Intervention de Jean-Marie Faroudja

Réunion du mercredi 19 septembre 2018 à 16h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jean-Marie Faroudja, président de la section Ethique et déontologie du Conseil national de l'Ordre des médecins :

Je m'y efforcerai, mais les questions posées sont nombreuses. Vous avez mentionné, monsieur le rapporteur, l'opposition de certains confrères à la prise de position de l'ordre au sujet de l'AMP ; je puis vous dire que j'ai déjà reçu, depuis hier soir, quelques courriers assez désagréables. Certains étant favorables et d'autres défavorables à l'extension de l'accès à l'AMP, nous ne satisferons jamais tous les médecins, non plus que l'ensemble de la société. Oui, dire que les médecins ont pour rôle de soigner des maladies et non de répondre à des sollicitations sociétales est un argument. Et c'est parce que nous considérons la demande comme sociétale que nous estimons que la réponse doit être sociétale. Mais si la société veut cette évolution, il revient évidemment au médecin d'y répondre – qui d'autre pourrait le faire sur le plan technique ? –, à condition que son autonomie de décision soit préservée.

La médecine doit-elle être au service des désirs de la société ? C'est une question importante, mais le médecin n'est-il pas là pour écouter son patient et tenter de répondre au mieux à sa demande ? Le bien-être, tel que le définit l'Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis longtemps, c'est le bien-être physique et psychique. On peut penser qu'une femme seule en mal d'enfant souffre, et si vraiment sa motivation est profonde, pourquoi n'aurait-elle pas recours à la médecine ? Au nom de quel principe le conseiller ordinal que je suis estimerait-il que cette dame n'en aurait pas le droit ? L'Ordre s'attribuerait ainsi des prérogatives qui ne sont pas les siennes. Que le législateur dise ce qu'il veut et nous adapterons nos réponses. Mais il est certain que le consensus ne se fera jamais à ce sujet, comme sur bien d'autres en matière de bioéthique, en particulier au sujet de la fin de vie.

Plutôt que de parler de levée de l'anonymat, mieux vaut, j'en suis convaincu, parler d'« accès à certains éléments concernant ses origines ». J'ai reçu des personnes nées après un don de gamètes avec tiers donneur, qui l'ont su très tard. J'ai le souvenir précis de deux d'entre elles. L'une, enchantée de l'avoir appris, m'a dit s'être doutée de la vérité sa vie entière – alors même que, pour aider les parents à préserver le secret, on essaie non seulement de vérifier l'origine géographique du donneur mais aussi d'apparier les groupes sanguins ; l'autre en voulait terriblement à ses parents de leur mensonge au long cours. Mais peut-on blâmer les parents qui, ne l'ayant pas dit d'emblée, ne savent plus comment le dire, attendent une circonstance qui ne vient pas et redoutent que la révélation ait des effets désastreux sur l'enfant ? J'ajoute que l'accès à certains éléments génétiques peut servir à suivre une pathologie : si, dix ans après avoir fait un don, le donneur se découvre une chorée de Huntington, maladie héréditaire, cela pose un problème.

Il y a, c'est exact, des disparités régionales dans le nombre de prélèvements d'organes. Plus largement, vous vous souvenez certainement, Monsieur le rapporteur, que lorsque nous nous étions rencontrés au ministère de la santé, les Espagnols avaient apporté des statistiques montrant un taux extraordinaire d'acceptation de prélèvements dans un pays latin, taux qui fait honte aux Français. Á mon sens, tout passe par l'éducation et l'instruction. Les jeunes gens à qui l'on parle de don d'organes n'y sont pas opposés : ils y sont même beaucoup plus favorables que les gens d'un âge plus avancé. L'Ordre des médecins a, comme d'autres, un rôle à remplir pour favoriser l'acceptation du prélèvement. Peut-être faudrait-il créer, outre le registre des refus, un registre de l'acceptation du prélèvement. J'ai le vif souvenir de la première greffe cardiaque faite à Bordeaux ; j'étais dans l'équipe qui a dû aller chercher un coeur qui battait encore dans un autre établissement hospitalier et obtenir, pour le prélever, l'accord d'une famille sous le choc de l'accident dont venait d'être victime leur parent parti le matin en pleine santé – c'est violent. Je pense comme vous qu'un pool national entraînerait un désengagement régional. Tout passe, à mon avis, par la promotion acharnée du don et je vous promets que l'Ordre fera tout ce qu'il peut à cette fin, par le biais de son Bulletin national.

Pour ce qui est de la médecine prédictive, est-il opportun de dire à quelqu'un qu'il risque de développer une chorée de Huntington alors que nous ne savons pas la traiter ? Le fil conducteur doit être la possibilité de traitement. S'il s'agit de découvrir une affection curable, on ne peut pas être contre ; mais si l'on déroule une liste de quinze anomalies génétiques découvertes alors que l'on cherchait une, est-il utile de pourrir la vie du patient si ces informations ne débouchent pas sur une possibilité de prise en charge de la pathologie ? Je suis favorable au dépistage à condition qu'il soit ciblé. S'il agit d'affections curables pour lesquelles on peut prendre des dispositions précoces, si l'on peut éviter à quelqu'un d'être diabétique insulino-dépendant à quarante ans, très bien. Mais s'il s'agit de pathologies neuro-dégénératives, a fortiori celles qui nous laissent malheureusement bras ballants, il faut être extrêmement prudent.

La codécision fait désormais partie du contrat entre le médecin et son patient. C'en est fini du paternalisme, amplement critiqué – même si, au cours des longues années pendant lesquelles j'ai exercé comme médecin de campagne, lorsque je disais à un patient : « Il y a deux solutions, laquelle préférez-vous ? », il me répondait : « Docteur, si je suis venu vous voir, c'est pour que vous me disiez ce qu'il faut faire ». C'est ainsi que s'est façonnée une attitude paternaliste. La loi a établi le principe de la démocratie sanitaire et, maintenant, on prend une décision après avoir donné toutes les cartes au patient. Mais il appartient toujours au médecin d'être le confident du malade, et il est aussi chargé d'expliciter les informations qu'il met à disposition pour obtenir un consentement. L'information médicale reste capitale et la codécision doit être la règle ; on n'opérera évidemment pas quelqu'un qui n'est pas d'accord.

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