Intervention de Jean-Paul Dufrègne

Séance en hémicycle du lundi 15 octobre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Dufrègne :

Le journal La Montagne revenait, dans son édition de samedi, sur la question de la pauvreté. Hasard du calendrier, la publication du premier rapport sur ce sujet coïncide avec l'examen du présent projet de loi de finances. Si ce rapport indique que la France est, et tant mieux, l'un des pays d'Europe qui présente le taux de grande pauvreté le plus bas, et que la pauvreté n'y a pas explosé au cours de la dernière décennie, elle n'a pas pour autant reculé. De ce point de vue, l'Observatoire des inégalités s'inquiète de pauvres toujours plus jeunes, ou qui élèvent seuls leurs enfants.

Si ce n'est pas une explosion de la misère, c'est tout de même une augmentation significative et un retournement de la tendance des dernières décennies, qui révélait plutôt une réduction des inégalités, analyse d'ailleurs Anne Brunner, cheffe de projet de ce premier rapport. Entre 2006 et 2016, le nombre de personnes pauvres vivant sous un seuil établi à 50 % du revenu médian – soit 855 euros par mois pour une personne seule – est passé de 4,4 millions à 5 millions. Les familles monoparentales, majoritairement des femmes, ont aussi été fortement touchées par la pauvreté au cours des dernières années. Elles représentent près d'un quart de la population pauvre, proportion très supérieure à la part de ces familles dans la population générale.

Selon Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités, le plan pauvreté présenté mi-septembre par Emmanuel Macron fait « peu pour aider ces familles » ; de plus, il « fait semblant d'agir à la racine en voulant donner la priorité aux enfants. [… ] Il faut agir pour les enfants, mais la racine de la pauvreté », tacle le même Louis Maurin, « c'est la précarité de leurs parents, les bas salaires, le chômage ». Ce n'est pas nous qui le disons, mais nous, communistes, le disons aussi, et depuis longtemps, avec d'autres.

Selon les calculs de l'Institut des politiques publiques, les classes défavorisées sont désavantagées par les deux derniers projets de loi de finances, tandis que le 1 % des Français les plus riches voient leur niveau de vie grimper. C'est un comble ! Mais cela correspond tout à fait à votre philosophie économique libérale. C'est ce que vous appelez la politique du « ruissellement ». Elle consiste à donner encore un peu plus à ceux qui ont beaucoup pour que, dans leur grande bonté, dans leur grande générosité, ils en laissent tomber quelques gouttes. Loin du ruissellement, c'est plutôt une politique du goutte à goutte !

Où sont passés, en effet, ces milliards qui devaient faire redémarrer l'économie ? Ceux de l'ISF, ceux de la flat tax, ceux du CICE ? C'était tellement simple que personne avant vous n'y avait pensé : il fallait « libérer les énergies ». Et on allait voir ce que qu'on allait voir ! Or on n'a rien vu. Enfin, si : on a vu le fossé se creuser encore entre ceux qui ont tout, et qui en veulent encore plus, et ceux qui n'ont pas grand-chose.

En fait, il y a une différence fondamentale entre ce projet de loi de finances et celui de l'an dernier. Cette différence ne tient pas à la construction du présent texte ou à la philosophie qui l'inspire. Elle réside seulement dans le temps écoulé depuis le dernier projet budgétaire. Il y a un an, vous marchiez sur l'eau et ce n'était pas le moment de la ramener. Nous étions entrés dans le nouveau monde et, enfin, notre siècle s'ouvrait sur de nouvelles perspectives. Et puis, peu à peu, la vérité s'est révélée, le nouveau monde jupitérien n'avait rien de nouveau et les vieilles recettes n'avaient pas été remisées au placard.

Les malades s'empilent encore dans les couloirs des urgences ; dans les hôpitaux et les EHPAD, les personnels sont à bout de souffle : ils ont eu l'occasion de nous le dire et de nous le répéter à maintes reprises lors de notre tour de France des hôpitaux. Ils et elles n'en peuvent plus. Et quelle réponse apportez-vous ? Que dit le professeur Macron sur cette question ? « Notre système de santé ne souffre pas d'abord d'un problème de sous-financement. Il pèche par un vrai handicap d'organisation. Il n'est pas question de faire moins » – encore heureux : on l'a échappé belle ! « Il n'est pas question non plus, par facilité » – par facilité : certains apprécieront ! – , « de dire qu'il suffit de dépenser plus pour que cela aille mieux. »

On voit bien, au travers de cet exemple, que l'objectif premier est effectivement la diminution des dépenses publiques. Et les Français, en une année, l'ont compris, si bien qu'après l'espoir s'est installée la défiance. Quand vous balayez d'un revers de manche nos amendements, parfois avec ironie ou mépris, ce n'est pas qu'à nous que vous répondez, c'est aussi aux Français et, parmi eux, aux électeurs qui ont cru à vos promesses.

Une deuxième question m'est particulièrement chère. Ce budget prend-il véritablement en compte l'aménagement du territoire ? L'avenir des territoires ruraux est essentiel. Il ne s'agit pas, d'ailleurs, d'opposer le monde urbain et le monde rural, mais de veiller à ce que l'un et l'autre disposent des moyens nécessaires pour offrir aux Français le choix de vie auquel ils aspirent. Dans un contexte de métropolisation croissante, la place des territoires en dehors des grands espaces urbains constitue un enjeu important pour l'avenir de notre pays.

Déclin, abandon, fermeture des services publics, mais aussi et surtout, dirai-je, qualité de vie, dynamisme et renouveau : les représentations collectives liées aux ruralités sont nombreuses et complexes. Si les problématiques sont réelles, la campagne jouit, dans le même temps, d'une attractivité indéniable, chez les urbains comme chez les ruraux. J'ai emprunté ce paragraphe à l'introduction de l'excellente étude réalisée par l'IFOP pour Familles rurales, tant elle me semble bien poser l'enjeu de l'aménagement du territoire.

En effet, les ruralités sont un atout pour le pays ; elles méritent des politiques ambitieuses, respectueuses de leurs spécificités, des politiques qui font confiance à l'intelligence des territoires pour reconnaître et mettre en valeur leurs potentialités. Il nous faut une grande loi d'orientation sur les territoires ruraux. J'ai interpellé tous les ministères pour les sensibiliser. Tous ou presque m'ont renvoyé vers le ministère de la cohésion des territoires alors que chacun est directement concerné. Et c'est bien là le problème : plutôt que chacun tente de régler des questions spécifiques à son ministère, il est urgent d'agréger l'ensemble de ces problématiques dans une grande loi d'orientation afin de nourrir un véritable projet, une vision pour les territoires ruraux – en complémentarité, bien sûr, et non en opposition avec les territoires urbains, où les questions de politique de la ville sont prégnantes.

Les questions relatives au logement et au travail sur un territoire doivent constituer la colonne vertébrale de ce grand chantier urgent à mettre en place. Il s'agira dès lors d'aborder l'habitat, les services – santé, éducation… – , les mobilités, mais aussi l'économie, les métiers de demain, l'innovation, la localisation des activités… pour ne pas céder au fantasme de la concentration ou à cette tendance du big is beautiful, qui nient les réalités de proximité. C'est aussi aborder le sujet du vivre ensemble autour du tissu associatif ou encore l'offre culturelle. Or on ne trouve rien de cela dans ce projet de loi de finances, au contraire : une baisse du budget de la cohésion des territoires et une baisse incompréhensible de celui de l'emploi dans le contexte que nous connaissons, sans parler de l'agriculture dont le budget, lui aussi en diminution, est un bien mauvais signal aux agriculteurs en proie au doute et qui sont pour beaucoup confrontés à une sécheresse sans précédent – comme c'est le cas dans mon département de l'Allier.

Après avoir constaté qu'il s'agissait d'un budget d'injustices, on peut donc aussi le qualifier de budget de renoncement et d'abandon – abandon aussi des territoires ultramarins pour lesquels de nombreuses particularités, sur le plan fiscal, sont aujourd'hui remises en cause, faisant dire à de nombreux élus d'outre-mer de diverses tendances qu'on les oblige à financer leur développement par leurs propres moyens.

Il est intéressant, sur ce point, de s'attarder quelques instants sur le dernier rapport de la Cour des comptes concernant les finances publiques locales. La Cour note que l'impact de la baisse de la dotation globale de fonctionnement a été rapide et marqué sur les dépenses d'investissement qui ont reculé de 11 % entre 2013 et 2017. La Cour pointe également la persistance de grandes disparités locales, y compris au sein de chaque catégorie de collectivités. Ainsi, au sein du bloc communal, les divergences d'évolution constatées par strate de population suggèrent que la maîtrise des charges est plus délicate à obtenir dans les petites collectivités que dans les ensembles intercommunaux de grande taille, notamment les métropoles et leurs communes membres, qui présentent plus de capacités de mutualisation et un degré d'intégration plus élevé.

Toujours selon la Cour, la baisse programmée de ces concours financiers de l'État devrait tenir davantage compte des niveaux de ressources et de charges des collectivités, afin d'individualiser les efforts de gestion. Ce rapport, au demeurant très intéressant, revient sur l'article 13 de la loi de programmation des finances publiques, qui soumet dès 2018 les dépenses des collectivités locales à un objectif national d'évolution de 1,2 % par an au maximum en valeur. La Cour juge que cet objectif est ambitieux si l'on tient compte de l'inflation qui connaît une reprise depuis 2017. Pour l'atteindre, les dépenses de fonctionnement devraient baisser à partir de 2020 en termes réels, c'est-à-dire déduction faite de la hausse des prix. Est-ce bien raisonnable ? Est-ce surtout tenable ? Il faut réparer cette saignée faite aux collectivités.

La troisième question importante pour moi, pour nous, concerne la transition écologique. Nicolas Hulot a claqué la porte du Gouvernement en dénonçant une politique des petits pas et le fait que les grands enjeux n'étaient pas pris en compte. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, en quoi ce budget change la donne par rapport au constat alarmiste de l'ancien ministre de l'écologie, à part une fiscalité écologique qui dépasse le niveau acceptable pour des citoyens qui n'ont pas le choix, obligés qu'ils sont de passer à la pompe où le prix des carburants va de 1,60 à 1,70 euro ? Samedi, lors d'une inauguration, dans un petit village de ma circonscription, le maire, avec un brin d'humour mêlé de colère déclarait : « Avant, j'avais peur du vide, maintenant, j'ai peur du plein. »

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