Intervention de Dominique Thouvenin

Réunion du mardi 18 septembre 2018 à 16h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Dominique Thouvenin, professeure émérite de droit privé et de sciences criminelles :

La première question qui m'a été posée porte sur le respect du corps humain. Je ne crois pas qu'il y ait de difficultés, à cet égard. Encore une fois, il y a toute une série de principes, qui sont à prendre au sérieux. Mais même si c'est paradoxal, qui dit principe dit exception.

J'ai relu un certain nombre de décisions du Conseil constitutionnel, et j'y ai vu une certaine continuité : le Conseil exprime l'idée que l'État français est attaché à telle et telle valeur, mais qu'en même temps on peut admettre des exceptions, à condition de ménager la liberté des uns et des autres. C'est le cas pour l'interruption volontaire de grossesse : en aucun cas, une femme ne sera tenue d'avorter, et le médecin pourra faire valoir la clause de conscience.

Cette articulation revient de manière constante. S'agissant des prélèvements d'organes sur les personnes décédées et les personnes vivantes, les transactions d'intérêts se font de la façon suivante : lorsque la personne est décédée, on ne reconnaît qu'un droit d'opposition, ce que l'on ne fera pas si la personne est vivante. Et on ne pourra pas l'y obliger. Après, qu'elle soit l'objet, par exemple, de pressions intrafamiliales, c'est possible. Mais dans la construction juridique, on ménage toujours la liberté de la personne.

S'agissant de la recherche sur l'embryon, c'est la même chose. Aucun couple n'est tenu, lorsqu'il a utilisé certains de ses embryons pour avoir des enfants et qu'il n'en veut plus d'autres, de donner les embryons surnuméraires. Nous sommes dans une société libérale, où les positions sont diversifiées, et il n'est pas question d'obliger les uns ou les autres.

Je reviens à la question de Mme Janvier : oui, il y a bien un principe de respect du corps humain, mais on admet des exceptions, au nom des intérêts des autres.

C'est ainsi qu'on a pu critiquer un énoncé juridique figurant dans le code civil, et qui avait été repéré par M. Jean-François Mattei. Il s'agissait de l'article 16-3 du code civil, ainsi rédigé : « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne. » J'avais alors remarqué, un peu ironiquement, qu'effectivement les médecins étaient là pour soigner les personnes. En 2004, on a donc précisé : « ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui ». C'est extrêmement clair.

J'en viens au principe de l'indisponibilité du corps. Le corps humain ne fait pas partie du patrimoine d'un individu – constitué d'un actif et d'un passif. C'est pour cette raison que j'ai toujours dit qu'on ne pouvait pas en faire le don. Car une transmission peut se faire à titre onéreux, mais aussi à titre gratuit.

Maintenant, je ne crois pas du tout que nous ayons à craindre des actes qui s'assimileraient à des achats d'organes. Vous l'avez bien compris, ces prélèvements sont de véritables interventions chirurgicales. Lorsque quelqu'un vient de décéder, que les conditions médicales sont remplies et que l'on peut procéder à des prélèvements de reins, du coeur, etc. plusieurs équipes sont mobilisées. Très sincèrement, si j'avais un problème rénal et que je connaissais quelqu'un de plus jeune, même si je lui faisais la proposition aberrante de lui acheter un rein, je ne vois pas qui pourrait réaliser le prélèvement. Mais bien sûr, je parle de la France. Clairement, dans d'autres pays, la situation est différente.

Madame Vidal, je ne vois vraiment pas ce qui empêcherait le législateur de modifier les règles de la recherche sur les cellules souches embryonnaires et d'en élargir le champ. En effet, pour pouvoir utiliser des embryons, il faut l'accord du couple qui est à l'origine de ces embryons. On ne l'obligera pas à donner son accord. De la même façon, on n'obligera pas ceux qui considèrent qu'il ne doit pas y avoir de césure entre l'embryon, le foetus et l'être humain, à changer d'opinion.

Mais vous posez les termes d'un problème central auquel nous avons été constamment confrontés quand j'étais membre du CCNE. Deux positions s'affrontent. La première consiste à dire que depuis l'éternité, l'humanité a toujours fait d'une certaine manière, et que si l'on modifie la moindre parcelle de telle ou telle pratique sociale, la civilisation s'écroulera. Et bien évidemment, pour éviter que la civilisation ne s'écroule, on tente d'imposer son point de vue à tous les autres. La seconde position, plus compréhensive dans une société démocratique comme la nôtre, consiste à dire que l'on peut admettre des positions diversifiées, et que l'on n'obligera jamais quelqu'un à modifier son opinion ou son positionnement ; il n'est pas pensable de contraindre qui que ce soit au nom d'une représentation de la société qui serait immuable.

Cela me permet, M. Chiche, de vous répondre : que s'est-il passé lorsque le CCNE a réfléchi à l'extension de l'AMP ? Au départ, le CCNE avait été saisi de la question de l'autoconservation des ovocytes. Il s'est dit ensuite qu'il serait peut-être judicieux d'élargir le champ de sa réflexion.

Mais il y a eu deux temps : le temps où le Comité comptait en son sein des philosophes qui défendaient l'idée que, depuis le début de l'humanité, on avait toujours fait ainsi, et qu'il ne fallait rien modifier. Puis il y eut un changement avec l'arrivée de M. Jean-Claude Ameisen, qui a fait prévaloir une autre conception que je trouve bien meilleure.

Pendant longtemps, j'ai été assez critique vis-à-vis du Comité, qui prétendait faire de l'éthique tout en s'appuyant sur le droit pour expliquer que tout était interdit. D'une certaine façon, il transformait le droit en interdit, ce qui est tout de même assez bizarre. C'était une façon de conforter la position morale. Jean-Claude Ameisen a impulsé une autre idée : nous rendons compte de la diversité des positions dans la société, nous les exposons ; éventuellement, nous ne prenons pas partie ; éventuellement, nous disons que nous sommes favorables à certaines évolutions parce que, dans une société démocratique, il peut y avoir des positions diversifiées et que, dès lors qu'on ne va pas les imposer à l'ensemble de la population, c'est acceptable.

Ma réponse vous a-t-elle satisfait ?

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