Intervention de Barbara Demeneix

Réunion du jeudi 27 septembre 2018 à 10h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Barbara Demeneix :

Sans revenir sur les points très importants abordés par mon confrère, j'insisterai sur la responsabilité transgénérationnelle. Dans le cadre de la réflexion bioéthique que vous menez, il est important de rappeler que la santé environnementale dépasse la dimension humaine et concerne plus largement la biodiversité. On fera ainsi référence à une approche systémique, celle de la « santé unique », one health, qui traite de l'homme dans son environnement.

Je suppose que l'on m'a demandé de venir parce que travaillant au Muséum national d'histoire naturelle, je me suis spécialisée dans les questions de biodiversité, mais aussi parce que j'ai écrit deux livres relatifs au développement du cerveau.

En 2001, mon nom a été suggéré auprès de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) comme experte pour la France. Ayant pris conscience à cette occasion de la difficile régulation des produits mis sur le marché, j'ai décidé de cofonder, avec Gregory Lemkin, une société, Watchfrog, spécialisée dans la mesure des effets des perturbateurs endocriniens et des polluants sur le vivant. Comme je le fais en préambule de chacune de mes interventions, je tiens à déclarer un possible conflit d'intérêts, même si je ne perçois aucun argent de cette société : je ne suis pas rémunérée comme consultante et je ne touche aucun salaire.

Il faut croire que nous étions prévoyants en fondant cette société, car les dernières données des Nations unies montrent une multiplication par 300 de la production chimique depuis 1970. Ce n'est pas l'agence américaine de protection de l'environnement (Environmental Protection Agency, EPA), fondée la même année, ni le livre Silent Spring, qui avait suscité sa création, qui auront freiné la mise sur le marché de tous ces produits chimiques, à l'utilité parfois douteuse.

Un perturbateur endocrinien se définit comme une substance ou un mélange de substances qui affecte le fonctionnement du système hormonal d'une population, d'un individu, ou de sa descendance.

Nous sommes tous exposés à des centaines de mélanges. Le problème est qu'aujourd'hui, en Europe, les protocoles de test portent sur des situations où le risque est censé venir de l'exposition à une seule molécule, alors qu'elles devraient être testées dans un mélange représentatif de ce à quoi chacun d'entre nous est exposé. Mais il est très difficile de le faire, car cela supposerait de prendre en compte les lieux d'habitation différents : un rural est plus exposé aux pesticides tandis qu'un urbain l'est davantage à la pollution atmosphérique – laquelle contient, outre la matière particulaire, des perturbateurs endocriniens.

À cela s'ajoute la question des périodes de vulnérabilité. Lorsque l'on parle de responsabilité transgénérationnelle, on fait référence à la femme enceinte et à la petite enfance. Alors qu'il est conseillé aux femmes enceintes ou allaitantes de ne prendre aucun médicament sans avis médical, chacune d'elle, comme toutes les femmes en âge de procréer, se trouve littéralement contaminée par des centaines de molécules étrangères à son corps, dont beaucoup traversent la légendaire barrière placentaire et viennent s'accumuler dans le liquide amniotique.

Il ne s'agit pas de dire que chaque enfant qui naît est contaminé par les perturbateurs endocriniens : c'est chaque enfant conçu qui est contaminé !

Certes, les produits chimiques mis sur le marché ne contiennent pas nécessairement des perturbateurs endocriniens. Mais le fait est que l'on ignore l'étendue des dégâts : on en a testé si peu !

Ce n'est plus une hypothèse, c'est désormais un dogme, entré dans la littérature scientifique : les maladies de l'adulte peuvent avoir une origine congénitale. On sait que les neuf mois de la vie intra-utérine sont une période qui déterminera la santé de l'enfant, de l'adolescent, de l'adulte et même du vieillard.

Il faut donc protéger la femme enceinte. Faute de quoi, les dépenses de santé exploseront – c'est déjà le cas. Des études, encore trop peu nombreuses, paraissent sur le lien entre les maladies neurodégénératives et l'exposition aux perturbateurs endocriniens. Par ailleurs, il a été démontré que l'exposition intra-utérine au DDT multipliait par 15,5 le risque de cancer du sein à l'âge de cinquante ans. Les exemples sont pléthore.

Il faut dire qu'il est difficile de légiférer et de réglementer dans un contexte où la science avance rapidement. Il y a vingt ans, on parlait peu d'épigénétique. Désormais, on sait que l'environnement affecte l'expression des gènes via les mécanismes génétiques.

Je suis particulièrement préoccupée par l'augmentation des maladies neurodéveloppementales : maladies du spectre autistique, hyperactivité avec déficit attentionnel (Attention deficit hyperactivity discorder — ADHD). La baisse du QI est bien documentée dans certains pays, où des études ont mis en évidence la relation entre l'exposition in utero à des substances et le QI de l'enfant parvenu à l'âge de sept ans. En France, nous manquons de statistiques sur l'autisme et sur l'ADHD.

On a estimé que la baisse du QI et le risque augmenté de spectre autistique induits par trois substances représentaient un coût de 150 milliards d'euros par an… Et cela ne prend que peu en compte les problèmes rencontrés par les familles ou par la communauté enseignante.

La question de la santé environnementale, que je vous remercie d'avoir posée dans le cadre de la révision des lois de bioéthique, est cruciale pour comprendre l'explosion actuelle des maladies.

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