas, un prélèvement sera possible. » Évidemment, ce genre de démarche n'est pas très « vendeur ». Mon étude est allée directement à la corbeille, sans avoir été publiée, alors que mon analyse était très complète et que je ne critiquais pas le système. Je disais simplement que l'on ne pouvait pas faire face avec réalisme à une situation, si l'on s'appuyait sur des arguments dépourvus de pertinence.
Les Suisses, avec lesquels j'ai travaillé un temps, distribuaient des documents qui étaient ainsi rédigés : « En cas de décès, j'autorise qui de droit à prélever sur mon corps tous les organes pouvant être transplantés. » C'est cela, la réalité. Certes, il s'agit là d'un consentement exprès. Mais on autorise un prélèvement, sans dire que l'on donne…
Les personnes se trouvent « engluées » dans un discours de générosité, alors que ce n'est pas un problème de générosité. Discutez avec certaines personnes, notamment celles de votre entourage : en fait, elles n'osent pas dire qu'elles trouvent horrifique qu'on aille prendre des organes, éventuellement les leurs, et que la famille y soit confrontée. C'est là-dessus qu'il faut travailler, pas sur la générosité. Sinon, encore une fois, on est à côté de la plaque !