Intervention de Jean-Paul Dufrègne

Séance en hémicycle du lundi 15 octobre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Dufrègne :

Quand on propose d'ajouter ne serait-ce qu'une seule tranche d'imposition au barème de l'impôt, c'est tout de suite un tollé. On parle alors, en effet, de fiscalité confiscatoire. Et là, ce n'est pas confiscatoire, des taxes aussi importantes pour ceux qui les paient ? Avec tout ce qu'on a entendu pendant les débats sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable – EGALIM – , on pouvait s'attendre à des mesures fortes pour l'agriculture sous sigle de qualité – eh bien, non, rien ! Rien non plus concernant un grand service public de l'énergie, rien de contraignant dans ce domaine pour les entreprises dont les pratiques ne sont pas toujours très vertueuses. Ce budget n'est donc pas non plus un budget d'anticipation : il ne prépare en rien l'avenir face aux grands défis du monde.

Les sondages ne sont pas favorables au Président de la République dont la cote de popularité s'effrite au fil des semaines depuis le début de l'été et encore plus depuis la rentrée. Malgré ces nombreux signes de mécontentement, le chef de l'État campe sur ses certitudes et déclare qu'il ne changera pas de cap. Le suspense insoutenable du remaniement ministériel a alimenté la chronique tout au long de la semaine après le départ du ministre de l'intérieur retourné à la vie lyonnaise. On tente de nous faire croire que tout ira bien avec quelques têtes nouvelles, mais cela me rappelle ce que me disait, avec son accent bourbonnais bien trempé, après un changement de ministre de l'agriculture, un agriculteur pour lequel je travaillais : « Je vais vous y dire moi, monsieur Dufrègne, on a changé le flacon, mais on n'a pas changé ce qu'il y avait dedans ! »

Eh bien, oui, peu importe qu'on change de ministre si on ne change pas de politique ! Et pourtant, et c'est bien ce qui motive notre motion de renvoi en commission : si d'autres choix sont bien sûr possibles, ils sont avant tout nécessaires. Nous vous avons fait des propositions, vous les avez toutes repoussées. Alors je vous mets en garde : quand on est trop sûr de soi-même, on n'est pas loin d'en faire une, si elle n'est pas déjà faite… Un renvoi en commission permettrait de corriger cette trajectoire qui, nous le voyons bien, n'apporte rien au pays ni aux Français, si ce n'est à une petite minorité de privilégiés qui peuvent dormir sur leurs deux oreilles – la maison est bien gardée.

Nous pouvons récupérer des moyens importants qui nous permettront de mettre en place des politiques plus vertueuses sur les plan social, économique ou environnemental.

J'ai abordé la question des impôts. Parlons de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Nous vous avons une nouvelle fois proposé d'en revoir la progressivité en augmentant le nombre des tranches et en modifiant les taux, comme cela été fait il n'y a pas si longtemps – niet ! Et pourtant l'impôt sur le revenu est le plus juste car progressif, précisément. Il permet à chacun de contribuer en fonction de ses ressources, même si de nombreux dispositifs pour les réduire existent et favorisent plutôt ceux qui en paient le plus.

L'impôt sur le revenu permet aussi de réduire les disparités salariales mais son produit est trop faible par rapport à celui de la TVA qui est, lui, l'impôt le plus injuste puisqu'il frappe la consommation. C'est pourquoi nous proposons de supprimer la TVA sur des produits de première nécessité et de ramener son taux normal à 19 %, comme en Allemagne, pays que vous prenez souvent en exemple. Nous proposons d'arrêter de faire les poches aux chambres consulaires, comme les chambres de commerce et d'industrie – CCI – , que vous obligez à licencier des personnels dont les fonctions sont utiles au développement des territoires.

Nous proposons en outre de revenir sur la suppression de plus de 4 000 postes de fonctionnaires et donc sur l'assèchement progressif de nos services publics. Nous proposons de faire de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, qui nous privent aujourd'hui de 60 à 80 milliards d'euros, une grande cause nationale. Nous proposons de revenir sur les questions de pouvoir d'achat des actifs et des retraités. Nous proposons de conditionner les réductions de cotisations sociales à des engagements sociaux et environnementaux. Nous proposons de revenir sur la privatisation de plusieurs entreprises stratégiques comme Aéroports de Paris, la Française des jeux ou encore Engie.

J'arrête là cet inventaire à la Prévert car c'est en fait l'ensemble de vos politiques qu'il faut aujourd'hui revoir. Vous conduisez en effet le pays dans une impasse en renforçant le sentiment de colère et de relégation. Ne vous étonnez pas alors que ce sentiment d'abandon, voire de trahison, nous conduise sur des chemins que nous pensions pourtant fermés à jamais. À celles et ceux que le doute envahit, nous disons qu'il ne faut jamais perdre espoir car un combat n'est jamais perdu par avance.

J'ai fait référence à plusieurs études ou articles de presse. Je conclus en citant le Nouveau magazine littéraire du mois d'octobre, dont je vous recommande la lecture, en particulier celle du dossier très intéressant intitulé : « Le capitalisme ne répond plus ». En préambule, ce dossier pose le décor : le système capitaliste est- il devenu incontrôlable ? Sa dérive financière semble l'avoir porté hors d'atteinte des mises en garde d'experts comme de la régulation d'États dépassés par la surpuissance des GAFA – Google, Amazon, Facebook, Apple. L'enrichissement frénétique des plus riches au détriment des salariés creuse un fossé qui pourrait être sa tombe, surtout si persiste sa quête effrénée du profit contre l'écologie. Pour stopper cette course folle à l'abîme, il reste la force des réflexions, des opinions, des mouvements qui s'esquissent contre le capitalisme aveugle et sourd.

Je voudrais en terminant avoir une pensée particulière pour les victimes des inondations dans l'Aude.

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