Intervention de Nathalie Loiseau

Séance en hémicycle du lundi 22 octobre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Article 37 et débat sur le prélèvement européen

Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le rapporteur spécial de la commission des finances, monsieur le rapporteur d'information de la commission des affaires européennes, mesdames et messieurs les députés, je viens cet après-midi devant la représentation nationale pour vous demander d'autoriser le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne pour l'année 2019. C'est une année particulière car nous approchons désormais du terme du cadre financier pluriannuel actuel, qui allait de 2014 à 2020.

Cela a deux conséquences importantes. La première, c'est que contrairement à l'année dernière, la discussion a lieu alors que les négociations pour préparer le cadre financier pluriannuel 2021-2027 ont commencé. Soyons clairs : ce sont deux exercices bien distincts et qui doivent naturellement le rester, mais on ne peut pas faire abstraction de cette négociation capitale sur laquelle je reviendrai à la fin de mon propos. La deuxième, c'est que 2019 est l'année de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Cette sortie n'a pas vocation à avoir un impact sur le budget de l'Union en 2019 ; en effet, le Royaume-Uni s'est engagé sur l'entièreté du cadre financier pluriannuel qui court jusqu'à fin 2020. De plus, si nous arrivons à conclure un accord de retrait, nous entrerons au 30 mars avec le Royaume-Uni dans une période de transition qui durera jusqu'au 31 décembre 2020, pendant laquelle ce pays demeurera dans le marché unique comme dans l'union douanière. Même en cas d'absence d'accord, les engagements pris devraient être tenus. Mais ne nous voilons pas la face : la période actuelle comporte une dose d'incertitude.

Dans le projet de loi de finances pour 2019, le montant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne s'élève à 21,5 milliards d'euros, ce qui représente une hausse d'environ 8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018, soit de l'ordre d'1,6 milliard d'euros supplémentaires. Cette hausse s'explique principalement par une montée en puissance du besoin de crédits de paiements de l'Union, en particulier pour financer son action extérieure et la politique agricole commune – la PAC – , deux priorités françaises.

Je relève au passage que cette hausse de notre contribution en 2019 s'accompagne d'une amélioration comparative de ce que nous percevons. En 2017, la France occupait la troisième place des contributeurs nets en volume, après l'Allemagne et le Royaume-Uni, alors qu'elle était à la deuxième place en 2016, mais nous étions le premier pays bénéficiaire en volume des dépenses de l'Union, devant la Pologne, l'Allemagne et l'Espagne, soit deux places de mieux qu'en 2016.

Je voudrais ici dire ma conviction, et elle est double. Certes nous avons le souci que chaque euro investi dans le budget européen donne lieu au meilleur retour possible en dépense sur le territoire national – il ne s'agit d'ailleurs pas de dépense, mais plutôt d'investissement. Cependant nous assumons pleinement notre position de contributeur net. Je voudrais rappeler à ceux qui seraient enclins à ne raisonner qu'en termes comptables ce que cette approche a de réducteur. Être partie à un marché unique de près de 500 millions d'Européens a une valeur en soi. Notre participation bénéficie aux entreprises qui y exportent, aux jeunes qui s'y forment, aux Français qui y travaillent, aux consommateurs qui préservent leur pouvoir d'achat. Plus fondamentalement, la solidarité européenne représente une valeur forte à laquelle nous sommes attachés. Au-delà, il y va de la cohésion de notre continent, qui nous permet de peser dans la mondialisation, de lutter avec efficacité contre le dérèglement climatique, de réguler la transition numérique ou de travailler à stabiliser notre voisinage ; bref, de maîtriser notre destin. Pendant des décennies, le Royaume-Uni a fait sienne la phrase de Margaret Thatcher : « I want my money back. » Maintenant que le Brexit approche, nos partenaires britanniques cherchent à revenir dans le marché unique, à renforcer notre partenariat de sécurité et de défense, à poursuivre la coopération en matière d'éducation et de recherche. En somme, c'est quand on quitte la construction européenne que l'on en mesure le mieux les bénéfices et que l'on découvre qu'ils ne sont pas purement comptables.

J'en viens maintenant plus spécifiquement au projet de budget européen pour 2019. Celui-ci s'élève à 165,6 milliards d'euros en crédits d'engagement et à 148,7 milliards d'euros en crédits de paiement. Quelles en sont les lignes de force ?

Je relèverai en premier lieu, pour m'en réjouir, l'augmentation des moyens consacrés à la jeunesse. Le budget européen 2019 amorce la montée en charge progressive d'Erasmus +, qui correspond à une priorité pour la France, pour permettre non seulement à plus d'étudiants mais aussi désormais à plus d'apprentis de se former en Europe. Il traduit aussi le renforcement du corps européen de solidarité, qui donne aux jeunes la possibilité de participer à des projets venant en aide à des communautés et des personnes dans toute l'Europe, au sein de centres de demandeurs d'asile ou bien à travers des travaux de reconstruction.

La deuxième priorité que nous partageons est la hausse de l'investissement dans l'innovation. Dans ce domaine, l'action de l'Union européenne appuie très concrètement les efforts de notre pays. La France est en effet le premier bénéficiaire du plan Juncker, avec un volume total de financement s'élevant à 11 milliards d'euros, qui a vocation à engendrer au total près de 57 milliards d'euros d'investissements. Ce sont ainsi plus de 150 décisions de financement qui ont été approuvées à ce jour pour la France, dans des secteurs variés, au profit d'un très grand nombre de nos PME innovantes.

De leur côté, les enveloppes de la politique de cohésion et de la PAC demeurent bien évidemment en 2019 les masses principales du budget européen. En particulier, les moyens alloués à la PAC permettront de soutenir le revenu de nos agriculteurs et de les accompagner vers la transition écologique, tout en contribuant à l'aménagement et au développement de nos territoires ruraux.

Le budget 2019 proposé par la Commission vise également à contribuer à une meilleure solidarité et à une plus grande sécurité, tant au sein qu'en dehors de l'Union. Sur le plan interne, la Commission prévoit ainsi un doublement par rapport à 2018 des moyens du fonds dédié à l'asile, aux migrations et à l'intégration, ainsi que le renforcement des agences européennes en lien avec la gestion des frontières et les enjeux de visas, mais aussi du mécanisme européen de protection civile, qui permet de coordonner l'aide apportée par les États aux victimes des catastrophes d'origine naturelle ou humaine – ce mécanisme a eu plus que jamais à être employé pendant l'été si particulier que nous avons connu dans toute l'Europe. Sur le plan externe, le budget européen permettra notamment de continuer à financer l'accompagnement, l'éducation et l'hébergement des personnes qui fuient les conflits en Syrie et ailleurs, mais aussi de répondre aux causes profondes des migrations au moyen de cadres de partenariat avec les pays tiers.

Le budget 2019 de l'Union européenne marque enfin une avancée décisive pour la construction de l'Europe de la défense, notamment de son volet industriel et capacitaire, composante incontournable de l'autonomie stratégique européenne. Ce volet s'appuie sur le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense, le PEDID, financé par le budget européen – c'est une première – à hauteur de 500 millions d'euros sur les deux prochaines années, dont près de la moitié dès 2019. Il permettra de favoriser le développement et le déploiement de capacités de défense communes, mais également d'inciter les entreprises européennes à travailler ensemble, en cofinançant des projets regroupant plusieurs entreprises situées dans des pays différents. Ce programme préfigure ainsi le futur fonds européen de la défense, qui a été proposé pour le prochain cadre financier pluriannuel.

C'est en effet vers le prochain cadre financier pluriannuel, pour les années 2021-2027, que l'attention se porte, depuis que la Commission a dévoilé sa proposition, en mai dernier : elle prévoit de porter son niveau à 1,11 % du revenu national brut – RNB – , contre environ 1 % pour le cadre actuel. La négociation, toujours complexe puisqu'elle requiert l'unanimité des États membres, est rendue plus difficile encore par le départ du Royaume-Uni, important contributeur net, qui se traduit par une perte de l'ordre de 10 milliards à 12 milliards d'euros par an. La proposition de la Commission constitue de fait un premier pas important vers la transformation du budget européen en un véritable instrument d'action au service des citoyens européens, qu'il s'agisse d'accompagner l'émergence d'une Europe qui protège, avec la création d'un fonds européen de la défense – je l'évoquais à l'instant – , ou bien encore de contrôler les frontières, avec l'augmentation significative des moyens alloués à FRONTEX – l'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures – , mais également de soutenir la mobilité des jeunes européens, avec le doublement du programme Erasmus +.

Pour autant, celles qu'on appelle un peu vite les « politiques traditionnelles » n'ont rien perdu de leur actualité, bien au contraire. Je répète devant vous ce que les autorités françaises ont exprimé avec force depuis le début, à Bruxelles comme ailleurs, en face-à-face comme en public : programmer une baisse des moyens de la PAC est inacceptable et cette politique ne peut pas être la variable d'ajustement du Brexit. Nous sommes parvenus à mobiliser largement nos partenaires autour de ces idées : vingt et un États membres demandent un maintien du budget de la PAC à son niveau actuel dans l'Union européenne à vingt-sept.

Permettez-moi de résumer brièvement la position de notre pays dans la prochaine négociation budgétaire européenne.

En premier lieu, la France est prête à un cadre financier pluriannuel en expansion. Cela suppose néanmoins que nous obtenions un niveau satisfaisant de dépenses sur les sujets prioritaires, mais aussi des conditionnalités pour assurer une convergence sociale, fiscale et sur les valeurs européennes, une modernisation des politiques de l'Union dans une optique d'efficacité et, là encore, de convergence.

Sur le volet des recettes, nous demandons la suppression totale et vraiment immédiate des rabais, de même que la mise en place de nouvelles ressources propres, notamment dans les domaines de l'environnement et du numérique. La Commission a fait des propositions sur la plupart de ces points, mais il faut aller plus loin, être à la fois plus ambitieux et plus concret. De même, la France appelle la Commission à davantage de volontarisme sur la part du budget consacrée à la lutte contre le changement climatique. Les 25 % proposés ne sont pas à la hauteur du rôle que doit jouer l'Union pour défendre l'accord de Paris : nous devons aller vers les 40 %. Enfin, nous accorderons une attention toute particulière à la défense des intérêts de nos régions ultrapériphériques et des pays et territoires d'outre-mer.

Nous aurons sans doute d'autres occasions de revenir sur cette négociation, notamment dès le Conseil européen de décembre.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le prélèvement sur recettes est la contribution de notre pays à une construction européenne perfectible mais indispensable. Nous le devons à nos agriculteurs, à nos pêcheurs, à nos jeunes, à nos entreprises et à nos chercheurs, mais aussi aux personnes les plus éloignées de l'emploi, aux plus précaires, auxquels l'Union européenne vient en aide, ce qu'on oublie trop souvent de saluer. Certes, des transformations profondes sont nécessaires pour que la construction européenne corresponde encore davantage à nos attentes. Le débat est engagé, la direction à suivre est connue ; il s'agit en partie d'un objectif de moyen terme, mais de premiers progrès sont déjà enregistrés. Le budget européen pour 2019 donnera les moyens à l'Union et à la France d'être plus efficaces, plus fortes, plus protectrices. C'est la raison pour laquelle je vous demande d'autoriser le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne pour l'année 2019.

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