Intervention de Caroline Fiat

Séance en hémicycle du jeudi 11 octobre 2018 à 9h30
Avenir de la santé — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat :

Madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, il nous est proposé un texte d'orientation pour l'avenir de la santé. Je me réjouis d'une telle ambition car, en effet, notre système de santé a grand besoin d'une nouvelle orientation, surtout s'il veut un avenir. Mais à la lecture de cette proposition de loi, il apparaît que les mesures proposées sont, au mieux, largement insuffisantes et, au pire, mortifères. Coordination entre établissements privés et professionnels de ville, révision du programme d'étude en PACES – première année commune aux études de santé – , échange des données de santé entre professionnels : autant de mesures qui sont bien faibles. Alors que nous aurions besoin d'un système de santé plus démocratique, accessible à tous, public et gratuit, vous nous proposez de réorganiser le système actuel, qui est à l'agonie.

Votre proposition de loi est décevante, car, face à la désertification médicale, aux délais de rendez-vous scandaleusement longs, aux pénuries de spécialistes, vous continuez de camper sur vos positions en prônant la mise en place de mesures incitatives dans les zones sous-dotées en médecins.

Pourtant, le rapport de nos collègues Alexandre Freschi et Philippe Vigier le démontre : les multiples mesures incitatives de ces dernières décennies n'ont pas fonctionné. Meilleur revenu pour les médecins s'installant en déserts médicaux, exonérations d'impôt, et j'en passe : toutes ces mesures furent un échec.

Un exemple est particulièrement éloquent : une mesure majorant de 20 % les honoraires des médecins généralistes libéraux exerçant en groupe dans des zones sous-dotées a coûté, entre 2007 et 2010, plus de 63 millions d'euros pour un apport net de seulement cinquante médecins !

À l'inverse, les mesures de régulation des installations sont très efficaces, comme le révèle la commission d'enquête relative à l'accès aux soins qui a notamment évalué les effets de la régulation des installations pour les pharmaciens, les sages-femmes, les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes. Le conventionnement pour les infirmiers libéraux a ainsi permis de réduire en six ans la part des installations en zones surdotées de 25 % à seulement 12 %.

Pour les sages-femmes, ce chiffre est passé de 27 % à 10 % ! Qu'attendons-nous pour mettre en place une mesure de conventionnement sélectif pour les médecins ? Les inégalités d'accès à la santé sont criantes, s'aggravent et vont encore s'aggraver dans les années à venir si nous ne faisons rien. Conséquences de la désertification médicale : le nombre de passage aux urgences a doublé en vingt ans ! Entre 2012 et 2016, l'accès aux médecins spécialistes a diminué pour 38 % des Français en ce qui concerne les ophtalmologistes, 40 % pour les pédiatres et même 59 % pour les gynécologues. L'un de nos amendements tend à limiter la liberté d'installation aux zones les moins dotées en médecins.

Vous proposez de revaloriser chaque année les tarifs des actes, rendant ainsi les soins toujours plus coûteux, alors qu'il faudrait aller vers le remboursement à 100 % des soins prescrits et revenir sur la hausse des tarifs de soins et du forfait journalier hospitalier.

Rappelons que six années séparent l'espérance de vie d'un ouvrier de celle d'un cadre ! Selon un sondage BVA d'avril 2018, sept Français sur dix ont renoncé au moins une fois à se soigner. Parmi eux, 88 % sont des étudiants et des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans. Face à ce constat, vous ne proposez rien, hélas, qui permette d'endiguer le désastre de la médecine privée ! Aux États-Unis, le système de santé est majoritairement privé, les dépenses de ce secteur représentent 17 % du PIB contre seulement 11 % en France. Vivent-ils plus longtemps ? Non. L'espérance de vie y est de soixante-dix-huit ans contre quatre-vingt-deux pour les Français. Les inégalités sociales de santé y sont encore plus élevées, les plus riches ont accès aux technologies de pointe alors que des millions de pauvres se ruinent pour combattre les cancers, par exemple. Privatiser la santé est à la fois inégalitaire et inefficace !

Votre proposition de loi nous semble dangereuse, car, tandis que l'hôpital se meurt, vous proposez de prendre en charge certains soins délivrés par les professionnels libéraux sans questionner les dépassements d'honoraires. Or, vous le savez, le nombre de médecins pratiquant le dépassement d'honoraires est en hausse continue. Selon un rapport de l'UFC-Que Choisir de juin 2016, huit français sur dix n'ont, autour de chez eux, que des gynécologues ou des ophtalmologistes réalisant des dépassements d'honoraires. Nous proposerons deux amendements : l'un pour supprimer tout dépassement d'honoraires, l'autre pour généraliser le tiers payant.

Votre proposition de loi est incomplète, car vous ne dites rien de toutes les professions de santé féminisées fortement dévalorisées. En effet, à qualification et à responsabilité équivalentes, la grille salariale des professions de santé féminisées – infirmières, sages-femmes, aides-soignantes – est étonnamment faible par rapport aux autres professions de santé. Les orthophonistes – qui comptent 96 % de femmes – sont les plus mal lotis. L'écart entre leurs rémunérations et celles des autres professions du secteur sanitaire et social diplômées au grade master est de l'ordre de 3 200 à 10 000 euros par an !

Finalement, votre proposition de loi ne semble pas à la hauteur des vrais enjeux, en passant sous silence les questions de santé majeures : la désertification médicale, le non-recours aux soins, les dépassements d'honoraires, la maltraitance institutionnelle et la mainmise des actionnaires sur ce secteur, la crise de l'hôpital public et des hôpitaux psychiatriques.

Pour masquer cette vacuité, votre proposition de loi nous parle de prévention. Vous avez raison de dire que la santé ne se résume pas à la médecine et qu'il faut faire plus de prévention. Vos suggestions sur le sujet sont séduisantes : mise en place de missions d'éducation à la santé, d'éducation thérapeutique, actions de dépistage. Nous partageons vos positions, mais, en raison de l'augmentation spectaculaire, ces quarante dernières années, des maladies chroniques et des affections de longue durée, suite à la surconsommation de sel, de sucre, de mauvaises graisses, il nous semble important qu'elles fassent l'objet d'une vraie prise de conscience politique.

Dans le cadre de la commission d'enquête relative à l'alimentation industrielle, Loïc Prudhomme a fait des propositions fortes : rendre obligatoire l'étiquette Nutri-Score qui classe les aliments selon leur qualité nutritionnelle, renforcer la qualité des repas servis en milieu hospitalier et en maisons de retraite, imposer dans le pain un seuil maximal de dix-huit grammes de sel par kilo de farine, etc. Certaines de ses propositions ont déjà été examinées dans l'hémicycle, sans être adoptées, hélas.

L'espérance de vie en bonne santé diminue depuis 2006 et les cancers environnementaux se multiplient. Vous nous parlez prévention, mais vous avez voté contre l'inscription dans la loi de la sortie du glyphosate et d'autres produits phytosanitaires dangereux. Vous avez également voté contre l'instauration d'une zone tampon protégeant en partie la population des pesticides.

Nos hôpitaux psychiatriques vont mal. Leur budget fond chaque année encore plus vite que celui des hôpitaux, alors que le nombre de leurs patients a augmenté de 29 % entre 2013 et 2016. La France se distingue par une consommation d'anxiolytiques parmi les plus élevées au monde. François Ruffin a fait deux propositions fortes pour que le syndrome d'épuisement professionnel soit reconnu et que les hôpitaux psychiatriques ne subissent plus de mesures d'austérité. Or, dans cette proposition de loi, vous n'avancez presque rien pour la santé mentale.

Pour nous, la prévention n'est pas un vain mot. Elle va même au-delà des enjeux environnementaux, du dépistage ou de l'éducation. Une société inégalitaire est source d'angoisse et de difficulté à se soigner.

Les soignants sont à bout. Les maladies chroniques continuent d'augmenter.

Nous aurions aimé en débattre dans cet hémicycle. Nous aurions très certainement voté contre, mais le débat aurait au moins eu le mérite d'exister !

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