Je souhaite à mon tour vous faire part de plusieurs réflexions suite à la réunion du groupe de contrôle parlementaire conjoint. J'ai l'expérience de la lente « naissance » de cet organe parlementaire conjoint qui associe les parlementaires européens et les parlementaires nationaux. Il a fallu faire preuve de beaucoup de détermination pour que la voix des parlements nationaux puisse être prise en compte dans le contrôle d'Europol. Il s'est agi d'assurer un contrôle véritablement démocratique dans un domaine où les États membres sont compétents à titre principal. Au début de l'année 2018, la Commission LIBE et les parlements nationaux ont beaucoup travaillé pour négocier un règlement intérieur qui permette à ce groupe de contrôle d'exercer effectivement sa mission. La réunion à Sofia en mars 2018 a permis d'adopter ce règlement intérieur, ce qui n'était pas évident car il existait de fortes divergences entre les États membres : entre ceux qui voulaient adopter un règlement très détaillé et ceux qui souhaitaient que les modes de contrôle parlementaire puissent s'adapter selon les sujets traités par Europol.
La question posée était soit simple, nous nous entendions pour surmonter nos différends, soit nous laissions la main aux exécutifs européen et nationaux.
À ce titre la réunion des 24 et 25 septembre 2018 m'a semblé moins intéressante que les deux premières, comme si après l'adoption du règlement intérieur, les membres du groupe de contrôle se trouvaient pris au dépourvu pour exercer leurs prérogatives. Il faut sans doute un peu de temps pour que les parlementaires apprécient comment exercer leur fonction de contrôle. Comme je l'ai déjà indiqué lors de ma communication précédente sur Europol, il me paraît très important que les membres du groupe de contrôle puissent suivre sur plusieurs années certaines thématiques. C'est pourquoi je me suis prononcée en faveur de la création de groupes de travail spécialisés au sein du groupe de contrôle pour suivre de manière approfondie les pourparlers en cours entre Europol et un certain nombre de pays tiers (pays du Maghreb, Turquie, Égypte, par exemple) concernant les échanges de données personnelles pour une meilleure coopération policière entre l'Union européenne et ces pays pour améliorer l'efficacité de la lutte antiterroriste ou la maîtrise des flux migratoires.
À plus long terme, il faudra trouver une complémentarité dans le contrôle exercé par la commission LIBE du Parlement européen sur cette agence et celle qu'exercera ce groupe de contrôle conjoint.
J'ai eu l'occasion d'interroger Mme De Bolle sur ce thème et plusieurs autres parlementaires se sont aussi inquiétés de ces futurs accords avec ces pays tiers où le respect des droits fondamentaux reste problématique. Quelles garanties sont prévues pour que les États tiers fassent bon usage de ces données personnelles et ne transmettent pas à des pays tiers non autorisés ces mêmes données ? Quelles autorités seront chargées de vérifier l'utilisation de ces données ? Quels contrôles et outils seront en fait développés pour sanctuariser ces données ?
Je me suis aussi interrogée sur la manière dont les États membres, qui restent propriétaires des informations qu'ils transmettent à Europol pourront s'opposer à ce que certaines informations fassent l'objet d'échanges avec des États tiers dont ils estiment qu'ils ne présentent pas toutes les garanties de respect de l'État de droit ; j'ai conclu mon propos en me demandant si la Commission européenne n'allait pas trop loin dans son souci sécuritaire en cherchant à renforcer la coopération policière avec des États qui ne partagent en rien le respect des valeurs démocratiques. Je souligne ici que ces données pourraient être vendues à des sociétés privées.
La réponse donnée par Mme De Bolle était assez convenue, mais elle ne s'est pas montrée fermée au dialogue indiquant qu'elle pourrait donner des renseignements plus détaillés sur la manière dont les négociations sur ces échanges de données étaient menées. L'analyse faite par M. Giovanni Buttarelli, contrôleur européen de la protection des données, était intéressante car il a bien précisé que son équipe suivait l'avancée des négociations et qu'il fallait adopter une approche différenciée selon les pays avec lesquels l'Union européenne poursuit des pourparlers. Il faut s'assurer à la fois d'un cadre juridique adapté et d'une pratique conforme à celui-ci. Israël par exemple, possède une législation stricte sur le traitement des données personnelles alors que le Maroc est dans une situation intermédiaire où il existe un cadre juridique, mais où la pratique des forces de police semble encore assez éloignée du respect de ces normes. En revanche pour des pays comme la Jordanie, l'Algérie ou le Liban, il n'existe aucun cadre juridique régulant l'utilisation des données personnelles. Il a donc indiqué qu'il ne fallait pas condamner à l'avance ces futurs accords mais qu'il fallait rester vigilant.
Plusieurs parlementaires se sont interrogés sur la coopération d'Europol avec les autres Agences de l'Union européenne. Cette question de la coordination de l'action des Agences européennes devient de plus en plus cruciale, alors que l'Union européenne affiche comme priorité de rendre plus efficace sa maîtrise des frontières extérieures (Conseil européen du 28 juin 2018). J'ai ainsi interrogé la direction d'Europol sur les risques de chevauchement de compétences entre Europol et Frontex, Frontex affirmant clairement qu'elle lutte aussi contre le terrorisme ou le trafic d'armes même si son coeur de métier reste la surveillance des frontières extérieures de l'Union européenne. Qu'en est–il de la répartition des rôles en matière de lutte contre les trafics de migrants ? Cette répartition pose la question aussi de leur collaboration et de leur coopération.
J'ai également voulu savoir si Europol avait été associé aux réflexions en cours sur la création de « centres contrôlés » ou de « plateformes régionales de débarquement » pour secourir les migrants risquant des naufrages en Méditerranée. En réponse à mes interrogations, Mme De Bolle a indiqué qu'une des priorités d'Europol était d'améliorer la coopération avec les autres Agences, tout particulièrement avec Frontex. Elle a d'ailleurs annoncé que début octobre il y aurait une réunion commune des deux conseils d'administration pour fixer des axes d'actions communs, notamment pour lutter plus efficacement contre les trafiquants de migrants et pour mieux connaître les profits financiers générés par cette forme de traite des êtres humains. La présence d'Europol dans les hotspots implique aussi d'améliorer la coopération opérationnelle avec les agents de Frontex comme je l'ai mentionné.
J'en viens maintenant à un sujet de préoccupation important pour l'avenir d'Europol. Il apparait clairement qu'Europol ne dispose pas de moyens financiers et humains suffisants pour faire face à ses missions toujours plus étendues. Le président du conseil d'administration, comme la directrice exécutive, ont alerté les membres du groupe parlementaire conjoint sur la situation financière très délicate de l'Agence si le budget 2019 tel qu'il a été voté en Commission au Parlement européen est confirmé en séance plénière à la fin octobre. Alors que le conseil d'administration a adopté un projet de budget d'un montant de 143,3 millions d'euros avec une création de 43 postes de travail, la Commission européenne a quant à elle retenu une version beaucoup plus rigoureuse en présentant un projet d'un montant de 121,9 millions avec seulement 5 postes supplémentaires. Si ce budget devait être attribué pour ce montant cela représenterait une baisse de 8,3 millions par rapport aux moyens attribués en 2018 car Europol a bénéficié en cours d'année 2018 de moyens supplémentaires pour le déploiement d'officiers dans les hotspots et pour sa plateforme de déchiffrement des informations cryptées. Il convient de souligner qu'une fois le vote du parlement effectué, une négociation s'engagera entre le Parlement et le Conseil pour définir le budget global de l'Union européenne. Jusqu'à présent, le Conseil soutient la version initiale de la Commission, ce qui conduirait Europol à devoir renoncer à certaines de ses missions, comme la modernisation de son parc informatique pour être en mesure de mettre en place l'interopérabilité des bases de données de sécurité ou ses nouvelles missions en matière de cybersécurité.
Comment la Commission européenne peut-elle annoncer le 12 septembre 2018, qu'elle attribue de nouvelles prérogatives à Europol pour accélérer le retrait des contenus terroristes sur Internet et dans le même temps réduire ses moyens d'action ? Mettre en oeuvre une Europe qui protège suppose des moyens financiers adaptés et suffisants donc conséquents. Face à cette situation préoccupante, je propose que, comme membres du groupe de contrôle sur Europol, nous adressions un courrier à M. Günther Hermann Oettinger, commissaire européen au Budget et aux Ressources humaines avec copie à notre ministre en charge du Budget pour les alerter sur la nécessité de financer à sa juste mesure l'action d'Europol. La liberté et la sécurité doivent être effectives, et il ne sert à rien de dire que chacun doit vivre libre et en sécurité si les institutions en charge de les garantir n'en ont pas les moyens. La situation actuelle d'Europol me rappelle celle de Frontex qui ; alors que la crise migratoire s'annonçait à la fin 2014, devait voir ses crédits budgétaires réduits pour l'année 2015. Les parlementaires nationaux comme européens doivent à nouveau se mobiliser pour donner aux agences européennes les moyens d'agir efficacement.