Intervention de Sophie Auconie

Réunion du jeudi 4 octobre 2018 à 9h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Auconie, rapporteure :

L'Union européenne n'est pas dépourvue d'atouts avec son capital humain de 1,8 million de chercheurs et leurs résultats de premier plan dans nombre de disciplines scientifiques fondamentales telles les mathématiques, l'informatique, l'intelligence artificielle, les sciences du vivant, la recherche spatiale. À cet égard, je rappelle que, parmi les lauréats des Prix Nobel 2018, figurent deux Européens, MM. Gérard Mourou, physicien français et Gregory Winter, chimiste britannique. Autres atouts de l'Europe, ses universités de renommée mondiale, son marché intérieur de 508 millions de consommateurs, sa puissance industrielle et commerciale. En outre, en Europe, depuis les années 2000, la création de jeunes pousses fait preuve d'un grand dynamisme, au Royaume-Uni, en France, dans les pays nordiques et en Allemagne.

Nous souhaitons cependant insister sur deux particularités qui affectent la situation européenne : la répartition du financement de la recherche entre secteurs public et privé, l'accès au financement sur le marché des capitaux. S'agissant, premièrement, de la répartition du financement de la recherche entre secteurs public et privé, en comparaison des États-Unis et de la Chine, la structure des investissements en recherche et développement (R&D) met en relief un financement plus faible du secteur privé en Europe, avec 1,2 % du PNB contre 2 % aux États-Unis et 2,6 % en Chine. De fait, en consacrant en 2017, plus de 16 milliards de dollars à la R&D, la société Amazon a atteint la première place mondiale pour les dépenses en R&D. Elle détrône Volkswagen qui, avec un investissement de 12,1 milliards de dollars, recule à la cinquième place du classement des 1 000 entreprises les plus innovantes du monde. Le constructeur automobile allemand occupe la première place européenne. Parmi les vingt plus gros budgets d'investissement en R&D au monde, l'on ne compte que quatre sociétés européennes, deux allemandes (Volkswagen et Daimler) et deux suisses, dans le secteur de la santé (Roche, Novartis).

Au sein de l'Union européenne à 28, l'analyse des dépenses de R&D par source de financement révèle que plus de la moitié (55,3 %) du total de ces dépenses est financée, en 2014, par les entreprises, près d'un tiers (32,3 %) par les administrations publiques et 10 % par des fonds étrangers. Ce qui frappe le plus, c'est la grande disparité selon les États membres : les entreprises financent la R&D à hauteur de 73 % en Grande-Bretagne, 65,8 % en Allemagne, 61,0 % en Suède contre 47,3 % en Grèce. À titre de comparaison, dans les économies asiatiques, le financement de la R&D par les entreprises représente près des trois quarts du total des dépenses de R&D au cours de cette même année 2014.

Deuxièmement, l'accès au financement des projets sur le marché des capitaux est réellement difficile. L'insuffisance du financement privé se révèle être encore plus criante au vu des besoins élevés des projets d'innovation de rupture et du faible risque pris par les investisseurs européens. Les start up peinent à trouver les fonds nécessaires sur le marché des capitaux pour toute une série de raisons : la difficulté à drainer de la « love money », le nombre réduit de « business angels », la difficulté à mobiliser un financement initial à hauteur de leurs besoins, pour des projets risqués et à forte intensité technologique dits « deep tech », la segmentation des mécanismes de financement sur le marché des capitaux, en plusieurs étapes et par séries pour des levées de fonds qui restent au total modestes, la difficulté à se procurer les montants nécessaires, lors du développement ou changement d'échelle « scaling up » de la start-up, en vue de son expansion commerciale. La plupart des investisseurs se spécialisent en réalité dans les premières phases de financement car les montants y sont limités. Cette dernière faiblesse, qui bloque particulièrement la croissance des jeunes pousses, explique le faible nombre de « licornes » européennes. Au sein de l'Union européenne, à la fin 2017, on en compte 26 (dont 3 en France Venteprivee.com, Criteo (1) et BlaBlaCar) contre 109 aux États-Unis et 59 en Chine. Au total, en 2016, l'investissement en capital-risque représente environ 6,5 milliards d'euros dans l'Union européenne contre 39,4 milliards d'euros aux États-Unis. Le manque de fonds d'investissement de taille suffisante rend ainsi difficile la levée de montants supérieurs à 30 millions d'euros en Europe. Selon la Commission européenne, la taille moyenne des fonds de capital-risque en Europe est d'environ 56 millions d'euros contre 156 millions aux États-Unis. Il faut savoir qu'aux États-Unis, il existe, à l'heure actuelle, une dizaine de fonds de capital-risque capables de drainer plus d'un milliard d'euros.

Exception faite du Royaume-Uni, les raisons de cette difficulté tiennent à l'insuffisante capitalisation des marchés boursiers, la faible pratique de l'acquisition de jeunes entreprises par les grands groupes européens, notamment dans une logique d'intégration et l'absence de marché boursier européen des valeurs technologiques comparable au NASDAQ américain, ainsi plus généralement qu'une aversion à la prise de risque.

En conséquence, l'introduction des start-up européennes sur la place de Wall Street, comme la société suédoise Spotify en avril dernier, leur donne une visibilité qui leur permet ensuite de lever des montants sans équivalent sur le marché européen. De même, n'ayant pu intégrer les places boursières européennes, la société Criteo précitée est désormais cotée au NASDAQ depuis 2013. En contrepartie, l'appel à des fonds d'investissement étrangers peut se traduire par une délocalisation et parfois par un rachat, préjudiciable à l'économie européenne : en 2014, Deepmind, entreprise britannique spécialisée dans l'intelligence artificielle ayant conçu la technologie capable de battre l'homme au jeu de go chinois, équivalent du jeu de dames, a été rachetée par Google.

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