Intervention de Antoine Mellado

Réunion du jeudi 20 septembre 2018 à 9h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Antoine Mellado, directeur de la promotion et de la sensibilisation pour World Youth Alliance Europe :

Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation, qui m'honore. Je représente, pour l'Europe, l'Alliance mondiale de la jeunesse, qui regroupe un million de membres un peu partout dans le monde, et s'intéresse essentiellement aux questions touchant à l'éducation des jeunes, à la dignité humaine et à la démocratie. Notre association est organisée en « chapitres » (chapters), dans plusieurs pays, et notamment en France.

J'aimerais vous esquisser ici un tableau de ce que les jeunes appréhendent de tous ces débats autour de la dignité humaine, sujet immense mais qui est au coeur des réflexions de l'Alliance. Les jeunes aiment rêver, et c'est leur rôle. Ils aiment rêver d'un monde plus beau, d'un ciel plus bleu et de forêts plus vertes. C'est leur force et il faut les y encourager, car c'est la promesse d'un monde meilleur pour demain.

Or la bioéthique n'est pas un domaine qui fait rêver. C'est un univers de compromis, parfois un peu sale, où il n'y a ni amoureux ni rêveurs. Cela ne plaît pas trop aux jeunes, qui sont donc peu nombreux à s'intéresser à ces questions et éprouvent à l'égard de la bioéthique le même sentiment que face à la politique, lorsque, par exemple, il s'agit de traiter du problème des réfugiés et de l'immigration, mais qu'on n'oublie de tenir compte de la dignité humaine. Je n'oserai pas affirmer détenir une solution à ces problèmes. Cela étant, je pense qu'on ne peut les régler sans tenir compte de la dignité humaine, en tout cas si l'on veut faire rêver. Bien sûr, ce sont des défis très difficiles à relever et il n'y a pas de solution miracle, mais nous devons tenter de les relever, du mieux possible, en essayant de rêver.

En matière de bioéthique, une question fondamentale se pose bien avant toutes les autres interrogations, par exemple lorsqu'on aborde la problématique de l'adoption : qu'est ce que la personne humaine ? Cette question, à laquelle je n'ai pas nécessairement la réponse, on se la pose depuis Socrate et on ne cessera jamais de se la poser, car elle n'engage pas seulement nos choix politiques mais également nos choix personnels et notre façon de vivre : le respect de l'environnement est aussi une forme de respect de la dignité humaine, car il protège le milieu dans lequel vit la personne humaine.

La World Youth Alliance défend donc la dignité humaine de toutes les personnes, quels que soient leur race, leur couleur, leur sexualité, mais également leur âge ou leurs capacités intellectuelles.

Je ne n'ai pas la sagesse d'un Socrate ou d'un Boèce, qui trouveraient les mots pour définir la personne humaine, mais je sais en tout cas que sa défense est un principe qui ne peut faire l'objet d'aucun compromis avec quiconque, même quand cela coûte de l'argent, même quand les politiciens le contestent, même quand l'industrie s'y oppose. Nous voulons donc protéger la vie humaine, ce qui implique de se demander à quel moment elle commence. Or j'ai l'impression que c'est une question que l'on évite soigneusement, parce qu'elle n'a pas de réponse simple, mais surtout parce que la réponse a des implications très sérieuses et entraîne des conséquences que l'on refuse de regarder en face.

Il y a là aussi une explication au fait que les jeunes se détournent de nos débats. En effet, outre qu'ils ne les font pas rêver, il ne s'en dégage aucun principe intangible qui puisse leur servir de référence, et la personne humaine n'y apparaît pas comme cette essence indiscutable qu'il convient de défendre coûte que coûte. Il semble en fait que les seules limites que nous soyons prêts à accepter sont celles que nous impose la science ou que nous ne parvenons pas à dépasser. Et les autres problèmes, on les met sous le tapis…

Je prendrai l'exemple de la GPA, qui fait l'objet de campagnes de promotion en Europe. Que ce soit au Conseil de l'Europe ou au Parlement européen, le débat porte en réalité surtout sur la GPA altruiste, c'est-à-dire la GPA non rémunérée. En effet, il y a là, pour les Européens, une limite infranchissable : payer pour une GPA est inconcevable en Europe, contrairement aux États-Unis où cela ne pose pas de problèmes, car l'argent est une valeur positive – les Américains n'ont-ils pas élu Trump ? Soit dit en passant, dans la GPA altruiste, la seule à ne pas être rémunérée, c'est la mère porteuse, qui fait tout le travail… Les avocats, les médecins, les agences et tous les intermédiaires sont, quant à eux, bien rémunérés. Quoi qu'il en soit, puisque les sociétés européennes ne sont pas prêtes à accepter de payer pour un enfant, on s'en tiendra à la GPA altruiste, dont il est probable qu'elle sera légalisée dans plusieurs États membres.

Au lieu de nous arrêter aux limites que nous ne pouvons pas dépasser, je souhaiterais que l'on procède autrement, en nous posant avant toute chose les questions fondamentales : Qu'est ce que la personne humaine ? À partir de quel moment parle-t-on de personne humaine ? Contre quoi faut-il la protéger ?

Si nous ne nous posons pas ces questions-là, nous risquons d'agir de manière incohérente et déraisonnable. C'est ainsi que l'on voit aujourd'hui certaines positions éthiques gagner du terrain. Je pense par exemple à celles de Peter Singer, philosophe et titulaire de la chaire d'éthique à Princeton, qui défend le principe de l'avortement postnatal : finalement, si un enfant trisomique peut être tué dans le ventre de sa mère, il peut tout aussi bien l'être après. Philosophiquement, c'est une idée très raisonnable ; socialement, c'est tout à fait scandaleux, c'est en tout cas une limite que nous ne parvenons pas à dépasser aujourd'hui – et que nous ne dépasserons jamais, je l'espère. Reste que ce raisonnement procède d'une absence de définition de la personne humaine, car si une personne trisomique mérite notre respect, tout notre amour et notre protection, elle les mérite aussi, sans doute, dans le ventre maternel.

Je voudrais enfin m'arrêter sur la petite bataille qui tend à se développer entre les deux notions de droits de l'enfant et de droit à l'enfant. Petit à petit, nous sommes en train de vider les premiers de leur substance au profit du second, c'est-à-dire au profit des adultes qui veulent avoir un enfant. En fait, nous sommes en train de se développer une sorte de marché de l'enfant, en concurrence avec l'adoption. L'adoption est pourtant une réponse fondamentale à la Convention internationale des droits de l'enfant, qui dispose que tout enfant a le droit à une famille. Or nous développons toute une série de pratiques qui, dans les faits se substituent à l'adoption et empêchent tous les enfants qui en ont besoin de trouver une famille. On ne peut évidemment obliger personne à adopter un enfant, mais je crains que ces nouvelles solutions, qui permettent d'avoir un enfant plus facilement et à moindre coût, soient une mauvaise concurrence pour l'adoption. C'est pourquoi j'appelle votre attention sur ce point.

Selon moi, aucune procédure permettant de devenir parent ne devrait être plus facile et moins chère que l'adoption. Au contraire, celle-ci devrait être gratuite, simple et surtout encouragée, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il est bien sûr normal qu'une adoption obéisse à des conditions strictes, car il faut trouver pour les enfants les familles les plus appropriées, mais il n'en reste pas moins que les autres procédures, où il suffit de se soumettre à quelques formalités médicales et de mettre un peu d'argent sur la table, sont beaucoup plus simples que l'adoption.

Je sais que l'État n'a pas à se mêler de la vie privée des gens mais, dans la mesure où il intervient déjà en matière de PMA pour poser un cadre et des règles, il n'est pas scandaleux mais totalement proportionné de considérer qu'il peut également exercer une forme de contrôle sur les candidats à la PMA, en leur appliquant les mêmes critères de sélection que ceux qui sont appliqués aux personnes qui demandent à devenir parents grâce à l'adoption.

Les jeunes rêvent et doivent continuer de rêver. On nous dit parfois que c'est inutile et que ce que nous voulons est impossible, mais, comme le disait Cyrano de Bergerac, on ne se bat pas dans l'espoir du succès, et c'est bien plus beau lorsque c'est inutile. Quoi qu'il arrive, nous nous battrons toujours pour la dignité humaine.

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