Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 15 octobre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Messieurs les ministres, je me réjouis de vous voir de retour. L'autre jour, en effet, lorsque nous évoquions l'évasion fiscale, vous n'étiez pas là et nous vous avons regrettés, car c'était intéressant. Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter une motion de rejet du projet de loi de finances pour 2019, car notre groupe estime que ce projet de loi de finances ne répond pas à l'urgence de l'heure, notamment à la question climatique, qu'il crée et développe des inégalités et qu'il est, en réalité, globalement mauvais pour l'économie de notre pays.

Tout à l'heure, M. Woerth expliquait que ce budget était la continuité de celui de 2018. J'en suis entièrement d'accord et, puisqu'il s'agit de continuité, vous me permettrez de revenir brièvement sur ce budget, dont nous constatons déjà qu'il a été une mauvaise affaire pour le pays.

En 2018, vous aviez sorti un chéquier en or massif pour les plus riches, et vous l'aviez d'ailleurs assumé – entre 7 et 9 milliards d'euros de cadeaux fiscaux aux plus riches, et surtout aux détenteurs de capital – : suppression de l'impôt sur la fortune, flat tax, augmentation du versement de dividendes en 2018, suppression de la dernière tranche de la taxe sur les salaires des traders et maintien du CICE et promesse de son aggravation l'année suivante avec sa transformation en exemption de cotisations sociales correspondant à peu près aux 20 milliards d'euros que ce CICE nous coûte malheureusement depuis de trop longues années.

Je rappelle, car c'est toujours bon à écouter, que selon France Stratégie, à qui nous devons la meilleure étude publiée sur le CICE, ce dispositif n'a finalement rapporté – ou, plutôt, sauvegardé – que 100 000 emplois. À propos de l'investissement, le comité de suivi du CICE, dans son rapport d'évaluation, « constate que l'existence d'un effet significatif du CICE sur l'investissement demeure difficile à établir sur la période 2013-2015. Cette absence d'effet, si elle est avérée, n'est pas surprenante, dans la mesure où les décisions d'investissement peuvent nécessiter du temps pour être mises en oeuvre. » Le même rapport évoque également un effet qui serait, au mieux, globalement neutre en termes d'emploi. En matière de tonneau des Danaïdes, on n'a guère fait mieux dans notre pays, depuis quelques années, que le CICE, et vous vous apprêtez malheureusement à aggraver la situation.

Vous avez rempli les poches de la finance et je dois reconnaître, monsieur Le Maire, comme je l'avais fait à l'époque, que vous assumez cette politique qui consiste à alimenter davantage les revenus de la finance, au motif qu'ils serviraient l'investissement et, in fine, l'emploi – j'y reviendrai. D'un autre côté, malheureusement, les classes les plus défavorisées de notre pays avaient le ventre vide à l'issue de ce projet de loi de finances et l'ont toujours aujourd'hui.

Ce budget était notamment marqué par la baisse de 5 euros des APL, la hausse de la CSG de 1,7 %, soit 22,6 milliards d'euros prélevés sur les retraités, la suppression de 180 000 contrats aidés, dont tous ceux qui s'intéressent à la vie réelle des citoyens de ce pays ont vu les conséquences toute l'année, avec la suppression de milliers d'emplois cruciaux pour les associations et les municipalités, que ce soit dans les crèches, les cantines, l'aide aux personnes et aux élèves handicapés – nous évoquions ici même voilà quelques jours les auxiliaires de vie scolaire – , ou les activités périscolaires.

Vous avez enfermé les ministères en les condamnant à une peine d'austérité à perpétuité. Le ministère de la transition écologique, sur lequel je reviendrai aussi tout à l'heure, était carrément menotté, avec 800 emplois supprimés : drôle de manière de faire de l'écologie ! Du point de vue budgétaire, le logement a, lui aussi, été placé en détention, avec 1,9 milliard d'euros de coupes budgétaires, dont 800 millions sur les offices HLM. Le résultat est net et il figure même aujourd'hui dans la presse, avec les conclusions du congrès annuel de l'Union sociale pour l'habitat, qui relève une catastrophe pour le mouvement HLM en France, due à la fois à la baisse des APL, répercutée sur les loyers qui ont dû être baissés d'autant, et au fait que les offices HLM se trouvent désormais sans moyens et sont obligés de vendre leurs parcs, comme vous les y avez autorisés avec la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique – ELAN. La conclusion de ce congrès est que le mouvement HLM survivra peut-être, mais qu'il est malheureusement à craindre qu'il y ait beaucoup moins de constructions nouvelles de HLM dans les années à venir – c'est déjà le cas, mais cela empirera avec la loi ELAN.

Monsieur Giraud disait tout à l'heure que les résultats sont là. Ils sont bien là, en effet, mais ils sont négatifs – ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les chiffres de l'INSEE et de l'OFCE.

Au premier semestre 2018, la France a connu, en termes de croissance et de pouvoir d'achat, un taux de croissance de 0,3 %, alors que ce taux était trois fois plus important dans le reste de la zone euro. Je dois reconnaître, en toute honnêteté, que cette situation n'est pas limitée à la France : il y a en effet un retournement économique au niveau mondial, qui nous fait d'ailleurs craindre que nous soyons plus proches de la prochaine crise financière que de plusieurs années de relance de l'activité et de la croissance. Nous savons tous que, les problèmes structurels du capitalisme financier n'étant en rien réglés depuis la crise des subprimes, le problème n'est pas de savoir s'il y aura une crise, mais plutôt quand elle éclatera.

Cependant, les résultats sont plus mauvais en France que chez nos voisins. À la fin de l'année dernière, j'observais très souvent à la commission des finances, que des collègues de la majorité, et même des ministres, se targuaient des bons résultats de la fin 2017, en raison du premier semestre de l'ère Macron. On nous disait que la relance de l'économie observée fin 2017 s'expliquait par le budget rectificatif et quelques mesures prises ici ou là.

Il vous sera donc difficile d'expliquer aujourd'hui que ces mauvais résultats du premier semestre 2018 ne sont pas dus à votre politique et qu'il faudrait, comme vous le demandez aujourd'hui, juger de votre politique sur le temps long.

Nous pensons au contraire que les résultats enregistrés par l'INSEE sont dus à votre politique, et notamment à votre projet de loi de finances 2018. L'explication est simple : 70 % de l'écart entre les résultats économiques de notre pays et ceux du reste de l'Europe sont dus à la mauvaise performance de la consommation. Le pouvoir d'achat des ménages a connu une baisse de 0,6 % au premier trimestre, soit la plus forte baisse enregistrée depuis six ans en France. Ces mauvais résultats économiques sont la conséquence directe des mauvais choix gouvernementaux lors du dernier projet de loi de finances. Monsieur Darmanin, vous nous expliquiez, en août dernier, que la croissance ne serait pas inférieure à 1,8 % : admettez avec moi que c'est raté, malheureusement, la plupart des experts indiquant qu'elle ne dépassera pas, au mieux, 1,6 %.

Certes, le taux de chômage s'élève à 9,1 %, soit une baisse de 0,3 % par rapport à 2017. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est que nous sommes loin d'une relance : cela stagne. De plus, il n'y a eu que 129 000 créations d'emplois au premier semestre, contre 347 000 en 2017, soit presque trois fois moins en deux fois moins de temps : là encore, les résultats sont moins bons.

Enfin, l'un des maux les plus graves que nous connaissions continue malheureusement à sévir dans ce pays : dans la sixième puissance économique du monde, 9 millions de nos concitoyens vivent en dessous du seuil de pauvreté, dont 70 % se concentrent dans les grandes villes ; 38 % des chômeurs vivent sous le seuil de la pauvreté. J'ai entendu il y a peu qu'il leur suffisait de traverser la rue pour trouver un emploi : j'observe qu'il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver un ministre dans ce gouvernement !

Selon vous, votre budget pour 2018 était ne révolution, raison pour laquelle il faudrait le juger sur le long terme, pour reprendre en substance les propos de M. Le Maire. Or ce budget de l'offre n'a rien de nouveau : il peut même être qualifié de budget du temps des dinosaures, puisque vous ne faites qu'aggraver dangereusement la logique de vos prédécesseurs. Ainsi, Nicolas Sarkozy, que la crise des subprimes a stoppé net parce qu'il a bien fallu que l'État renfloue les banques, avait déjà la volonté de provoquer un choc par sa politique de l'offre. De même, François Hollande, en janvier 2014, expliquait dans sa conférence de presse sur le pacte de responsabilité que l'offre créait la demande et qu'il fallait donc s'orienter vers une politique de ce type.

Autrement dit, monsieur Le Maire, je ne partage pas votre idée qu'il faudrait mesurer les résultats de votre budget à l'aune d'une politique qui serait totalement nouvelle et inconnue en France, consistant à privilégier la baisse du coût du travail – que nous appelons le « prix du travail » – au profit d'un capital dont le ruissellement profiterait à toute la société. Cette politique, malheureusement, est appliquée depuis des années en France : même si vous l'aggravez très fortement, elle n'est en rien nouvelle. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est très étonnant de persévérer dans une vieille politique qui ne marche pas, pis de l'aggraver.

J'en viens maintenant à votre projet de loi de finances pour 2019, qui s'inscrit dans la continuité du précédent. Il appuie sur l'accélérateur et nous mène dans le mur ; il nous entraîne dans une impasse écologique et sociale. Mais cette fois, contrairement à l'année dernière, vous l'assumez moins facilement. Vous prétendez baisser les impôts des ménages de 6 milliards – c'est le grand chiffre que vous avez sorti. Il est toutefois assez étonnant que, pour expliquer ces 6 milliards, vous mélangiez les dépenses du projet de loi de financement de la sécurité sociale avec celles du projet de loi de finances : lorsque, lors de la dernière commission des finances, nous avions mis en avant les chiffres de l'OFCE, M. Darmanin nous avait contesté cette présentation, expliquant que ces chiffres mélangeaient les prestations sociales et la fiscalité. Cela ne peut fonctionner à sens unique : en disant que vous avantagez les ménages à hauteur de 6 milliards, vous mélangez les deux budgets. Convenez dans ce cas que nous avons raison de critiquer cette annonce à l'aune tant du PLF que du PLFSS !

Revenons à ces 6 milliards : selon vous, il s'agit d'argent nouveau. Or, pour une bonne part, ce n'est pas vrai : c'est la baisse de la taxe d'habitation, annoncée il y a un an, qui entre désormais en application. Je suis d'accord avec mon collègue Woerth : il est un peu exagéré, pour ne pas dire scandaleux, que vous vous attaquiez à certains maires. Des militants d'En Marche ! ont même lancé un nouveau hashtag, « balance ton maire » – je trouve cela d'un goût plus que douteux – parce que certains auraient anticipé la future baisse de la taxe d'habitation en augmentant l'actuelle. Je n'aurai pas la cruauté de vous rappeler de combien ont baissé les dotations de l'État aux collectivités territoriales depuis plusieurs années ! Sur les 6 milliards annoncés, 3,8 milliards sont dus à la suppression de la taxe d'habitation, dont nous ne savons d'ailleurs pas aujourd'hui à quelle hauteur elle sera compensée pour les collectivités territoriales. Vous nous dites qu'elle sera entièrement compensée, à l'euro près : c'est ce que l'on dit depuis des années aux collectivités territoriales, sans que cette promesse soit jamais tenue.

Ces 6 milliards intègrent également la baisse des cotisations. Là, c'est l'arnaque totale ! La baisse de ces cotisations consiste en effet à prendre sur le salaire socialisé des Français – ce que nous avons décidé de mettre en commun pour les prestations sociales, la santé, etc. – , prétendument pour augmenter leur pouvoir d'achat. Mais vous comprenez bien que prendre dans une poche pour le mettre dans l'autre, c'est tout sauf une augmentation du pouvoir d'achat des revenus du travail ! En réalité, il s'agit d'un transfert à l'intérieur des revenus du travail.

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