S'agissant du défi cybernétique, la France était très en retard, il y a dix ans, y compris par rapport à certains de ses voisins européens, notamment notre voisin britannique. Mais nous avons rattrapé ce retard. Voilà la bonne nouvelle.
L'autre nouvelle, un peu moins bonne, c'est que, pour l'essentiel, en matière de cyberguerre et de cybersécurité, nous sommes plus réactifs que proactifs, en ce que nous nous contentons souvent de réagir à l'événement. Ainsi, nous parvenons à nous maintenir raisonnablement à niveau face à l'état actuel de la menace, mais je ne suis pas sûr que nous nous projetions à dix ans. Or, dans dix ans, le paysage aura profondément évolué, avec la pénétration de l'intelligence artificielle dans la vie quotidienne des personnes et des nations.
Ma troisième observation, c'est que, dans le domaine cybernétique comme dans beaucoup d'autres domaines de la vie humaine, les meilleures défenses sont des défenses diversifiées et organisées dans la profondeur. Un système basé sur un seul principe risque de connaître des malheurs, comme la ligne Maginot en 1940. Ce principe de base est partagé par la plupart des stratèges, et pourtant il est assez souvent oublié dans l'organisation de la sécurité cybernétique des acteurs étatiques et non étatiques. On pense technique plutôt que stratégie.
Or ce sujet irrigue tout. La sphère informationnelle est une sphère qui fait partie de notre réalité quotidienne, comme l'air que nous respirons, ou comme l'eau que nous buvons. La question n'est pas de savoir si c'est une priorité ou non. C'est tout simplement quelque chose qui est là. Il faut donc s'en assurer la maîtrise. Et la meilleure maîtrise, c'est d'être présent à la naissance de la technologie et des innovations correspondantes.
Lorsque vous êtes Kaspersky ou Yandex en Russie, Alibaba ou Weibo en Chine, Amazon ou Facebook aux États-Unis, vous êtes assis sur le robinet du futur. Et ce robinet n'existe pas vraiment, du moins pas à cette échelle, en Europe.
J'en viens à l'Europe-puissance et au devenir de l'Europe. Au cours des vingt dernières années, les relations franco-allemandes sont tombées dans la dimension incantatoire, celle du moulin à prières, brandi à Paris et à Berlin. Sous Kohl et Mitterrand, sous de Gaulle et Adenauer, c'était une relation opératoire. Commençons par un rappel basique. La relation entre les deux pays n'est pas forte parce qu'ils ont la même conception de l'Europe au départ – Adenauer était fédéraliste, tandis que De Gaulle défendait une Europe des patries –, mais parce qu'ils ont décidé une fois pour toutes qu'il faut se mettre d'accord et que de cet accord naît, éventuellement, le progrès de l'ensemble européen.
Nous ne sommes donc pas dans un système où les Français pourraient demander aux Allemands de faire une Europe-puissance tandis que les Allemands nous demanderaient de faire de l'Europe de la norme. Au contraire, on se mettra sur de grands principes, dans le cadre d'une négociation, chacun étant conscient de la nécessité d'un accord final.
Parmi les points cruciaux figure notamment la question de l'Europe à une ou à plusieurs vitesses. Le Royaume-Uni était un exemple, je n'ose dire magnifique, mais plutôt tragique, de cette dernière. En effet, alors que l'on récusait l'idée qu'il y ait une Europe à plusieurs vitesses, certains membres, déjà, ne participaient pas aux accords de Schengen, à la zone euro, ou à l'aventure de l'Europe de la défense – je pense sur ce dernier point au Danemark. Voilà un débat à trancher.
Par ailleurs, quel sort particulier faire à la zone euro ? MM. Macron et Juncker n'en ont pas la même vision. J'espère que le débat franco-allemand va s'ouvrir sur cette question. Mais j'ai une petite inquiétude : Mme Merkel, chancelière sortante et très probablement future, n'aura, à mon sens, qu'un mandat personnel. La campagne des élections fédérales qui est en train de s'achever a vu se développer très peu de débats de fond ; peu de sujets clivants sont apparus. Le seul parti à se livrer à l'exercice, Alternative für Deutschland (AfD), le fait avec un discours que l'on connaît trop bien – il en retirera peut-être quelques bénéfices, d'ailleurs.
Autrement dit, la coalition allemande issue des élections risque de ne pas avoir de mandat programmatique, en face d'un président de la République et d'une Assemblée nationale français qui en ont un, au moment où ils entrent dans la négociation. Les Français ont déjà fait des propositions, tandis que les Allemands sont dans un mode réactif. Ce n'est pas forcément la meilleure des situations.
Enfin, s'agissant de la Méditerranée, je suis d'accord avec vous. C'est précisément pour cette raison que j'ai mis l'accent, dans mon exposé, sur la zone méditerranéenne qui est la plus proche de nous, celle qui nous relie à l'Afrique. C'est là que nos intérêts sont le plus profondément engagés et que les enjeux, mais aussi peut-être les risques, sont les plus importants pour notre pays.