Je ne répondrai que sur la question de la fonction du père, en précisant que je partage les propos de M. Joly.
Je parlerai depuis ma position de coprésidente de l'AGPL, mais aussi de ma position d'avocate et de médecin, psychiatre et psychanalyste. J'ai travaillé en prison, où j'ai vu des enfants nés de manière dite naturelle au sein de couples hétérosexuels – et ce sont eux qui remplissent les prisons. On peut donc agiter tous les fantasmes ; il ne s'agit jamais que d'épouvantails.
La question du père est complexe, singulièrement pour les professionnels. Elle est délicate à expliciter en peu de temps, mais les études montrent que les enfants élevés dans les familles monoparentales grandissent comme les autres, et que le facteur de couple n'est pas discriminant. Ce qui est discriminant, c'est le niveau socio-économique des parents, la cellule familiale dans ce qu'elle offre, rapporté à un certain nombre d'éléments qui sont aujourd'hui assez bien documentés, et qui concourent au développement harmonieux d'un enfant.
Certaines études ont mis en évidence un tout petit peu de stress supplémentaire chez ces enfants, notamment parce qu'ils subissent parfois des discriminations dues à l'orientation sexuelle de leurs parents. Une avancée de la législation qui permettrait à ces familles de se sécuriser et de se rassurer serait bénéfique pour les enfants.
La question du fantasme des origines chez les enfants constitue un thème psychanalytique bien connu ; tous les enfants le conçoivent. En général, ils ne se contentent pas de leurs vrais parents, il leur en faut d'autres, bien meilleurs, bien plus forts, avec un père héroïque devant lequel leur vrai père ne fait pas le poids. Cela est normal et fait partie du développement des enfants dont ces fantasmes participent à leur construction.
Pour les personnes à qui leur conception posera problème, c'est à vous, législateur, qu'il revient d'anticiper cette question en permettant d'accéder à une connaissance de leurs origines s'ils en éprouvent le besoin pour construire leur personnalité. Quelques informations sur le donneur pourraient être rendues accessibles, ce qui pourrait lever certains fantasmes.
J'ai vu, dans des conditions pas toujours heureuses, des adoptés qui rencontraient leur mère d'origine à l'âge adulte. Cela n'était pas toujours bienvenu, car l'écart entre ce qu'avaient fantasmé les intéressés et la réalité qu'ils rencontraient était parfois si important qu'ils avaient du mal à s'en remettre.
Je rappelle, a contrario, que tous les trois jours une femme meurt sous les coups de son conjoint, et que les relations entre les hommes et les femmes au sein des couples hétérosexuels ne sont pas toujours les meilleures. Les enfants souffrent de ces situations, aussi avoir un père n'est-il pas toujours une bonne chose ; il ne faut donc pas fantasmer sur ce qu'est la bonne famille. La bonne famille est celle qui donne de l'amour à l'enfant, qui n'est pas dans la violence et lui donne une sécurité. Je répète que les études montrent que la bonne famille est celle qui donne à l'enfant les moyens de grandir et de devenir une femme ou un homme responsable qui sait avoir été aimé dans son enfance.
Enfin, si le législateur ne souhaite pas que des enfants grandissent sans père, puisque nous sommes en 2018 et que nous commémorons le centenaire de la Première Guerre mondiale : pouvez-vous m'expliquer pourquoi l'État a envoyé 9,7 millions de soldats mourir à la guerre, privant ainsi des familles de père et laissant les femmes se débrouiller pour élever leurs enfants ?