Intervention de Jean-Pierre Sakoun

Réunion du mardi 18 septembre 2018 à 17h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité et République (CLR) :

À Mme Thill, je concède volontiers qu'il est effectivement question d'opinions religieuses et, bien entendu, de discussions théologiques : je me suis mal exprimé.

S'agissant de l'extension des droits à l'infini, des droits sans devoirs et de la liberté sans fin qui constituerait à terme une régression, soit je me suis très mal exprimé, soit nous nous sommes mal compris : je suis en fait entièrement d'accord avec vous. J'avance simplement que l'optimisme humaniste qui est le mien me pousse d'abord à considérer la liberté avant que de considérer l'interdiction et la contrainte.

C'est pourquoi je vous propose de vous poser à chaque fois ces questions afin de déterminer si cette liberté est possible et, le cas échéant, avec quelles contraintes et quels garde-fous. C'est une évidence pour tout démocrate, mais elle a toujours plus de mal à être transmise du fait de l'explosion du moi chez les individus, qui est favorisée par l'ensemble de l'organisation de notre société.

La question se pose lorsque, en contradiction avec la loi de leur propre pays des parents décident de pratiquer une GPA à l'étranger et reviennent en demandant que la règle nationale soit appliquée à leurs enfants. Pour la deuxième partie de la question, nous ne souhaiterions pas faire autrement, mais pour la première partie nous sommes placés devant cette contradiction entre le désir et la loi, c'est-à-dire entre l'intérêt collectif et l'intérêt particulier. La question est ainsi de savoir si tout désir à vocation être assouvi.

C'est vous, législateurs, qui vous trouvez avec ce « truc » très collant entre les mains, car on ne peut pas partir du principe que, parce que c'est possible, ce doit être fait.

Il est vrai que la question est très délicate. Nous n'avons pas de réponse, en tout cas pas de réponse générale. Un rapport de forces politique s'instaure entre des forces politiques, et des citoyens qui se font entendre pour déterminer quels sont les domaines dans lesquels nous pouvons avancer, et quels sont ceux dans lesquels il nous paraît – ou il vous paraît – dangereux de le faire.

S'agissant de la levée de l'anonymat pour le don de gamètes, je n'ai pas de réponse, sinon, encore une fois, que mes questions s'appliquent, et qu'en nous les posant nous devrions trouver une voie, même si elle est malaisée.

Cela me conduit à évoquer l'un des grands changements de notre décennie, voire de ces dernières années. Malgré la violence des combats politiques et des oppositions qui ont traversé ce pays depuis qu'il est une démocratie – et c'est une vieille démocratie comparée à la plupart des pays qui nous entourent –, notre vie commune était fondée sur des consensus non-dits et non-écrits, et ce au sein d'une société, la société ancienne, qui était une société d'ordres – ce qui ne signifie pas société dictatoriale, mais organisation plus verticale, et la République se rapproche plus d'une société de ce type que la démocratie anglo-saxonne.

Dans une société d'ordres comme celle-là, il est clair que ce consensus implicite permettait de ne pas poser certaines questions. Non pas parce qu'elles étaient mises sous le tapis, mais simplement parce qu'elles trouvaient leur solution dans l'intimité des groupes, qu'il s'agisse de la famille ou de groupe d'amis, et quelle que soit la décision concernée : administrer une potion permettant à quelqu'un de ne plus souffrir et de mourir, dire ou non à un enfant qu'il a été adopté, qui sont ses géniteurs lorsqu'on les connaît, etc.

L'éclatement de ce consensus, qui est un fait culturel, un fait de civilisation, nous place devant des questions que nous avons plus de mal que d'autres pays à résoudre, parce qu'elles entrent en confrontation complète avec notre mode de pensée, avec notre modèle civilisationnel et culturel. Les Anglo-Saxons et les habitants du nord de l'Europe sont beaucoup plus à l'aise avec ces sujets ; je ne prétends pas que ce soit mieux ni moins bien, je le constate.

L'exercice est très malaisé, je le reconnais, et, au sein du Comité, nous tâtonnons sans cesse sur ces problèmes. Nous avons des points de vue différents sur la GPA, la PMA – bien que cette question soit à peu près réglée pour nous –, la levée de l'anonymat des dons de gamètes, etc. Nous rencontrons des difficultés parce que nous n'avons pas encore trouvé la voie dialectique qui nous permettrait de marier ces nouveautés et évolutions avec notre cadre culturel, que nous n'avons par ailleurs pas envie de perdre.

Il faut parvenir à vivre dans cette contradiction, et tenter d'être suffisamment intelligents collectivement pour trouver par moments une voie dialectique de sortie satisfaisante. J'espère que les questions que je vous propose de vous poser sans cesse pourront vous y aider.

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