Il est logique que les arguments que vous allez trouver pour étayer votre réflexion ne soient pas tout à fait identiques à ceux du CCNE et qu'ils la complètent.
Vous avez raison, une ouverture éventuelle de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules termine une certaine forme d'évolution de la filiation. Il conviendra donc de revoir la question de la filiation au plan juridique.
Certains vous répondront qu'il ne faut pas ouvrir l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules pour ne pas engager le débat sur la filiation. Mais la question de la filiation est déjà posée, en particulier par l'adoption. Je ne suis pas juriste, et je ne souhaite pas aller plus loin sur cette question. Toutefois, les discussions que nous avons eues au CCNE sur ce point montrent qu'il va falloir y réfléchir. Je pense que le Conseil d'État a suivi le même processus sur le sujet de la filiation.
Avant d'essayer de vous répondre sur la question du remboursement de l'AMP, je souhaite vous interpeller sur le coût des décisions qui peuvent être prises à l'occasion de la révision d'une loi, et notamment d'une loi de bioéthique. Les modifications que propose le CCNE ont un coût. Il y a quelques mois, le CCNE a accueilli un nouveau membre en la personne d'une professeure d'économie de la santé, car je considère que ce sont des enjeux qui posent des questions éthiques. L'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules et la possibilité d'accéder au diagnostic préconceptionnel entraînent des coûts supplémentaires. Peut-on assumer l'ensemble de ces coûts ? Cela doit-il se faire au détriment de choix qui pourraient être faits en matière de soins palliatifs, sachant que la prise en charge de la fin de vie n'est pas bonne en France ? Il faut reconnaître que notre pays a choisi de se tourner vers l'innovation, au détriment d'autres enjeux comme la prise en charge de nos anciens qui est pourtant un point essentiel. Cela dit, on n'évitera pas un débat sur les choix budgétaires qui peuvent être faits en matière d'éthique.
Vous avez noté que le CCNE n'avait pas tellement pris parti en ce qui concerne l'égalité en matière de remboursement, parce que son rôle est d'indiquer une grande direction. S'il le faisait, il se heurterait à des critiques. C'est au législateur de décider. Vous aurez l'occasion de discuter des choix financiers à faire autour de la santé qui vont devenir extrêmement prégnants – on n'est qu'au début du business en santé. C'est un médecin qui vient de passer trente-cinq années à débattre de ces questions, qui a vu arriver les nouvelles technologies et les nouveaux médicaments qui vous le dit. Nous ne sommes qu'au début de quelque chose d'extrêmement nouveau avec l'arrivée du numérique et surtout l'ensemble des objets qui vont gérer notre santé.
Madame Thill, vous dites que toute la science n'est pas bonne à prendre : c'est une réalité. On parle de progrès scientifiques ou de progrès médicaux ; pour ma part, je n'en suis pas totalement sûr. Il y a des avancées scientifiques, des avancées médicales, mais pour parler de progrès encore faut-il qu'ils soient accessibles à l'ensemble des personnes et qu'ils conservent un caractère humain. Comment trouve-t-on un « compromis » ou une balance entre ces avancées scientifiques et technologiques et certaines avancées sociétales qui ne sont pas au même niveau ? Et où place-t-on le curseur de l'humain ? C'est toute la discussion sur la bioéthique que vous devez construire et que nous avons construite nous aussi.