Vous avez rappelé la nécessité de la diversité des opinions et de leur confrontation. Tout dépend de ce qu'on entend par confrontation et par opinion. La confrontation est un mode de fonctionnement politique et ritualisé dans les assemblées parlementaires, dans les salles de commission, et c'est probablement aux philosophes du XVIIIe siècle et à la Révolution française que nous le devons. En ce sens, la confrontation est la quintessence de la politique dès lors qu'elle ne tourne pas au pugilat – comme on peut le voir dans certaines chambres à l'étranger où l'on se rend compte que quelque chose de fondamental n'a pas été acquis. Quant aux opinions, on en revient à ce que j'évoquais à propos du sentiment, du feeling : si l'opinion y est assimilée, alors elle ne suffit pas. L'opinion doit être fondée sur des faits, des raisonnements scientifiques cohérents et non pas simplement sur telle ou telle croyance. La rationalité doit, j'y insiste, fonder l'opinion.
En ce qui concerne la périodicité de la révision de la loi relative à la bioéthique, il me paraît évident que les moyens modernes de partage du flux de l'information dont disposent ceux qui sont chargés de prendre des décisions politiques permettraient probablement d'inscrire la révision de la loi dans une continuité plutôt qu'à intervalles qui seront toujours bancals quels qu'ils soient. Une telle continuité dans la révision tendrait toutefois à uniformiser la nouveauté : on traiterait les problèmes les uns après les autres et on n'aurait probablement pas toujours la bonne distance pour établir les liens entre eux. Aussi faudrait-il peut-être rapprocher, alléger, simplifier les procédures de révision. La mise en oeuvre d'un processus de révision permanent risque en effet de poser un certain nombre de problèmes peut-être plus dangereux encore, ou plus lourds, que ceux que poserait une révision à intervalles trop larges.
Pour ce qui est de ma réticence personnelle à la GPA, elle est absolue, comme c'est le cas, je suppose, pour tout le monde ici, dès lors qu'il s'agit de la GPA commerciale. Il n'en reste pas moins que nous avons beau, tous, affirmer cette réticence, le phénomène existe, certes plus difficilement en France que dans d'autres pays, pour des raisons de contrôle et de gestion des établissements médicaux. Je ne pense pas qu'on puisse simplement se débarrasser du problème d'un revers de main en faisant valoir son désaccord avec cette pratique.
C'est en ce qui concerne plus précisément les mères porteuses « éthiques », à savoir celles qui entendent aider volontairement et avec plaisir, que se pose l'une des trois questions que j'ai mentionnées dans ma présentation : quid de la dignité humaine ? Lorsqu'on utilise un autre corps que le sien non pas pour continuer à vivre, mais pour satisfaire un désir aussi puissant soit-il, y a-t-il, ou non, respect absolu de la dignité humaine ? Une fois de plus, je n'ai pas de réponse et si la décision informée que vous prendrez, vous élus de la République, devait être une réponse positive à cette question, je m'y plierai sans considérer qu'il s'agirait d'une catastrophe et sans considérer que nous serions en pleine décadence. Je dis seulement qu'il faut se poser cette question et l'aborder de front même si elle ne nous fait pas plaisir.
Je trouve en outre qu'il y a un léger biais dans la comparaison entre la GPA et les amputations. La GPA n'est pas une amputation – vous êtes médecin, monsieur le rapporteur, je ne le suis pas et dès lors vous me direz si je me trompe. L'amputation à laquelle vous avez fait allusion consiste à offrir une partie de son corps sans que cela vous empêche de continuer à vivre comme avant : il ne s'agit pas de vous amputer d'un bras. Une telle amputation permet à une autre personne de continuer à vivre sans que cette opération ne limite ou ne détruise une partie de votre vie ou de votre autonomie. La GPA relève-t-elle de la même logique ? Je n'en suis pas persuadé.
Encore une fois, je n'ai pas de réponse et je ne suis en aucun cas opposé au principe de la GPA. J'affirme seulement que dans le cadre de la GPA, la question fondamentale est celle de la dignité humaine et de la liberté des autres. Aussi, ce que je vous demande, humblement, c'est de vous poser ces questions – mais je suppose que c'est ce que vous faites.
Pour ce qui est des droits des enfants, les critères que je propose s'appliquent : la GPA a un effet sur d'autres êtres vivants et il est évident que nous ne pouvons pas limiter, par rapport au reste de la population, les droits de ces êtres vivants. C'est à mes yeux une évidence.
La GPA est légale dans certains pays étrangers et, lors de leur retour en France, les parents y ayant recouru ne peuvent plus exercer leur rôle parental. Ici aussi, nous posons la question du rapport du désir et de la loi. Personne mieux que des psychanalystes, et j'espère que vous en avez entendu, ne pourra répondre à ces questions. À quel moment l'illimitation des droits de l'homme vient-elle, d'une certaine manière, s'entrechoquer avec la notion même de droits de l'homme ? Pour une pensée collective comme la pensée républicaine qui, en ce sens, est différente de la pensée démocratique – je citais Locke et Condorcet tout à l'heure – la question collective reste fondamentale par rapport à la question de la liberté individuelle, qui est l'alpha et l'oméga de la pensée anglo-saxonne dans ce domaine.
Enfin, je ne puis qu'être d'accord avec votre dernière remarque. Le transhumanisme serait une question très secondaire si nous atteignions nos objectifs d'accroissement de la pensée humaniste parmi nos concitoyens mais, là encore, il s'agit d'un idéal…