Monsieur Delfraissy, veuillez nous excuser de vous auditionner aussi souvent ! (Sourires.) Cette multiplication des auditions se justifie par l'importance de la révision des lois de bioéthique. Nous aurons également l'occasion de nous revoir pour aborder la question de la fin de vie, qui ne relève pas, stricto sensu, de la bioéthique et fera l'objet d'une législation ultérieure. Nous avons déjà auditionné le Conseil économique, social et environnemental (CESE) à ce sujet.
Je vous remercie vivement pour ce très bon rapport, qui vient s'ajouter à des informations de sources diverses et nous apporte un éclairage important, même s'il ne comporte pas d'immenses surprises. Mais s'il n'y a pas de révolution – en vérité, qui y appelle ? –, il comporte des précisions utiles en vue de légiférer.
Vous avez dit ne pas souhaiter d'affrontement entre les différents points de vue, afin que le débat demeure de l'ordre du rationnel. Par tradition, le CCNE tend vers une approche consensuelle, même si cela se vérifie désormais un peu moins qu'à l'origine. D'une façon différente, le CESE, sur le sujet de la fin de vie ou sur d'autres, exprime le point de vue largement majoritaire, dans la société et parmi ses membres, ainsi que les points de vue minoritaires. La recherche du consensus est parfois utopique voire empêche d'avancer, parce qu'on ne peut rester consensuels qu'au prix de l'immobilisme, et qu'il est toujours difficile de mettre d'accord des points de vue initialement très divers sur la recherche d'une solution unique. Aussi la recherche du consensus n'est-elle pas un miroir aux alouettes ?
Par ailleurs, nous sommes favorables à une révision des lois de bioéthique tous les cinq ans. Nous avons même formulé, avec Xavier Breton, l'idée de solliciter une délégation permanente du Parlement, qui n'aurait ainsi pas besoin de réveiller tous les cinq ans la réflexion en son sein, mais pourrait l'alimenter en permanence.
Concernant les dons d'organes, je vous félicite d'encourager la chaîne de donneurs vivants, ce système dans lequel des familles, qui, pour des raisons de compatibilité, ne peuvent pas faire bénéficier leur proche, donnent au malade d'une autre famille. Cette pratique, encore très limitée en France, entre deux couples donneur vivant-receveur, demande à être parfaitement encadrée. Elle a d'ailleurs commencé par susciter des réticences au sein du système de dons d'organes. Pour ce qui est des donneurs cadavériques, vous faites remarquer l'importance des inégalités régionales et suggérez différents efforts pour lutter contre ces inégalités de prélèvement qui se traduisent par une inégalité des chances d'être traités pour les malades sur liste d'attente, ce qui est tout à fait regrettable. Comment légiférer pour améliorer la situation ? Devons-nous travailler conjointement avec l'Agence de la biomédecine (ABM) ?
Vous proposez également de ne pas soumettre la recherche sur les cellules souches embryonnaires au même régime juridique que celle sur l'embryon. Cela permettra, en effet, de lever beaucoup des freins actuels et d'éviter des actions en justice inutiles, qui retardent la recherche, coûtent cher et sont la plupart du temps sans objet, puisqu'elles sont presque toujours déboutées. Travailler sur des lignées de cellules souches embryonnaires n'a rien à voir avec les autres activités de recherche. Un régime juridique clarifiant ce type de recherche serait opportun. Une fois encore, est-ce auprès de l'Agence de la biomédecine que vous pensez que nous devons agir ? Comment formuler au mieux les propositions ?
Même si le sujet ne fait pas consensus, je souhaiterais que le diagnostic préconceptionnel soit rendu plus accessible. Pourriez-vous développer ce sujet un peu plus qu'il ne l'est dans le rapport et présenter des arguments pour convaincre ceux qui y sont réticents ? Que ce soit pour le diagnostic préconceptionnel ou le diagnostic néonatal, nous sommes en retard sur la plupart des pays développés, ce qui est très dommage, car nous pourrions prévenir certaines maladies et en traiter d'autres, bien mieux que lorsque le diagnostic est tardif.
Concernant la filiation après une procréation médicalement assistée (PMA) ou une gestation pour autrui (GPA) effectuée à l'étranger, j'ai l'impression que le CCNE s'est arrêté au milieu du gué. Si je salue l'avancée réalisée, pourquoi n'allons-nous pas jusqu'au bout de la reconnaissance de filiation ? La même remarque a été faite aux représentants du Conseil d'État, qui distinguaient les enfants de couples homosexuels des enfants de couples hétérosexuels. Nous sommes ici très attachés à l'égalité des chances et des droits des enfants. Tout ce qui impose des distinctions dans les filiations pourrait être dommageable à leur avenir.
Par exemple, je ne comprends pas comment, dans le cas des GPA effectuées à l'étranger, le CCNE peut proposer une délégation d'autorité parentale pour la mère d'intention, assortie d'un test ADN pour le père. Cette délégation d'autorité parentale est méprisante, dans la mesure où cette femme est reconnue comme mère dans son pays. Cela revient à la dégrader. L'enfant, qui n'est pour rien dans ses conditions de procréation, risque d'en payer les conséquences.
Qui plus est, le test ADN contribue à une biologisation du père. La dernière fois que j'ai entendu parler de cette question, c'était dans un amendement de Thierry Mariani, qui voulait imposer les tests ADN dans la recherche de filiation des migrants, ce qui avait suscité un tollé. Depuis lors, plus personne n'a osé conditionner la filiation paternelle à la vérité biologique. Devons-nous nous embarquer, sur un sujet aussi sensible, en proposant une mesure qui va susciter une levée de boucliers ? Ne serait-il pas plus prudent d'avoir une définition de la paternité beaucoup plus habituelle : le père est celui qui s'occupe de l'enfant, l'élève et l'aime, non pas celui qui a donné son ADN. Même dans les familles traditionnelles, il existe un pourcentage non négligeable d'enfants pour lesquels il n'y a pas d'assimilation entre paternité biologique et paternité effective. Les médecins qui le savent ne vont pas le dire aux familles : ce n'est pas la peine de troubler des eaux calmes.
Enfin, votre rapport évoque l'absence d'études convaincantes et dotées d'un recul suffisant sur les femmes seules par choix et l'évolution de ces nouvelles structures familiales, afin de savoir s'il y a des conséquences pour l'enfant, quand il naît dans une famille monoparentale par choix ou de parents homosexuels. Étant donné que nous avons reçu, la semaine dernière, la plus grande experte au monde sur ces questions, Susan Golombok, j'ai relu toutes ses publications. Je ne connais pas d'étude plus scientifique, ni d'une plus grande rigueur. Sa conclusion est limpide : ces enfants, quelle que soit la diversité des familles, n'ont aucune conséquence psychologique, d'orientation sexuelle, d'épanouissement intellectuel ou de développement affectif d'aucune sorte, pour peu qu'ils fassent l'objet d'un investissement affectif et d'attention et d'une bonne éducation. Tout le reste est littérature.
Craindre des conséquences pour un enfant né d'une femme seule ou dans une famille homosexuelle est légitime. Mais nous sommes obligés de nous incliner devant les études qui ont été menées. Certes, il n'y pas d'études en français, mais il existe une pléthore d'études internationales – je ne parle pas seulement de celles qui sont conduites en Grande-Bretagne par l'école de Cambridge. Je n'y ai pas trouvé, malgré une analyse critique, de biais méthodologiques quelconques. Dans l'une des plus célèbres, le panel est composé d'une cinquantaine d'enfants nés par PMA d'une femme seule par choix et d'une cinquantaine d'enfants nés par PMA de couples hétérosexuels, suivis pendant plusieurs années. Il n'y a aucune différence entre les deux groupes. Pourquoi ces études ne sont-elles pas entendues ? Pourquoi ne sont-elles pas confirmées par des recherches françaises ?