Intervention de Philippe Mahoux

Réunion du jeudi 20 septembre 2018 à 9h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Philippe Mahoux, sénateur belge honoraire :

Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invité. Je voudrais rappeler trois éléments qui me paraissent importants sur le plan de nos structures politiques.

Premièrement, notre système électoral est un système à la proportionnelle, ce qui n'est pas sans conséquences sur le nombre de groupes politiques comme sur la distribution des responsabilités gouvernementales et parlementaires. Vous savez qu'en plus de ses divisions idéologiques, notre pays se distingue par ses divisions géographiques, liées à notre problématique communautaire et linguistique.

Deuxièmement, je voudrais signaler que l'ensemble du corpus bioéthique, au sens large du terme, englobant le volet sociétal, a été traité en Belgique par la voie parlementaire. En d'autres termes, ce n'est pas le résultat d'un projet gouvernemental, mais bien d'un travail d'initiative parlementaire, et même d'un travail conduit de manière presque exclusive par le Sénat, au moment où il avait encore la compétence d'initiative parlementaire, puisque les textes qu'il avait transmis ont été adoptés ne varietur par la Chambre des représentants. C'est un élément extrêmement important.

Troisièmement, je veux souligner que votre travail est un peu similaire au nôtre, mutatis mutandis, puisqu'il a été à la fois précédé de larges consultations et accompagné d'une diffusion extemporanée, si vous me permettez cet adjectif un peu chirurgical.

Petit élément historique : l'interruption volontaire de grossesse, qui a été votée en Belgique bien après son adoption en France, est passée grâce à une « majorité alternative », c'est-à-dire à une majorité qui ne composait pas la majorité gouvernementale. Cela a entraîné une certaine émotion du côté des courants politiques qui y étaient opposés. C'est pourquoi, pendant un certain temps, le gouvernement a prévu, dans sa déclaration gouvernementale, que les initiatives relatives aux problèmes éthiques devaient figurer dans l'accord gouvernemental.

Puis les choses ont changé lorsqu'un gouvernement s'appuyant sur une autre coalition est né au début des années 2000. Dans l'accord gouvernemental sur lequel il reposait, on a considéré que les initiatives en termes de bioéthique devaient être laissées aux parlementaires. Ce qui a effectivement été le cas, tous les textes concernés ayant été déposés et discutés au parlement à l'initiative de parlementaires.

Je vais résumer le travail qui a été fait, ou du moins les champs abordés en ce qui concerne la problématique éthique – car tel est l'objet, me semble-t-il, de votre révision quinquennale des lois éthiques.

Le premier champ est celui de la fin de vie. Nous avons voté en même temps une loi sur l'euthanasie et une loi sur le développement des soins palliatifs. Ce travail s'est terminé, il y a maintenant quatre ans, avec une loi qui concerne les mineurs qui peuvent désormais, comme les majeurs, bénéficier d'une « fin de vie correcte et digne », ou en tout cas d'une euthanasie, ainsi que – c'est très important – de soins palliatifs.

Le deuxième champ, qui dépasse les autres, a trait aux embryons. J'ai moi-même, avec d'autres collègues, entrepris de déposer une proposition de loi permettant l'expérimentation sur embryon. La convention d'Oviedo en était le background : notre pays n'a jamais signé cette convention du Conseil de l'Europe, dans la mesure où il souhaitait pouvoir émettre des réserves à son contenu. Pour exprimer des réserves, encore fallait-il qu'une loi nationale le permette ; mais la question de l'expérimentation sur un embryon posait problème.

Une loi belge a été votée, qui est fondée sur l'idée qu'il faut faire confiance aux équipes de chercheurs tout en respectant le principe de la transparence. Toute recherche par les centres reconnus comme organisme de recherche doit donc être non seulement déclarée au niveau des comités d'éthique locaux, mais aussi signalée à un comité national, dès lors que l'expérimentation porte sur des embryons. Il s'agit d'une loi extrêmement importante pour la recherche, du fait des conséquences qu'elle peut avoir dans le champ de la fertilité ou de l'infertilité, de la stérilité, ou encore du cancer. On voit actuellement le développement des cellules-souches embryonnaires et de leur utilisation. Cela me semble justifier les autorisations données par la loi en Belgique.

Le troisième champ est celui de la procréation médicalement assistée. Le législateur ne s'est pas cru autorisé à déterminer des conditions d'accès à la procréation médicalement assistée, estimant qu'il fallait ouvrir un espace de liberté à l'ensemble des citoyens et défendre le principe d'égalité : la loi est donc la même pour tous, que l'infertilité soit de nature médicale ou de nature sociétale.

J'évoquerai très rapidement la possibilité de mariage pour les personnes de même sexe, car ces lois y sont liées. Nous avons voté un texte qui permet l'accès à la procréation médicalement assistée. Il laisse à des centres, reconnus et en nombre limité, la responsabilité de déterminer leur acceptation ou leur non-acceptation. Dans cet espace de liberté, nous avons en effet introduit, sur le plan individuel et non sur un plan collectif, la possibilité de faire jouer une clause de conscience. Cette clause de conscience n'est donc pas accordée aux institutions, qu'il s'agisse d'hôpitaux, de maisons de repos ou d'instituts de recherche, puisque ce sont des clauses de conscience individuelle.

La loi ne prévoit pas d'empêchement ou de conditions spécifiques pour la procréation médicalement assistée, sauf pour ce qui touche à l'eugénisme. Sur le plan médical, je me permets de signaler une exception à cet égard : il est licite de ne pas implanter des embryons dans la mesure où ces embryons seraient porteurs de pathologies, y compris, le cas échéant, lorsque ces pathologies sont liées au sexe. Pour le reste, la règle générale est l'interdiction de toute forme d'eugénisme, c'est-à-dire toute forme de reproduction ou d'amplification de caractère non pathologique. Il est important que ce soit écrit dans la loi et c'est incriminable si ce n'est pas respecté.

Ces lois ont été votées dans un climat relativement serein et avec une large majorité. Il y a eu certes des oppositions, qui continuent d'ailleurs à exister, mais qui sont finalement minoritaires dans notre pays. Le vote de la loi a fait ainsi apparaître un partage à 70 % pour — 30 % contre, ce qui reflète assez bien l'état de l'opinion publique.

Dans le même mouvement que l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe, nous avons adopté il y a quatre ans une loi qui permet l'adoption aux couples de même sexe. Cela permet aux couples de lesbiennes d'être alignés de manière systématique sur ce qui existait ou ce qui existe, dans notre législation, en ce qui concerne les couples de sexe différent.

Nous avons abordé le problème sur un plan juridique, c'est-à-dire en établissant une correspondance totale, y compris en matière d'empêchement et de recours : les règles applicables aux couples de lesbiennes sont les mêmes que celles qui valent pour les couples hétéros. En gros, la législation est la même ; mais cela ne concerne que les problèmes juridiques, les problèmes de nature médicale ayant été réglés par la loi sur la procréation médicalement assistée.

En conclusion, nous avons souhaité ouvrir deux espaces de liberté, mais assorti de balises, de façon à empêcher qu'il y ait des abus. Car les abus peuvent exister, qu'ils soient d'ordre fantasmatique ou qu'ils soient réels. Il était donc important de fixer des règles qui les empêchent. Le principe de liberté se combine ici avec un principe d'égalité entre les situations médicales comme entre les orientations sexuelles.

Sur la fin de vie, je répète que la clause de conscience existe de manière individuelle et je pense que c'est très important de vous le dire ici. Un livre a en effet été publié il y a trois jours par un collègue médecin et mien compatriote, qui évoque le nombre croissant de citoyens et citoyennes français souhaitant bénéficier d'une euthanasie en Belgique.

On ne fait évidemment grief à personne d'avoir d'autres opinions. Mais le contenu de la loi reste largement majoritaire, y compris dans l'opinion. Si quelqu'un y est opposé, la clause de conscience lui permet, sur le plan individuel, de ne pas y adhérer. Mais le principe de solidarité a aussi été pris en compte, eu égard aux situations de souffrance auxquelles nous avons tous pu être confrontés, au cours de nos parcours respectifs, que ce soit sur le plan individuel ou familial, et auxquelles nous avons tenté de répondre par des textes de loi.

J'ai toutefois le sentiment que rien n'est jamais acquis de manière définitive et que rien n'est jamais complet. Je considère qu'il reste peut-être un certain travail à faire, mais de manière apaisée, même si quelques groupes persistent à s'exprimer de manière mensongère sur la problématique de la fin de vie et sur la manière dont elle est traitée dans mon pays. Cela fait violence à ceux et celles qui acceptent de prendre en compte la souffrance des malades jusqu'au bout. Je dénonce avec force ces mensonges propagés par des lobbies toujours opposés à la législation, qui racontent que tout se passerait en Belgique avec une espèce de légèreté, comme si les problèmes n'y étaient pas jugés suffisamment importants pour y être abordés avec toute la rigueur et toute l'humanité nécessaires – comme ils le sont en réalité.

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