En réduisant les feelings à des sentiments ne devant pas être pris en considération, vous nous invitez à nous en remettre à des définitions juridiques. Mais comment, par exemple, définir juridiquement la dignité humaine ? Car j'imagine qu'autour de cette table, chacun en a une perception différente.
De fait, la seule rationalité pourrait en quelque sorte déconsidérer les personnes vulnérables, à l'état embryonnaire ou en fin de vie. Sous couvert de bonnes intentions, de foi en la perfectibilité humaine – la laïcité émancipatrice –, ne risque-t-on pas d'aboutir à des mesures susceptibles d'asservir l'humain ou de le réduire à l'état d'objet ?
La richesse de la langue française, qui égale presque celle de la langue anglaise, permet de mieux appréhender les mystères de la vie humaine : ainsi le terme feelings peut aussi signifier « avis » et non pas « sentiments ». Or l'un des avis pourrait conduire à considérer le rôle de l'État comme étant de protéger les personnes les plus vulnérables, y compris d'elles-mêmes.
L'égalité absolue, que vous avez évoquée, pourrait elle aussi conduire à des situations d'inégalité, comme celle des enfants sans père. Le triomphe du moi, dont vous soulignez la menace, pourrait, par égalitarisme absolu, exiger l'utilisation de techniques susceptibles de créer des situations dénuées de sens. Si nous soumettons la prise en compte de l'opinion au seul critère de la rationalité, peut-être bâtirons-nous une société au sein de laquelle la fin justifie les moyens. Demain, la valeur d'une vie pourra-t-elle résister à la seule rationalité des moyens ?