Intervention de Marie-Andrée Blanc

Réunion du mardi 9 octobre 2018 à 16h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Marie-Andrée Blanc, présidente de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, l'UNAF est l'institution chargée par la loi de représenter les 18 millions de familles vivant sur le territoire français et de donner officiellement avis aux pouvoirs publics sur les questions d'ordre familial. Nous avons engagé il y a quelques mois une large consultation auprès des mouvements familiaux adhérant à notre union afin de recueillir la diversité de leurs opinions, et leurs contributions ont enrichi la réflexion de l'UNAF.

L'UNAF est attachée aux principes définis par le législateur dans le cadre des lois dites de bioéthique de 1994, à savoir la dignité de la personne, l'inviolabilité du corps humain, la non-patrimonialité et le respect du consentement. Depuis, au regard des projets en matière de génétique et compte tenu des questionnements environnementaux actuels, un autre principe éthique semble s'être affirmé : le principe de réversibilité.

Ces principes constituent la boussole à partir de laquelle nous cherchons à examiner les demandes sociétales, le progrès en matière de recherche et les possibles usages des acquis de la science et des techniques. Ils doivent être appréciés concrètement dans une recherche d'équilibre entre les droits et les libertés individuels et collectifs, avec l'exigence d'une responsabilité à l'égard des plus vulnérables et des générations futures et au regard de la singularité que nous accordons à l'être humain. C'est sur cette base que nous souhaitons que les orientations techniques et scientifiques, ainsi que les questions sociétales qui en découlent, soit abordées.

Il faudrait non seulement inscrire, dans le préambule de la future loi sur la bioéthique, la prise de conscience des enjeux futurs ainsi que les conséquences pour l'humanité des choix qui seront faits – comme le suggère le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) –, mais aussi et surtout traduire cette préoccupation dans les choix à venir. Le temps imparti à cette audition ne permettant pas d'aborder l'ensemble des sujets liés à la bioéthique, nous évoquerons donc essentiellement ceux liés à la procréation.

L'UNAF a conduit sa réflexion à l'égard des questions de procréation en suivant cette logique et en cherchant à estimer les conséquences éthiques qui résulteraient de l'acceptation de certaines demandes pour l'ensemble de la société. Cette démarche nous a amenés à nous poser des questions quant aux effets de certaines évolutions possibles, notamment sur l'accroissement éventuel des inégalités sociales, l'avenir d'une assurance maladie solidaire, le risque d'une marchandisation accrue de la procréation et des produits du corps humain, ainsi que le sens et la finalité de la filiation.

Le désir d'enfant, celui de devenir père ou mère et de s'inscrire dans une histoire intergénérationnelle, sont les ressorts psychologiques et sociaux autour desquels s'articulent la politique familiale et ses composantes – faciliter la venue d'un enfant, compenser les charges liées à l'enfant, assurer le renouvellement des générations, concilier la vie familiale et l'activité professionnelle, soutenir la parentalité et conforter les solidarités familiales.

La collectivité soutient ainsi la réalisation de projets parentaux et familiaux, non seulement pour répondre à des aspirations individuelles – avoir des enfants est souvent vécu comme une condition de réalisation de soi –, mais aussi dans un objectif d'investissement social pour l'avenir et la prospérité économique.

Néanmoins, cette solidarité procréative peut être encadrée et limitée pour des raisons éthiques, sociales et économiques. Plusieurs constats et revendications viennent ainsi aujourd'hui se télescoper autour des questions de bioéthique relatives à la procréation. Le premier constat tient à la baisse de la fertilité – notamment à la baisse de qualité des gamètes mâles observée dans la majorité des pays occidentaux –, qui accroît la demande de recours à l'assistance médicale à la procréation (AMP).

Le deuxième constat est lié à l'activité économique et au décalage des grossesses vers des âges plus avancés, auxquels la fertilité des femmes est moindre, ce qui accentue également la demande de recours à ces techniques, ainsi qu'à la conservation des ovocytes.

Le troisième constat est celui de demandes visant à la reconnaissance sociale de nouvelles configurations familiales. À cette thématique se greffe une revendication d'égalité des droits et de non-discrimination, qui imprègne l'ensemble du champ social. Ici, elle recoupe à la fois l'accès à la procréation médicalement assistée (PMA) elle-même et certaines de ses conséquences, dont la question de l'anonymat et du droit des enfants nés d'une insémination avec donneur à connaître leurs origines, mais aussi l'accès à la gestation pour autrui (GPA). Cette dernière engage un questionnement supplémentaire sur l'utilisation du corps d'autrui au profit de la réalisation d'un projet personnel, et sur la possibilité ou non d'encadrer de manière éthique cet usage.

Le quatrième constat, qui découle des premiers, est celui de l'extension de la sphère marchande et technologique à l'ensemble de la procréation.

Le cinquième et dernier constat est celui de la cohérence, parfois difficile, entre les objectifs poursuivis par les politiques publiques, ce que trois exemples peuvent illustrer.

Les exigences en matière de respect des droits de l'enfant sont considérées comme prioritaires, avec des politiques de protection de l'enfance qui se redessinent en ce moment autour de la question des besoins fondamentaux de l'enfant – dont traite la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant. Accorder aux adultes une plus grande liberté en matière de procréation suppose de tenir compte préalablement des conséquences pour les enfants au regard de leurs besoins fondamentaux.

Une autre priorité des politiques publiques est celle consistant à chercher à limiter les inégalités sociales liées aux revenus. Selon nous, la question prioritaire devrait être de s'interroger sur la possibilité, en cas d'extension des droits en matière de PMA, de satisfaire l'effectivité des droits ouverts. Comment veiller à ce que cette extension des droits et la difficulté de les satisfaire ne conduisent pas à un marché de la procréation augmentant des inégalités que nos politiques cherchent pourtant à limiter ?

Enfin, les politiques familiales et d'égalité entre les femmes et les hommes ont pour objectif de renforcer la place des pères, que ce soit en termes de parentalité, de congés parentaux, ou en cas de séparation. L'effacement institutionnalisé de la place du père pose la question de sa cohérence avec nos politiques publiques qui cherchent, a contrario, à soutenir et à encourager l'implication des pères auprès des enfants.

Au-delà des questions de cohérence, il nous semble essentiel de bien prendre la mesure de ce qu'impliqueraient les nouveaux droits, de réfléchir à ce que ces pratiques, qui peuvent être envisagées sur le plan éthique lorsqu'elles sont prises individuellement, peuvent avoir comme conséquences sur un plan plus large. Cela nécessiterait pour le moins que l'on cerne parfaitement les contours de ces conséquences et que l'on s'assure des moyens d'y répondre.

Pour ce qui est de la question de l'extension de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes, nous avons pris note du changement de position du CCNE en juin 2017, en dépit des nombreux questionnements qu'il soulève lui-même dans son avis. Son dernier avis, rendu en septembre 2018, confirme sa position sans pour autant avoir levé les doutes et les incertitudes qui avaient été soulevés.

Nous avons également pris connaissance de l'étude du Conseil d'État de juin 2018, qui propose notamment des solutions juridiques aux évolutions possibles du droit de la filiation en cas d'ouverture de la PMA aux couples de femmes, tout en soulignant au préalable que le droit ne commande aucunement de modifier les critères d'accès à la PMA. À sa lecture, il paraît bien difficile de faire évoluer le droit de la filiation afin de permettre une éventuelle ouverture de la PMA aux femmes seules ou aux couples de femmes sans remettre en cause un édifice qui concerne actuellement toutes les familles. L'établissement d'une filiation directe, sans passer par l'adoption, sera une rupture majeure en ce qu'elle reviendra à reconnaître juridiquement la possibilité d'être issu de deux personnes de même sexe. Comme le Conseil d'État le dit lui-même, « ces options conduisent, pour la première fois en droit français, à dissocier radicalement les fondements biologiques et juridiques de la filiation d'origine, en prévoyant une double filiation maternelle ».

Aujourd'hui, les possibilités d'accès à la PMA sont encadrées par des critères médicaux d'infertilité et de risques de transmission d'une maladie grave. Avec l'abandon définitif de ces critères, les questions se multiplient. Il serait en effet difficile de réserver aux seuls couples de personnes de même sexe la possibilité d'avoir recours à la PMA pour des critères autres que médicaux. Par exemple, faudrait-il ouvrir la PMA à des couples hétérosexuels désirant y avoir recours par choix, afin de bénéficier d'une sélection de gamètes ? La question posée, in fine, par la possibilité de recours à la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes, dépasse largement celle de la seule égalité des droits.

En fait, la PMA n'est pas un droit des couples hétérosexuels qui serait refusé aux couples qui ne le sont pas, car elle n'est pas autorisée pour tous les couples hétérosexuels, mais limitée à des cas précis. Si l'on veut aligner strictement les droits des couples de femmes et des femmes seules sur ceux des couples hétérosexuels, il ne faudra ouvrir la PMA qu'à celles de ces femmes souffrant d'infertilité ou risquant de transmettre une maladie grave – sinon, c'est la reconnaissance d'un droit pour tous à la PMA qui est finalement en jeu… Si tel est le cas, comment s'assurer que chacun pourra être en mesure de jouir de ce droit, et quelles seront les conséquences en cascade de l'instauration de ce droit ?

Pourra-t-on, par exemple, maintenir le principe de gratuité des dons de gamètes, ou faudra-t-il renoncer à celui-ci pour satisfaire ce nouveau droit ? Comment évaluer plus largement, le cas échéant selon quelles méthodes et quels critères – et en donnant quelle place au principe de justice – les incidences possibles d'une disjonction aussi radicale entre la sexualité, la procréation et la filiation sur l'ensemble de la société ? Certaines des questions soulevées ne peuvent être tranchées sous le seul angle de la bioéthique : elles relèvent d'une réflexion politique plus large qui doit interroger le sens et la finalité de la solidarité collective dans un contexte de financement restreint.

L'ouverture de la PMA aux femmes seules pose aussi la question de la cohérence des objectifs poursuivis par les pouvoirs publics. Ainsi, les femmes seules avec charge d'enfants sont désignées comme vulnérables par les politiques publiques et font l'objet d'interventions sociales prioritaires. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a limité l'augmentation des aides aux parents aux seules familles monoparentales, sans conditions de ressources, au motif que la situation de monoparentalité apporte des contraintes qui ne sont pas que financières.

Dans son étude de juin dernier, le Conseil d'État établit le lien entre la situation de monoparentalité ainsi créée et « un risque accru de vulnérabilité ». Quant au CCNE, il souligne dans son avis 129 l'existence de ce même risque, mais il en tire la conclusion qu'il faut tout de même permettre l'ouverture de la PMA aux femmes seules, au motif que la situation des enfants nés d'un projet de femme seule pourrait être plus protectrice que celle d'un enfant vivant dans une famille où la monoparentalité résulte des aléas de la vie.

Or, aucun élément ne vient démontrer cette idée : élever un enfant lorsqu'on est totalement seul, sans l'apport d'un second parent – même peu présent – et sans le soutien d'une belle-famille – fût-elle trop présente –, est pour le moins tout aussi difficile dans la quotidienneté.

J'en viens à la question de l'autoconservation des ovocytes.

Au-delà de la liberté des femmes face à leur projet de maternité, favoriser la conservation des ovocytes dans le seul but de permettre aux femmes de reporter leur grossesse afin d'accéder à une égalité professionnelle ne nous semble pas participer d'un projet d'émancipation des femmes. C'est pour nous une réponse erronée au problème que constitue l'inégalité professionnelle entre femmes et hommes du fait de la maternité. L'autoconservation des ovocytes ne conduit-elle pas les femmes à soumettre leur désir d'enfant aux contraintes du marché du travail ?

Il convient en outre de rappeler que toute grossesse tardive augmente les risques médicaux pour la femme et son enfant. Une information auprès du grand public, en particulier auprès des plus jeunes, filles et garçons, nous paraît indispensable.

C'est, de notre point de vue, à la société de permettre aux femmes de mener à bien leur projet d'enfant sans avoir à repousser l'âge de leur grossesse, et sans que ce projet n'entrave leur parcours professionnel. C'est pourquoi les lois de bioéthique ne doivent pas être conçues indépendamment d'une réflexion sur la politique de conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Il appartient aux pouvoirs publics de développer davantage de dispositifs permettant cette conciliation et au monde du travail de ne plus considérer la maternité comme un obstacle.

Le CCNE se dit « favorable à la possibilité de proposer, sans l'encourager, une autoconservation ovocytaire de précaution ». La formule employée est assez symptomatique de l'économie générale du recours à l'éthique dans notre société. Ainsi, tout en étant conscient des effets délétères de la banalisation d'une telle pratique, le CCNE limite son avis à l'examen éthique des revendications individuelles, en espérant que l'acceptation ne vaudra pas encouragement. La question que nous posons est de savoir si cette attention éthique portée uniquement aux pratiques et demandes individuelles ne conduit pas à une forme de déresponsabilisation collective.

Nous nous interrogeons sur le changement de position du CCNE à seulement un an d'intervalle… Quand on voit la pression qui s'exerce d'ores et déjà sur les femmes de la part de certains employeurs, on ne peut que s'inquiéter d'une telle proposition. Quel est le message envoyé ? Si la loi offre la possibilité de retarder sa grossesse, quelle marge de manoeuvre restera-t-il aux femmes pour résister ? C'est une fausse liberté accordée aux femmes.

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