Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du mardi 25 septembre 2018 à 16h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé :

Monsieur le rapporteur, je ne pense pas que la recherche du consensus pousse à l'immobilisme. Le CCNE ne recherche pas le consensus pour le consensus. Nous essayons d'avoir une construction commune et aussi humaine que possible. L'avis du CCNE ouvre sur des questions autour de la génomique, de la recherche sur l'embryon ou des neurosciences, de l'ouverture de l'AMP. Nous n'y faisons pas preuve d'immobilisme.

S'agissant des inégalités régionales dans le don d'organes, le texte n'est peut-être pas suffisamment clair. À voir la carte des inégalités régionales dans les délais de don d'organes, c'est à se demander dans quel pays nous vivons. En revanche, dès lors que l'on se penche sur le sujet, on se rend compte que la situation est extrêmement solide. L'algorithme de l'Agence de la biomédecine a été établi pour garantir le bien commun. Il nous est d'ailleurs envié. Les délais français sont bien moindres qu'en Allemagne, mais ils sont encore trop importants. En réalité, certaines équipes de transplanteurs interviennent très précocement sur la liste d'accès aux dons et d'autres beaucoup plus tardivement. Cela revient donc à comparer des choses qui ne sont pas comparables. En revanche, tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il y a un vrai souci dans les départements et territoires d'outre-mer.

Par ailleurs, l'ABM fait un très bon travail d'explication. Certains considèrent qu'elle a une vision très administrative, mais elle est solide. L'organisation de la transplantation en France est solide – j'y insiste. C'est un bien précieux. En revanche, elle doit faire un effort dans sa relation avec le monde associatif, pour mettre tout le monde autour de la table et tenter d'expliquer ces disparités, afin de trouver des solutions communes.

Concernant les cellules souches, nous avons eu le souci de bien distinguer la recherche sur l'embryon de celle sur les cellules souches. L'enjeu n'est pas tant leur origine que leur destination, à propos de laquelle il n'existe aucune régulation. Nous appelons à cette régulation. Par exemple, si une recherche sur les cellules souches vise à leur donner un signal de différenciation pour remplacer une hanche pathologique, il n'y a pas de souci : cela relève de la médecine du futur, et il faut que la France soit au rendez-vous. En revanche, si c'est pour reconstruire des gamètes et un embryon, comme on peut imaginer le faire, cela demande une régulation. Ce sujet ne relève pas de la réglementation, mais bien du domaine de la loi.

Or la loi actuelle ne répond pas à cette question et prête à confusion. Le CCNE vous demande très clairement de la modifier, une fois que vous aurez entendu l'ensemble des experts et en pesant chacun des mots que vous écrirez. Il faut fluidifier la recherche sur les cellules souches et bien préciser ce qui est autorisé en matière de recherche sur les embryons surnuméraires, qui n'ont donc pas été conçus pour la recherche. Nous rappelons que nous sommes pour l'interdiction de la création d'embryons de recherche, créés de novo. Il convient également de préciser ce qu'il est possible de faire sur ces embryons surnuméraires, jusqu'à quelle date et si l'on peut utiliser les nouveaux outils génétiques pour les modifier.

La génétique préconceptionnelle est un vaste sujet. La France est en retard dans l'accès aux données génétiques et à la médecine de prévention. Nous ne sommes pas frileux et tentons d'ouvrir une partie de cette boîte. Nous avons beaucoup discuté du diagnostic préconceptionnel en population générale. La situation française est en effet pour le moins ubuesque, dans la mesure où la loi interdit sans réellement interdire, puisque des tests sont accessibles sur internet et qu'ils font l'objet de publicités à la télévision. Nous nous sommes demandé s'il fallait ouvrir ce champ, pour mieux encadrer les tests en population générale, étant donné que nous faisons face à une innovation technologique majeure et que les coûts sont en train de baisser.

À l'issue de la discussion, nous avons décidé de pousser la réflexion sur les tests en population générale. En revanche, quand se pose un problème de procréation, nous sommes favorables à laisser les couples ou les personnes qui ont un projet de conception entrer, sous contrôle médical coordonné, dans des bases de données françaises, et non pas américaines, pour y instiguer des recherches. Cela nous semble pouvoir être un premier cadre dans la mise en oeuvre du diagnostic préconceptionnel. Nous y sommes donc favorables, mais continuons de réfléchir au sujet d'un tel accès pour la population générale, qui pose d'autres questions.

Sur la GPA, je demande un joker pour aller revoir le texte en détail. Notre position est néanmoins bien claire : aucune ouverture à la GPA. Je veux cependant relire le texte précisément, parce que, sur l'organisation relative à l'accueil des enfants nés de GPA à l'étranger, je partage complètement votre analyse, monsieur le rapporteur. Nous devons faire preuve des plus grandes capacités d'accueil et favoriser un mécanisme de filiation généraliste et non pas spécifique.

Enfin, nous n'allons pas entrer dans une bataille d'experts sur les études relatives aux enfants issus de l'AMP, puisque le CCNE souhaite une ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules. Je souhaiterais cependant nuancer vos propos. Nous n'avons pas d'études en France, ce que nous regrettons. Il faut que cela change. Le législateur pourrait envoyer un signal afin que la recherche française s'intéresse à de grands sujets sociétaux.

Par ailleurs, nous avons bien évidemment lu les études anglaises et américaines, qui sont de petite taille. Vous avez vous-même évoqué le cas d'une cinquantaine d'enfants issus de l'AMP. Il existe une série d'études de sciences humaines et sociales de ce type, mais leur panel n'excède jamais cinquante enfants et elles n'ont pas été poussées à moyen et long terme. Si les données sont plutôt rassurantes – à tel point que nous avons donné un avis favorable à l'ouverture de l'AMP –, l'ouverture de l'AMP en France aux couples de femmes et aux femmes seules nécessitera une évaluation programmatique pour savoir ce que deviennent les enfants issus de la PMA, en général. Voilà un beau sujet pour de grandes études de sciences humaines et sociales.

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