Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du jeudi 27 septembre 2018 à 10h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Nous le savons tous, les modifications de l'environnement, principalement induites par l'homme, entraînent des perturbations pour toutes les espèces vivantes – homme compris. La prise de conscience, vous avez raison, est encore beaucoup trop timide et les mesures prises presque inexistantes par rapport à l'ampleur du problème. Il y a urgence à réveiller les consciences de l'ensemble des décideurs.

Vous avez évoqué les pathologies induites par les perturbateurs endocriniens et les autres produits chimiques. Vous avez souligné leurs effets sur les hormones thyroïdiennes et indirectement sur le développement cérébral, la cancérogenèse, l'asthme, l'immunologie, la spermatogenèse – entraînant une diminution très significative de la fécondité – et parfois même des embryopathies. Existe-t-il beaucoup d'études ou de documents, que vous pourriez nous transmettre, concernant les modifications des gènes dans les cellules germinales ? Vous nous avez décrit très clairement les effets transgénérationnels de certains produits médicamenteux comme le Distilbène, ou d'autres produits comme l'agent orange sur la quatrième génération d'enfants vietnamiens. Mais dispose-t-on d'éléments concernant d'éventuelles modifications géniques définitives touchant toute l'espèce humaine – et pas uniquement des modifications touchant la deuxième, troisième ou quatrième génération ? Si l'on modifie sans le savoir l'espèce humaine en la dégradant, il y a plus qu'urgence et la gravité de la situation est effrayante ! D'autant que nous avons débattu lors de la précédente audition, et à d'autres occasions, de la crainte de certains de nos collègues face au développement du diagnostic préimplantatoire, qui permet de prévenir des maladies gravissimes entraînant la mort des enfants. Ces diagnostics sont pour l'instant extrêmement limités dans notre pays et soumis à des conditions très strictes. Nous sommes nombreux à plaider pour une meilleure prophylaxie de ces maladies. Certains l'assimilent à de l'eugénisme ; c'est un abus de langage, l'eugénisme étant l'ensemble des méthodes et pratiques visant à améliorer le patrimoine génétique de l'espèce. En l'occurrence, on empêche simplement la naissance d'un enfant qui va mourir quelques années plus tard : ce n'est pas de l'eugénisme, c'est de la prophylaxie !

Par ailleurs, derrière ce tout petit arbuste qui les inquiète, ils ne voient pas l'immense forêt : on n'en est plus à améliorer l'espèce, puisque c'est de sa dégradation que nous parlons aujourd'hui ! Si les effets de ces produits sont avérés sur les cellules germinales, c'est toute l'espèce humaine qui sera détériorée, affaiblie et potentiellement en danger pour sa survie.

Enfin, ne trouvez-vous pas les décisions de la plupart des pays, mais aussi les recommandations des comités d'éthique, trop frileuses ? Si la prise de conscience existe, est-elle suffisante ? Après une très bonne analyse dans le chapitre intitulé « Santé et environnement », les recommandations du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) au législateur sont très limitées… Nous avons envie d'être moins frileux, mais avons besoin de vos conseils.

Le CCNE recommande ainsi que le champ thématique « santé environnement » fasse l'objet de réflexion interdisciplinaire. Effectivement, on ne peut que le souhaiter…

Le CCNE propose également que cette ambition soit inscrite le préambule de la loi relative à la bioéthique. Mais le préambule, ce n'est pas la loi. Autrement dit, on inscrit qu'il faut y penser ! Il aurait peut-être déjà fallu y penser depuis longtemps… N'est-il pas temps d'aller plus loin ?

Enfin, le CCNE propose que les entreprises présentent chaque année devant leurs actionnaires et leur comité social et économique un document éthique mis à la disposition des clients. Cela assurera un peu de transparence et c'est une bonne chose. Mais cela suffira-t-il pour changer les pratiques après ce constat dressé sans catastrophisme, mais qui n'en est pas moins particulièrement inquiétant ?

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