Intervention de Clotilde Brunetti-Pons

Réunion du mardi 9 octobre 2018 à 11h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Clotilde Brunetti-Pons, maitre de conférences HDR à l'Université de Reims Champagne-Ardennes :

Je n'ai pas choisi personnellement le terme « droit à l'enfant ». C'est la mission « Droit et Justice » qui a formulé le sujet et utilisé cette expression, sans doute en partenariat avec la direction des affaires civiles et du Sceau. On m'a demandé d'envisager les conséquences de l'évolution vers un « droit à l'enfant ». Il n'y a là aucun choix personnel.

Vous avez également évoqué ma position concernant le mariage homosexuel. J'avais expliqué les différentes conséquences de la suppression de la différence de sexe dans le mariage, notamment devant des sénateurs. Là encore, il ne s'agissait pas d'ennuyer mes interlocuteurs, mais simplement d'expliquer les conséquences juridiques d'une telle réforme.

Je me souviens que les sénateurs avaient eu l'air très étonnés, comme vous aujourd'hui. Or, ces conséquences sont désormais toutes avérées, et même des journalistes l'ont relevé : le lien entre le mariage et la filiation ne pouvait pas être occulté des débats sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, dit « mariage pour tous ». Finalement, ce lien n'a pas été clairement mis en évidence. C'est la technicienne qui vous parle.

Vous m'avez posé une question plus grave, qui souligne que je n'ai pas suffisamment expliqué la différence entre situations de fait et de droit. En France, comme dans le monde, il existe des situations de fait très différentes : un enfant peut ainsi être totalement privé de son père et de sa mère à la suite d'un accident de voiture ; il peut n'avoir qu'une filiation maternelle ou être né sous X. Mais l'égalité en droit est affirmée à l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : tous les enfants naissent donc libres et égaux en droit. Qu'est-ce que cela veut dire ? Simplement que même les enfants qui naissent dans des circonstances très difficiles ont les mêmes droits.

Or la réforme envisagée priverait certains enfants de la possibilité d'exercer une action en recherche de paternité. Alors qu'ils ont à l'origine tous les mêmes droits, on leur enlève une partie de ces droits. Il ne s'agit plus ici de comparer des situations de fait, mais d'une question de droit !

S'agissant de la protection des enfants, il y a bientôt trente ans, j'ai commencé à travailler dans les services de la protection de l'enfance, à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. J'ai vu passer toutes sortes de situations de fait et j'ai tenté de toutes les accompagner, au mieux, avec un maximum de bienveillance. On trouve toujours des solutions concrètes. L'enjeu actuel est totalement différent, d'autant qu'il est juridique : doit-on créer un modèle de filiation sans père ? Avec une deuxième mère ? Ce n'est pas anodin puisque mater semper certa est – l'identité de la mère est toujours certaine. Normalement l'enfant sait qui est sa mère.

Laissons les questions de fait aux professionnels de l'enfance. Tous, y compris ceux qui se situaient à gauche, s'étaient prononcés contre la loi sur le mariage pour tous pour cette raison. Que s'est-il passé en 2013 ? Contre quoi les professionnels de la protection de l'enfance comme moi nous mobilisons-nous ? Il y a désormais deux types d'adoption. Pour permettre à deux personnes du même sexe d'adopter, une partie du droit de l'adoption a été séparée de la filiation, afin de ne pas supprimer « père » et « mère » de tous les codes et, en conséquence, tous les principes du droit de la filiation. Une telle solution avait été initialement envisagée, mais n'a pas abouti du fait de la mobilisation. Quelle solution a-t-on trouvé ? Elle est prévue par l'article 6-1 du code civil. Vous pouvez le relire, c'est terrible… Les enfants adoptés par deux personnes du même sexe ne relèvent pas du droit de la filiation. Peut-on d'ailleurs parler de droit de la filiation pour ces enfants ? Cela engendrera probablement dans quelques années différents types de conflits, par exemple avec des enfants d'un premier lit, pour savoir qui a droit à quoi dans un héritage.

Pour la première fois depuis que le doyen Carbonnier avait posé le principe d'égalité des enfants en 1972, on a réintroduit en 2013 des inégalités profondes de droits entre enfants. Par ailleurs, cela a eu d'autres conséquences sur le droit de l'adoption : certains pays avec lesquels nous avions de très bonnes relations en matière d'adoption ont revu à la baisse leurs accords avec la France ; les conseils de famille des pupilles de l'État nous demandent de plus en plus de consultations juridiques car ils sont confrontés à de nouvelles questions, ne savent que faire, paniquent, se demandent s'ils peuvent confier un bébé à deux hommes qui n'ont pas toujours d'expérience avec des bébés.

Mesdames et messieurs les députés, il est très important de bien faire la différence entre les situations de fait – personne n'a de baguette magique pour faire en sorte que tous les enfants aient les mêmes familles et la même vie, même en travaillant à la protection de l'enfance – et les situations de droit. On peut faire en sorte que tous les enfants soient égaux en droit et que l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 soit respecté. On peut faire en sorte de ne pas retirer à un enfant le droit de faire établir sa filiation paternelle.

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