Je vous remercie pour cette très riche présentation que vous pourriez peut-être compléter par un document écrit sur les nombreux sujets que vous avez évoqués. On comprend en vous écoutant que le Conseil national de l'Ordre des médecins accompagne très positivement les évolutions de notre société, entend les questions nouvelles, ne s'en tient pas à des positions écrites dans le marbre et réfléchit en permanence à leur évolution souhaitable.
Vous avez dit tout récemment en d'autres lieux que « le rôle des médecins est d'apaiser les souffrances, qu'elles soient physiques ou psychologiques : or le désir d'enfant est une souffrance et le médecin est là pour l'entendre ». Vous avez souligné que l'Ordre des médecins n'est pas une instance moralisatrice et réfuté l'argument des opposants à l'extension de l'AMP selon lesquels cela équivaudrait à instaurer un « droit à l'enfant », alors qu'il s'agit pour vous du droit d'accéder à une technique médicale spécialisée. Que pensez-vous de ceux qui, y compris parmi les médecins, disent que l'AMP devrait être réservée à la suppléance de la stérilité médicalement prouvée – alors même qu'en pratique, de 30 % à 40 % des AMP ont lieu sans qu'il y ait stérilité médicale mais simplement en raison d'une difficulté à concevoir – tant et si bien que certains couples ayant bénéficié d'une AMP auront quelques années plus tard des enfants dans des conditions naturelles ? C'est déjà à une demande sociétale que répond l'AMP pour les couples hétérosexuels, et la question qui se pose à nous est celle de l'extension de cette demande au bénéfice des femmes seules ou des femmes en couples homosexuels. Comment les médecins considérant que l'AMP doit être réservée à la suppléance d'une pathologie conjuguent-ils cette approche avec les dispositions de l'article 7 du code de déontologie médicale qui interdit la discrimination ?
Comme vous, je partage le constat que le terme « accès aux origines » est beaucoup plus approprié que « levée d'anonymat ». Le secret institué de prime abord ne visait d'ailleurs pas à protéger l'enfant mais les pères, dont la société de l'époque voulait dissimuler l'éventuelle infertilité, en raison d'une confusion qui ne s'est peut-être pas entièrement estompée, entre fécondité et virilité. Cette approche tient d'autant moins aujourd'hui que parmi les enfants nés dans ces conditions, cinq sont déjà parvenus à savoir qui est leur procréateur grâce à des techniques mêlant génétique et généalogie. Il est donc illusoire de penser que l'on peut maintenir le secret. De multiples raisons plaident pour que ces enfants soient informés des conditions de leur procréation dès l'enfance et informés plus complètement au cours de leur adolescence ou à dix-huit ans. Cela ne suppose pas forcément une rencontre, tant s'en faut ; d'ailleurs, beaucoup d'enfants nés d'une AMP avec tiers donneur ne demandent pas à rencontrer le donneur de gamètes. Quelles informations fournir à l'enfant, à l'adolescent et au jeune adulte ?
Hier, Mme Dominique Thouvenin nous a dit récuser, sur le plan juridique, le terme « don d'organes », lui préférant celui de « prélèvement » – dont acte. Vous avez dit au sujet des transplantations tout ce qu'il importait de dire : vous regrettez qu'il n'y ait pas en France un registre des acceptations de prélèvements d'organe. Mais en Belgique, où l'on a institué un double registre – acceptations et refus de prélèvements –, et en dépit des efforts constants des pouvoirs publics, le nombre des inscrits sur les deux registres est demeuré très faible. On voit la difficulté qu'il y a pour nos contemporains à se prononcer sur l'avenir de leurs organes. Or, 6 000 transplantations sont réalisées chaque année en France, mais 23 000 malades sont inscrits sur la liste d'attente, dont un grand nombre mourront faute d'avoir reçu la greffe qui les aurait sauvés. L'Agence de la biomédecine comme la mission flash conduite en nos murs il y a quelques mois ont montré des disparités régionales considérables, sans explication connue. Cette disparité d'accès aux greffons est si marquée que, dans certaines villes, des malades ont très peu de chance d'être traités. Cette situation provoque des remous et une association s'occupant des malades a demandé la création d'un pool national pour uniformiser les chances d'accès aux organes prélevés. Cette proposition mésestime une difficulté : une ville ou une région qui s'implique dans la promotion du prélèvement d'organes le fait d'autant plus qu'elle sait que les malades dont elle s'occupe pourront être traités. Le risque, si l'on en vient à constituer un pool national, est de freiner l'encouragement aux dons. Comment résorber ces disparités pour améliorer l'accès à la greffe ?
J'en viens maintenant à la médecine prédictive. En France, les tests génétiques sont d'accès très réservé puisqu'ils supposent une prescription médicale, mais les Français peuvent les demander dans des pays proches ; ceux qui le font obtiennent des informations, d'ailleurs très imprécises, sur leur prédisposition éventuelles à des maladies. Quelle est la position de l'Ordre des médecins à ce sujet ? Faut-il encourager ou dissuader une certaine extension des connaissances génétiques et de la médecine prédictive qui en résulte ? L'avantage de l'extension est de permettre que les individus ayant une propension à une certaine pathologie puissent recevoir des conseils hygiéno-diététiques ou des traitements qui retarderont l'émergence de la maladie ou la préviendront : ainsi, une personne qui a une forte propension au diabète mangera moins de sucre, fera plus d'exercice physique et se soumettra à des dépistages plus fréquents, si bien que la maladie sera diagnostiquée plus tôt et dans de meilleures conditions. Les adversaires de la médecine prédictive disent que ces prédictions suscitent chez les gens une angoisse d'autant plus dommageable que, pour les trois quarts d'entre elles, elles sont pour l'instant très imprécises et très peu probables, si bien que l'on délivre aux malades potentiels des conseils qui n'ont pas lieu d'être.
Enfin, la progression des droits du malade se fait au détriment du « pouvoir médical ». Cette progression doit-elle aller, au-delà du consentement éclairé institué par la loi de 2002, jusqu'à une codécision ?