Intervention de Jean-François Delfraissy

Réunion du mardi 25 septembre 2018 à 16h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé :

Merci pour la question sur le numérique et la santé, qui m'oxygène. C'est un enjeu majeur, et vous le savez parfaitement bien.

D'abord, c'est la première fois que ce sujet est sur la table dans le cadre de la révision d'une loi de bioéthique, même si les enjeux législatifs sont « ténus ». On a créé un groupe de travail ad hoc qui dépasse le CCNE, composé de gens du numérique et de personnalités extérieures. L'opinion du CCNE est « issue » de cette réflexion un peu globale.

L'idée est de considérer que le numérique en santé est un enjeu essentiel qui peut être source de progrès importants, et qu'il ne serait pas totalement éthique de fixer une série de règlements qui pourraient bloquer en permanence l'arrivée du numérique en santé. Dans l'autre sens, l'humain doit rester. Vous avez noté que nous souhaitions que le numérique ne pénalise pas les citoyens qui n'y ont pas accès, pour des raisons diverses et variées, et qui sont souvent les populations les plus fragiles. Comment les met-on dans cette structure du numérique et de la santé ? Nous ne sommes qu'au début d'une réflexion sur le numérique et la santé. La question d'une réflexion éthique plus globale sur le numérique qui dépasse la santé va se poser.

S'agissant de l'ouverture de l'AMP aux femmes seules, nous sommes sensibles au message que vous avez envoyé de ne pas créer de situations encore plus complexes et d'accompagner en tout cas la décision d'une femme seule au plan psychologique et médical pour l'aider à prendre conscience des problèmes et des enjeux qui peuvent se poser dans le futur. Mais il y a différents cas : certaines femmes vont rester seules, tandis que d'autres vont trouver ensuite un compagnon. Inversement, on sait très bien que certains couples standards se séparent, ce qui peut mettre la femme dans une situation de précarité avec son enfant. Il ne s'agit pas de stigmatiser, mais d'accompagner ces situations.

Vous avez noté que le CCNE a légèrement modifié sa position entre l'avis 126 et l'avis 129 en ce qui concerne l'autoconservation des ovocytes. Notre avis de juin 2017 était plutôt nuancé, tandis qu'aujourd'hui nous proposons d'ouvrir cette possibilité sans pousser à l'autoconservation. On pourrait se demander qui sont ces têtes de linotte du CCNE qui changent d'avis en un an et demi. Mais il ne faut pas oublier qu'entre-temps les États généraux ont eu lieu et que cet avis 129 a été construit à la fois sur ce que nous pensions et sur ce que nous avons entendu et écouté. Nous avons entendu et écouté les sociétés savantes, qui nous ont dit que les aspects médicaux n'étaient peut-être pas aussi lourds qu'on avait pu l'envisager, et des associations, des femmes qui ont mis en avant les arguments de l'autonomie et du choix. Finalement, il faut faire confiance. C'est pour cela que j'ai parlé de loi de confiance, alors que jusqu'à présent les lois de bioéthique ont souvent été des lois de fermeture, des lois d'interdits. Faisons confiance aux femmes pour savoir dire non à certains moments en ce qui concerne ces tentatives éventuelles de déstabilisation. L'enjeu, c'est d'expliquer aux jeunes femmes que l'âge sexuel, l'âge endocrinien et l'âge de procréation ne sont pas les mêmes. Mesdames les députées, votre gynécologue vous a-t-il expliqué cela ? Je ne pense pas. C'est pourtant une notion essentielle, mais elle n'est pas expliquée dans notre modèle d'enseignement et de prise en charge par les médecins. Sur cette question, faisons confiance aux femmes. Certaines jeunes femmes souhaiteront avoir accès, au nom de l'autonomie et de leur propre capacité, à l'autoconservation des ovocytes, tandis que d'autres ne le voudront pas.

Tout à l'heure, vous avez eu raison de me reprendre sur le droit à la procréation. En fait, j'ai voulu indiquer que la liberté de réfléchir pour une femme sur ce qu'elle avait envie de faire avec sa propre procréation a toujours été éternelle, et que puisqu'elle est maître du jeu, elle a toujours trouvé une « série de moyens » pour y parvenir. Les aspects techniques et les avancées technologiques sont en train de changer les moyens mais pas le fond qui est ce désir autour de la procréation.

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