Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mercredi 10 octobre 2018 à 21h30
Commission des affaires sociales

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Monsieur Véran, vous m'avez posé la question de la CMU contributive et du coût pour les mutuelles. Je tiens à vous rassurer : les organismes complémentaires qui couvriront les assurés – ex-système ACS – seront remboursés intégralement des frais de santé pris en charge pour la CMU dans la limite d'un forfait. En offrant cette CMU contributive, elles ne prennent aucun risque d'avoir des contrats déficitaires, d'autant qu'elles percevront un forfait de gestion. Le coût global pour les finances publiques de cette réforme est estimé à 200 millions d'euros à l'horizon 2022 et sera effectivement financé par le fonds CMU-C.

Vous proposez un forfait de réorientation qui bénéficierait aux établissements de santé qui réorienteraient les patients pris en charge aux urgences. Je vous confirme l'intention du Gouvernement de proposer une mesure incitative à la bonne orientation des flux d'urgence par la création d'un forfait de réorientation qui pourrait être pris en charge totalement par l'assurance maladie. Je serai donc favorable à toute initiative de votre part en ce sens.

Monsieur Mesnier, vous m'interrogez sur la position du Gouvernement en ce qui concerne la prime de naissance. C'est un gouvernement précédent qui avait décalé la prime de naissance, prime qui, depuis le 1er janvier 2015, est versée après la naissance de l'enfant. Nous savons que ce n'est pas très logique, mais revenir sur ce décalage coûterait 200 millions d'euros à la branche famille pour 2019. Ce n'est pas une priorité identifiée cette année par le Gouvernement. La politique familiale privilégie par ailleurs le soutien aux familles les plus modestes et les plus fragiles. J'y reviendrai lorsque j'aborderai la stratégie pauvreté qui couvre en particulier des besoins des enfants les plus défavorisés.

Monsieur Door, vous m'interrogez sur la politique du médicament du Gouvernement. Le PLFSS pour 2019 permet de concrétiser plusieurs engagements que nous avions pris dans le cadre du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) au mois de juillet dernier. Nous mettons en place un dispositif de régulation plus simple et plus prévisible face aux évolutions du budget du médicament, nous permettons l'accès plus rapide aux thérapeutiques les plus innovantes à travers l'élargissement du dispositif des autorisations temporaires d'utilisation (ATU) aux nouvelles indications, mais effectivement nous prônons aussi des économies. Au vu de la dynamique de dépenses des médicaments aujourd'hui dans notre pays, ces économies n'obèrent pas la capacité à tenir nos engagements, à savoir une croissance du secteur de 0,5 %. Avec les économies prévues, les engagements du CSIS seront tenus.

L'article 42 est particulièrement complexe pour tenir compte des remarques des industriels. C'est un article qui permet la régulation de la dépense sur des ATU données pour les extensions d'indication d'AMM. En pratique, il s'agit d'éviter que nous soyons obligés de payer en ATU le prix le plus fort qui est celui obtenu par l'AMM initiale, mais ce mécanisme garantit aux industriels que si le prix fixé in fine pour la nouvelle indication est supérieur au prix que nous avons payé pour l'ATU de cohorte, il y aura un reversement. La complexité de l'article 42 traduit en fait différents engagements que nous avons pris vis-à-vis des industriels. Cela explique la rédaction que vous trouvez illisible.

Vous craignez que le dispositif « 100 % santé » n'entraîne une augmentation des complémentaires santés. Vous le savez, il s'agit d'une réforme majeure pour beaucoup de Français et un effort très important que nous avons demandé à l'ensemble des filières. En fait, cet effort porte à la fois sur le budget de l'assurance maladie et sur les professionnels de l'ensemble de la chaîne de valeur. Je rappelle que le dispositif « 100 % santé » représente 750 millions d'euros de dépenses supplémentaires pour le budget de l'assurance maladie. C'est donc loin d'être un transfert de charges en direction des complémentaires santé. La sécurité sociale va réinvestir sur l'ensemble de ces secteurs, avec un étalement dans le temps pour que ce soit absorbable, d'où une réforme qui débute en 2019, s'étale en 2020 et sera en pleine puissance, c'est-à-dire avec un reste à charge de zéro à partir du 1er janvier 2021. Cela passe par la modération du prix des lunettes ou des audioprothèses. Nous avons obtenu par exemple une réduction du coût des audioprothèses de 200 euros dès le mois de janvier 2019, ce qui permettra une réduction du reste à charge de 850 à 650 euros par oreille.

Le secteur psychiatrique est complètement inclus dans le plan « Ma santé 2022 » et doit faire l'objet d'un réinvestissement. Il sera donc intégré dans les investissements hospitaliers, mais le problème de la psychiatrie aujourd'hui est loin d'être un problème budgétaire ; il est beaucoup plus complexe. Il est lié à un manque de professionnels formés, de psychiatres qui souhaitent s'installer dans les hôpitaux psychiatriques, à un déficit majeur de pédopsychiatres, discipline qui a été abandonnée. Cela impose de recréer des postes, de former de nouveaux internes. Nous allons travailler sur le terrain avec les professionnels à l'organisation du parcours de soins en santé mentale, comme je m'y suis engagée dans la feuille de route. Tout cela ne nécessite pas un budget dans le cadre du PLFSS, ce qui ne veut pas dire que la feuille de route ne sera pas tenue. J'ai par exemple pris un engagement en ce qui concerne l'ouverture des pratiques avancées infirmières à la psychiatrie en 2019, autrement dit des infirmières de pratiques avancées pourront se former en master de psychiatrie.

Monsieur Lurton, comme l'a dit M. le ministre, nous faisons des choix en matière de pensions de retraite et de politique de la famille. S'agissant des prestations familiales, la priorité est clairement donnée aux familles les plus pauvres, dans le cadre notamment de la stratégie pauvreté, avec toutes les mesures en faveur des allocations de garde d'enfants, la mixité sociale dans les crèches qui feront l'objet de bonus, la création de places de crèche dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville qui font également l'objet de bonus, le parcours santé des 0-6 ans, les petits-déjeuners à l'école, l'extension des forfaits sociaux dans les cantines à toutes les communes de moins de 10 000 habitants. Cet investissement majeur dans la petite enfance et en direction des familles les plus pauvres est inscrit, non dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais dans le projet de loi de finances. Pour le seul ministère des solidarités, ce sont 175 millions d'euros supplémentaires qui sont consacrés à la petite enfance et aux familles dans le cadre du plan « Pauvreté ».

Madame Elimas, je crois avoir déjà répondu en partie à votre question sur la politique familiale. Un mot sur les moyens alloués à la prévention, sujet qui vous tient à coeur. Un effort considérable est consenti en faveur de la prévention. Quinze mesures du plan « Priorité prévention » figurent dans le PLFSS, pour un montant global de près de 40 millions d'euros : remboursement dans les conditions de droit commun des substituts nicotiniques, amélioration de la couverture vaccinale, « pass préservatif », création de consultations dédiées à la prévention pour les adolescents, nouvelle répartition des consultations pour les jeunes jusqu'à 18 ans.

Monsieur Vercamer, vous dites que le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne traduit pas l'ambition du plan « Ma santé 2022 ». Je ne sais pas quoi vous répondre. Nous finançons la création de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), la création de 1 000 postes par an d'assistants médicaux, la création de postes d'assistants salariés qui iront travailler dans les déserts médicaux, nous investissons dans les hôpitaux de proximité pour transformer l'offre de soins de proximité, nous investissons 200 millions d'euros supplémentaires par rapport à ce qui était déjà prévu dans les établissements de santé, nous finançons la tarification à la qualité – le fonds passe de 60 à 300 millions d'euros pour les établissements de santé –, nous tarifons forfaitairement certaines pathologies chroniques comme le diabète et l'insuffisance rénale chronique. Vous seriez donc bien le seul en France à ne pas croire à ce plan auquel adhèrent l'ensemble des organisations syndicales, des fédérations hospitalières, et la Cour des comptes. Mais peut-être ne l'avez-vous pas lu suffisamment.

Un effort supplémentaire de 150 millions d'euros est consenti en direction de l'aide à domicile et porte sur les dispositifs médicaux. Vous savez que la régulation sur les dispositifs médicaux est actuellement assez faible. Nous avons voulu éviter d'en passer par une régulation comme sur le champ des médicaments, c'est-à-dire un reversement automatique après dépassement d'un certain seuil de dépenses. Nous allons travailler sur des baisses de prix dans la liste des prestations et produits remboursables (LPPR). C'est cette traduction sur la baisse des prix qui figure dans les 150 millions d'euros d'économies, sachant que la dynamique de dépenses sur les dispositifs médicaux est extrêmement importante.

Monsieur Christophe, vous considérez que les médicaments sont la variable d'ajustement. La dynamique est très importante, et le moins que l'on puisse dire est que les prescriptions ne sont pas toujours justifiées. Aussi ne serait-il pas honteux que les patients sortent des cabinets médicaux avec des prescriptions un peu plus légères. Des mesures très fortes vont être prises en faveur des médicaments génériques. Tous les types de régulation sont les bienvenus. En tant que ministre, je sais fort bien que certains médicaments sont des rentes de situation et qu'il faut agir sur ce point, ce qui permettra de dégager des marges de manoeuvre pour payer l'innovation. On ne peut pas, d'un côté, accepter que de nouveaux médicaments arrivent sur le marché avec des prix qui vont de 300 000 à 400 000 euros par patient et par an, et, de l'autre, ne pas dégager des marges de manoeuvre tarifaires sur des médicaments de rente.

Des parlementaires viennent de nous rendre un rapport sur le problème des ruptures de distribution sur lequel nous nous appuierons pour proposer des mesures, et nous verrons s'il est possible d'améliorer le plan de gestion des pénuries par les laboratoires. Comme vous le savez, les raisons de ces ruptures de distribution sont extrêmement variables. Aussi nous faut-il agir sur plusieurs leviers.

Vous dites que les délais d'accès aux médicaments sont plus longs en France qu'ailleurs. Non. Ils sont plus longs sur le papier, c'est-à-dire que le délai entre l'évaluation des médicaments par la Haute Autorité de santé (HAS) et la fixation du prix par le Comité économique des produits de santé (CEPS) est effectivement supérieur à la médiane européenne. Toutefois, pour les médicaments innovants ce délai est compensé par le mécanisme des ATU qui nous est envié partout dans le monde et qui permet aux patients de ne pas avoir de retard dans la prise en charge liée à ce délai de fixation du prix et d'accéder au médicament parfois un an ou un an et demi avant son autorisation de mise sur le marché. J'ajoute que si nous n'avions pas une certaine liberté en ce qui concerne les délais de fixation du prix, nous ne serions pas en mesure de négocier. Nous sommes attentifs à ce que les délais réglementaires soient tenus, mais dans certains cas cela traduit la difficulté à se mettre d'accord sur un prix.

Nous savons que la proportion de mentions « non substituable » sur les ordonnances est passé de 2 % à 9 % en six ans. L'objectif est donc d'agir sur les 9 % d'ordonnances sur lesquelles les praticiens ont écrit cette mention, ce taux étant bien supérieur en France à ce qu'il est dans les autres pays européens, ce qui pourrait signifier que les patients français sont beaucoup plus allergiques aux médicaments génériques que ceux des autres pays du monde. Nous pensons, pour notre part, que l'usage de cette mention n'est pas toujours justifié. Aussi avons-nous prévu que le médecin puisse écrire la mention « non substituable » de façon automatisée afin de ne pas se créer une tâche administrative supplémentaire, mais qu'il doive justifier sa décision. Nous allons négocier avec les médecins et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) les critères médicaux de non-substitution, de façon que des malades ne disent pas qu'ils sont allergiques à la totalité des médicaments génériques, ce qui n'existe pas, comme peuvent le dire ceux qui, comme moi, connaissent un peu l'usage des médicaments.

Monsieur Aviragnet, vous prétendez que rien n'est fait pour lutter contre les déserts médicaux et que la totalité du plan « Ma santé 2022 » est dans le PLFSS. Je ne sais pas quoi vous répondre si ce n'est vous rappeler quelles mesures nous prenons : création de CPTS, de postes d'assistants médicaux pour donner du temps médical aux médecins, investissements dans les hôpitaux de santé, dans les maisons de santé...

Vous me dites qu'il n'y a rien sur la petite enfance et le grand âge. Je pense vous avoir déjà répondu. Nous nous adressons particulièrement aux enfants des familles défavorisées, soit dans le PLFSS, soit dans le PLF, par le plan de lutte contre la pauvreté. Enfin, vous me dites que le reste à charge est financé par les complémentaires santé. Je vous rappelle que 755 millions d'euros issus de l'assurance maladie serviront à financer le reste à charge zéro.

Madame Fiat, vous regrettez que le régime général soit équilibré. Pour ma part, je mets un point d'honneur à ne pas vivre sur le dos de mes enfants et à ne pas leur laisser de dettes. Effectivement, on peut continuer à dépenser toujours plus et faire en sorte que des enfants se retrouvent avec une dette absolument ingérable, mais dépenser plus ne permet pas toujours d'améliorer la situation.

Certes, les hôpitaux psychiatriques rencontrent des problèmes, mais ce ne sont pas uniquement des problèmes financiers. Tout miser sur les investissements nous conduirait à la catastrophe. L'hôpital Pinel d'Amiens dont vous avez parlé ne peut pas recruter de psychiatres pour différentes raisons que je ne détaillerai pas ici. Nous devrons recentrer les ressources et travailler à une meilleure utilisation des plateaux techniques de haute technicité, car il y a actuellement une trop forte dispersion de l'offre technique. Les hôpitaux de proximité vont se concentrer sur les besoins de proximité – médecine polyvalente, soins palliatifs, soins gériatriques – et nous allons graduer les soins progressivement de façon à concentrer les financements sur des plateaux techniques performants où les praticiens interviendront pour des hôpitaux généraux, voire pour des CHU, pour l'offre de très haute technicité ou de recours, comme les transplantations.

Si nous savons que mettre toujours plus de moyens ne fonctionne pas, il n'en demeure pas moins que 3,4 milliards d'euros vont accompagner le plan « Ma santé 2022 », dont près d'un milliard sera dédié à l'investissement immobilier. Nous sommes donc bien au rendez-vous des besoins avec un plan parfaitement équilibré et salué par l'ensemble des acteurs comme étant un modèle de ce qu'il faut faire.

Monsieur Dharréville, vous parlez de la compression des dépenses sociales. Non : les dépenses sociales augmentent tous les ans, mais elles ne sauraient représenter la totalité du PIB d'un pays. Nous sommes donc obligés d'avoir une forme de régulation de ces dépenses, de façon à ne pas endetter notre pays, à ne pas endetter la sécurité sociale et à ne pas laisser cette dette à nos enfants. Il s'agit donc d'un budget raisonnable qui fixe des priorités en faveur des plus vulnérables, d'un meilleur accès aux soins et des solidarités. Nous sommes fidèles à la politique de ce gouvernement, c'est-à-dire à la rigueur budgétaire, en tout cas à la responsabilité budgétaire, à des financements dédiés aux politiques publiques que nous assumons, et qui font l'objet de choix assumés.

Vous avez dit que la crise des hôpitaux était liée à un problème d'organisation interne. Non, c'est un problème d'organisation externe. Et c'est bien parce que nous pensons qu'elle est due à la mauvaise ou l'insuffisante organisation des soins de ville que nous avons élaboré ce plan « Ma santé 2022 ». Le problème des hôpitaux est dû à la répartition de l'offre et à une mauvaise structuration de la gradation de l'offre au sein des établissements hospitaliers. Je pense donc que ce plan est totalement raisonnable.

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