Merci de m'avoir invité. J'avais déjà été auditionné voici quelques années et suis amusé de constater que les mêmes sujets nous occupent aujourd'hui encore, puisque la précédente révision de la loi relative à la bioéthique n'avait pas apporté d'avancées dans certains des domaines concernés.
Vu le temps imparti, j'ai choisi de n'évoquer que l'ouverture de la PMA aux femmes seules et homosexuelles, l'autoconservation ovocytaire et de dire quelques mots sur le « chiffon rouge » que constitue la GPA.
Je voudrais, en toute modestie, préciser en préambule que j'ai fait un doctorat de médecine consacré aux données périnatales des enfants conçus en fécondation in vitro et un doctorat de science en médecine et biologie de la reproduction sur le développement des enfants conçus en procréation médicalement assistée. Je me permets de vous l'indiquer pour vous montrer que je connais bien ce sujet, qui m'a beaucoup intéressé et auquel j'ai consacré un nombre considérable de publications. J'ai eu l'occasion d'en étudier les problématiques et les écueils.
Concernant l'extension de la PMA et son ouverture aux couples de femmes et aux femmes seules, le débat me semble souvent assez confus. A mes yeux, la question principale, qui doit conditionner la décision, est de savoir si le développement des enfants concernés est affecté par ce type de parentalité. Il s'agit selon moi du point essentiel : ces enfants sont-ils malheureux ? Ont-ils des problèmes particuliers ? D'autres questions doivent également être abordées, mais en deuxième ligne : elles concernent l'éventuelle application de cette autorisation, en termes de disponibilité du sperme, de critères d'accès, de remboursement par la sécurité sociale. Bien évidemment, tous ces sujets sont mêlés, mais la question prioritaire est, selon moi, essentiellement liée au devenir de ces enfants.
Pour ce qui est des couples de femmes, je voudrais insister sur le fait que l'on a mesuré le devenir de ces enfants, dans trois thématiques principales que sont les performances scolaires, les troubles affectifs et les troubles du genre. Ces études sont souvent faites à l'étranger, mais il existe aussi une bonne trentaine de travaux menés en France et cités dans un ouvrage que j'ai publié en mai dernier, intitulé Pour la PMA. Ces études ont été critiquées, car basées sur une participation volontaire de couples de femmes homosexuelles, ayant souvent conçu leurs enfants auparavant, au sein d'un couple hétérosexuel, et ayant ensuite changé d'orientation sexuelle. La situation était donc particulière, puisque ces enfants avaient été soumis à ces extraordinaires bouleversements que sont un divorce, d'éventuels conflits et le changement de partenaire de leur mère. Pour résumer d'une phrase, je tiens à souligner qu'aucune étude ni méta-analyse effectuée à partir de ces travaux grâce aux techniques statistiques n'a montré que les enfants élevés dans le cadre de couples homosexuels présentaient des troubles du développement. Une ou deux études ont fait apparaître quelques retards de performances scolaires, toutefois annulés dès lors que l'on procédait à des corrections par rapport à la situation des parents, à leur éducation, au milieu scolaire, etc. Une étude très intéressante a par ailleurs mis en lumière le fait que des troubles étaient plus fréquemment constatés dans les pays dans lesquels l'acceptation d'enfants de couples homosexuels était mal vécue par la société. Ce fut le cas par exemple dans la comparaison effectuée entre la situation en Hollande et aux Etats-Unis. A priori, aucune étude ne montre que ces enfants vont mal.
Concernant l'accès des femmes seules à la PMA, la situation est sensiblement différente, dans la mesure où il existe peu d'études. On manque donc de données scientifiques. On dispose en revanche des informations fournies par les pays ayant procédé à l'ouverture de la PMA aux femmes seules. En Belgique par exemple, on procède à des inséminations de femmes seules et de femmes homosexuelles depuis 1984. Les équipes y ont donc acquis une certaine expérience. Des études de suivi de ces familles y ont été organisées, qui ont montré que des problèmes pouvaient survenir. Cela a conduit à assortir la prise en charge de critères psychologiques clairement définis, évalués lors d'un entretien psychologique spécifique. Aujourd'hui, cette pratique se poursuit, en faisant preuve de vigilance et avec des résultats tout à fait satisfaisants en termes de performances scolaires et de développement des enfants. Lorsque je suis amené à donner un avis à des femmes seules qui souhaitent avoir accès à la PMA, je leur conseille vivement de se rendre en Belgique, pour bénéficier de cet entretien et ne pas être soumises à la logique purement commerciale qui prévaut en Espagne par exemple. Certaines patientes ont vu leur demande refusée suite à l'entretien psychologique, ce qui témoigne du sérieux du dispositif.
Je ne nie absolument pas l'importance des questions corollaires. Elles concernent tout d'abord la disponibilité du sperme : je pense toutefois que ces femmes pourront peut-être contribuer à ce que de nouveaux donneurs viennent dans les banques de sperme. Certains pays, dont la Belgique, ont par ailleurs passé des accords avec des banques étrangères sélectionnées, sur la base d'un cahier des charges précis incluant des conditions éthiques de recrutement des donneurs et de disponibilité des paillettes : on estime ainsi que 60% à 70 % des paillettes de sperme utilisées par les équipes belges viennent de pays étrangers, notamment du Danemark.
Concernant les critères d'accès, je rappelle que l'on s'adresse aujourd'hui en France, pour tout don de sperme pour des couples hétérosexuels, aux centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS), selon des procédures tout à fait clairement établies, comprenant des entretiens psychologiques. On peut ainsi très bien imaginer procéder de la même manière si l'autorisation d'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules est votée, avec des entretiens psychologiques et des critères de sélection conduisant à s'assurer que l'enfant se développera dans de bonnes conditions. Ce dispositif pourrait éventuellement être renforcé pour les femmes seules, en tenant compte de l'expérience belge.
La question du remboursement par la sécurité sociale est une problématique tout à fait importante : ne pas rembourser cette pratique induirait une sélection par l'argent, puisque, comme c'est déjà le cas pour les femmes se rendant à l'étranger, seules celles qui en auraient les moyens pourraient en bénéficier. La rembourser à toutes les femmes soulèverait le problème de la contribution solidaire pour remédier à une stérilité non médicale. Je conteste toutefois l'idée que la prise en charge soit totalement non médicale, dans la mesure où l'interdiction donne par exemple lieu aujourd'hui à des auto-inséminations à la maison, dans des conditions sanitaires douteuses : il y a donc une certaine valeur ajoutée médicale dans le fait d'éviter que ces femmes se fassent traiter en dépit du bon sens ou procèdent à des inséminations dangereuses pour elles. Il y a assurément un service médical rendu. La stérilité n'est peut-être pas médicale, mais l'intervention de la médecine est, à mon avis, souhaitable et préférable au fait que les femmes aient recours, via internet, à des gens plus ou moins vertueux. Je pense que l'on pourrait imaginer un bouleversement de la sécurité sociale, en créant une aide forfaitaire, liée à des conditions de ressources. Cette option aurait d'ailleurs été évoquée à demi-mots par le premier ministre récemment.
Sans doute pourrait donc également envisager d'encourager ces femmes à utiliser le sperme d'un donneur connu, comme le font déjà certaines femmes homosexuelles, qui font appel à un ami. Cela pourrait régler le problème de l'anonymat, question importante que je n'aurai toutefois pas le temps d'aborder, sauf si vos questions m'y invitent.
Concernant l'autoconservation ovocytaire, il faut savoir que l'âge de la première grossesse augmente d'année en année. Les femmes souhaitant avoir des enfants après 38 ou 40 ans sont de plus en plus nombreuses, entre celles qui se décident tardivement et celles qui, après un divorce, connaissent une nouvelle union. La fertilité féminine décroît par ailleurs après 35 ans et devient très faible après 40 ans. Or l'assistance médicale à la procréation ne permet pas de pallier la perte de fertilité liée à l'âge. La seule solution consiste donc à orienter ces femmes vers le don d'ovocytes, qui est pour moi un sujet crucial, mais semble passé aux oubliettes, si bien que les femmes sont obligées de se rendre à l'étranger. Je ne vois pas pour quelles raisons interdire l'autoconservation ovocytaire, à partir du moment où l'on informe clairement ces femmes qu'il ne s'agit pas d'une panacée et qu'une autoconservation ovocytaire ne leur permettra pas à coup sûr d'obtenir une grossesse. Il est en outre important, pour que les chances de réussite soient optimales, de réaliser l'autoconservation relativement tôt ; or il est probable que les femmes qui pensent aujourd'hui tardivement à la maternité penseront également tardivement à recourir à l'autoconservation ovocytaire. Les femmes jeunes n'envisageront pas cette possibilité. Comme vous le savez, le Comité consultatif national d'éthique a changé d'avis sur le sujet et s'est prononcé en faveur de l'autoconservation ovocytaire.
Pour ce qui est du « chiffon rouge » de la GPA, agité à dessein selon moi par les opposants à la PMA, il convient de souligner que l'une des différences entre l'homme et la femme est la présence chez cette dernière d'un utérus, qui lui permet d'être enceinte. Il n'existe de ce point de vue aucune égalité entre hommes et femmes. Cela n'a pas de sens. C'est comme si l'on demandait, au nom de l'égalité, que les hommes puissent allaiter leurs enfants. Pour moi, la question de l'égalité ne se pose pas dans ce domaine.
En conclusion à ce court exposé, il est clair pour moi qu'il faut autoriser l'accès des femmes homosexuelles à l'AMP, car de nombreux pays l'ont fait et que les résultats en sont dans l'ensemble satisfaisants, et l'autoriser avec certaines réserves pour les femmes seules, situation pour laquelle on dispose de moins d'études et qui demande une certaine vigilance. Je suis également favorable à l'autoconservation des ovocytes, avec des critères d'âge pour l'autoconservation et pour l'utilisation des ovocytes et à condition qu'une information soit donnée aux femmes sur les limites de cette pratique.
Je vous remercie.