Je commencerai par la vocation maritime de la France. Il existe un secrétariat général de la mer, chargé de la présence de la France en mer. Toutefois, chaque ministère concerné – le ministère des finances avec les douanes, le ministère de l'intérieur et bien sûr le ministère de la défense – a sa marine, et nous n'avons pas une politique unique de préservation de nos intérêts dans nos zones économiques exclusives (ZEE). Tant que ne sera pas créée une structure interministérielle dotée d'une capacité d'incitation budgétaire, nous resterons dans cette situation absurde de sous-équipement. Cela doit être corrigé par une réforme de l'État.
Une nouvelle crise financière mondiale est-elle possible, demande M. Berville. Oui. Lorsque pendant plusieurs années les taux d'intérêt des banques centrales avoisinent zéro, cela provoque une inflation désordonnée de toutes sortes d'actifs. Lors d'un récent voyage en Bosnie-Herzégovine, pays dont la situation économique est loin d'être flamboyante, j'ai demandé aux représentants des grandes institutions financières internationales comment les choses se passaient. Ils m'ont répondu qu'ils n'avaient rien à faire, car la Bosnie n'a aucun mal à lever des fonds sur les marchés financiers internationaux. Quand le taux est à 0 %, les établissements financiers peuvent prendre le risque de prêter à un tel pays. Inutile de vous dire qu'une bulle s'est formée pour divers actifs – des actifs boursiers jusqu'aux dettes souveraines – et je crains que cela ne se termine très mal.
J'en viens à l'implication de la France dans le monde, question de M. Son-Forget. La France est membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Elle a, à ce titre, le devoir de s'intéresser à tout afin d'être de tous les débats aux Nations unies. Nous en avons les moyens. Nous disposons d'un atout, que les Britanniques sont peut-être en train de perdre, que possèdent les Américains et les Russes et que sont en passe d'acquérir les Chinois : la capacité de penser mondialement. Mais notre action internationale a un coût élevé en termes d'argent et de vies humaines. Nous n'allons pas investir notre aide publique au développement et déployer des soldats dans un pays comme le Venezuela, du moins je l'espère. Par ailleurs, il faut prendre garde à ne pas céder à la tentation de rentrer dans certaines médiations quand les situations ne sont pas mûres. Les Koweitiens poussent les Français et les Britanniques à s'investir dans le conflit qui oppose l'Arabie saoudite et quelques autres au Qatar. Attention ! Cela risque d'être douloureux pour nous à la sortie.
Pour le Brexit, il s'est passé quelque chose de tout à fait formidable, d'inattendu, de bienvenu : les Vingt-Sept ont très rapidement bâti une attitude commune. Et il n'y a pas de raison de penser que cela ne va pas continuer ainsi. C'est l'occasion pour nous de procéder à la remise en ordre européenne, avec un retour à l'axe franco-allemand.
Pour ce qui est de l'aide publique au développement, la France avait la fâcheuse habitude de procéder par allégements de dettes plutôt que par dons destinés à financer des projets de développement. J'espère que les 4 milliards qui ont été évoqués seront des sommes apportées et non des sommes retranchées. L'aide publique fait bel et bien partie du trépied que j'ai défini : elle appartient à la diplomatie. D'où la fusion entre le Quai d'Orsay et ce qui était à l'époque la rue Monsieur, siège aujourd'hui de l'ambassade de Chine – mutation symboliquement intéressante, soit dit en passant…
Vous parlez, madame Rauch, de retard démographique de la France. Je suis en désaccord avec ce diagnostic. Des pays bien portants peuvent aussi bien être densément peuplés – prenons Singapour et ses 6 000 habitants par kilomètre carré – que faiblement peuplés, comme les États-Unis avec leurs 20 habitants par kilomètre carré. Notre démographie se compare avantageusement, par la composition de la population et sa dynamique, à celles de la plupart des États d'Europe.
Le désarmement nucléaire est bien sûr un objectif, monsieur Lecoq. La France y a souscrit en 1978, du temps de la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, lors d'une Assemblée générale extraordinaire des Nations unies. C'est toutefois un jeu dont la conduite ne va pas de soi, car certains pays désarment et d'autres pas. M. Kim Jong-Un ne vise pas franchement le désarmement nucléaire, pas plus que M. Trump ou M. Poutine, sans parler de la Chine ou du Pakistan. Quand une grande partie des puissances nucléaires sont déterminées à jouer de leur avantage, nous ne pouvons nous défaire de ce qui constitue une assurance-vie.
Je termine par la Russie. La faiblesse ne rend pas doux, elle ne rend pas aimable. La Russie a peut-être le PIB de l'Espagne, mais elle a le comportement du Japon d'avant-guerre. Ce pays avait 2 % du PIB des États-Unis, et cela ne l'a pas empêché de frapper Pearl Harbor. Le parallèle est peut-être osé – je ne soupçonne pas M. Poutine de vouloir fomenter une attaque équivalente. Mais la Russie n'est pas une puissance de statu quo. Elle veut réécrire les règles de fonctionnement de l'Europe, voire de territoires au-delà. Elle se lance dans l'info-guerre, dans la guerre hybride. Elle cherche à acquérir les moyens qui permettent de suppléer à sa faiblesse fondamentale : l'agilité politique et militaire, atouts formidables, qui permettent aussi à notre pays d'être encore une grande puissance. L'agilité peut être mise au service de bonnes causes – c'est le cas de notre pays en général – mais aussi de moins bonnes causes, comme diraient peut-être les Tatars de Crimée.
M. Trump dans son discours d'hier à l'ONU, a utilisé quarante et une fois le mot « souveraineté », mais pas une seule fois il n'a évoqué les violations de souveraineté de la part de certains États, je pense notamment à la Russie.