Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du lundi 22 octobre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Article 37 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, messieurs les rapporteurs, je souligne tout d'abord que la contribution de la France est en hausse puisqu'elle s'élèvera, cela a été rappelé, à 21,5 milliards d'euros pour 2019, soit 900 millions d'euros de plus par rapport à la prévision actualisée pour 2018, soit aussi 5,1 milliards d'euros supplémentaires par rapport au versement effectué en 2017. La France contribue donc à hauteur d'environ 15 % au budget de l'Union européenne. Sa contribution représente 5,5 % de ses dépenses nettes, ce qui en fait le quatrième budget de l'État, après la défense, l'enseignement scolaire et la recherche et l'enseignement supérieur – sans parler évidemment de la charge de la dette. C'est tout à fait considérable mais aussi nécessaire.

Le budget européen pour 2019, cela a été dit, est le sixième du cadre financier pluriannuel, qui prévoit un plafond global de dépenses de plus de 1 000 milliards d'euros sur sept ans. Le projet de budget qui a été présenté par la Commission européenne pour 2019 s'élève à 165 milliards d'euros, soit une augmentation de 3 % par rapport à 2018. Mais il y a là-dedans un certain nombre de contradictions.

La première, qui n'est pas la moindre, est qu'au moment où, je crois, on a de plus en plus besoin de l'Europe, au moment où elle est de plus en plus nécessaire, la consommation des crédits est de plus en plus erratique. On constate en effet une sous-consommation des crédits, que l'on a déjà connue toutes ces dernières années. Si c'est en général plutôt une bonne nouvelle pour la France, puisque cela fait autant de crédits à récupérer, ce n'en est évidemment pas une pour l'Europe ni donc, in fine, pour notre pays. Cela donne à penser qu'il faut faire évoluer les institutions et les politiques européennes ; cette question sera évidemment débattue au cours des quelques mois qui nous séparent des élections européennes.

Jamais les défis européens ont été aussi importants – le rapporteur général en a d'ailleurs décrit un certain nombre. Le départ du Royaume-Uni, d'abord, est une question extrêmement complexe sur le plan technique et surtout fondamentale et désastreuse, à mon sens, sur le plan politique, tant pour le Royaume-Uni que pour l'Europe elle-même. Comme on dit d'habitude, à nous de transformer cette faiblesse en force, mais on aurait préféré consacrer les énergies européennes à autre chose. À côté du Brexit, quels que soient les périodes de transition et le temps qu'il prendra, nous avons à faire face à des tensions politiques avec certains pays qui, sur fond de vagues migratoires, cherchent à soumettre l'Europe à des forces centripètes, et à d'autres où se manifeste la volonté d'émancipation budgétaire vis-à-vis du socle de Maastricht. Je pense à l'Italie, qui remet manifestement en cause un certain nombre de fondamentaux. Pourtant, à partir du moment où l'on partage la même monnaie, des règles communes s'appliquent : c'est un principe de base qu'il faut bien respecter. Ce n'est pas un principe comptable, mais un principe de partage de la monnaie.

Le budget européen est en outre assez peu flexible – madame la ministre, vous le savez très bien, car tous les ministres qui se sont succédé, aux affaires européennes comme ailleurs, ont pu le remarquer dans leur domaine de compétences. Ce budget est par conséquent peu capable de répondre à l'imprévu, sinon à l'imprévisible, qui peut survenir. Le plan Juncker constitue certes une réponse à un certain nombre de questions, mais on voit bien que si survenait une nouvelle crise de la même ampleur que celle de 2008, la France serait en grande difficulté pour y répondre, tout comme l'Europe dans son ensemble. La crise migratoire elle-même a montré à quel point l'Europe éprouve des difficultés à trouver rapidement des réponses efficaces à toutes ces crises qui interpellent les populations. Il y a une fracture considérable entre le temps de l'Europe institutionnelle et celui des peuples européens ; c'est probablement une des explications aux difficultés européennes actuelles.

Le défi est aussi et surtout d'ordre économique. Prise en étau entre les États-Unis, qui mènent une politique de réaffirmation de leur force, et la puissance chinoise, l'Europe doit asseoir sa souveraineté politique et économique internationale, au risque, dans le cas contraire, de devoir s'aligner sur d'autres pays, ce qui n'est évidemment pas possible. Or la souveraineté économique passe par un accroissement progressif du rôle de l'euro dans les transactions mondiales et dans les réserves de change des banques centrales. Si la proportion entre les réserves en euros et en dollars a plutôt tendance à se modifier dans le bon sens, le mouvement reste encore trop lent. Le renforcement de la zone euro passe par une meilleure stabilité, avec la finalisation de l'Union bancaire, dont on parle déjà depuis longtemps. En la matière, un pilier fait toujours défaut : la garantie commune des dépôts. Un tel système permettrait – et permettra – de protéger de façon équivalente l'ensemble des épargnants européens ; l'exemple de 2008 montre que c'est éminemment nécessaire. De même, l'approfondissement du marché unique des capitaux est essentiel pour renforcer la stabilité et la compétitivité du système de financement des entreprises, en offrant notamment des sources de financement plus cohérentes entre les différents pays, au bénéfice de l'économie, donc des entreprises européennes.

La souveraineté économique passe également par la capacité de l'Europe à mieux défendre ses intérêts commerciaux. Or on constate que chaque traité commercial soulève des questions et pose problème aux différents parlements nationaux et souvent aux peuples ainsi qu'aux secteurs économiques concernés. Si nous avons évidemment besoin de l'Europe pour négocier ces traités au niveau européen – il ne s'agit évidemment pas que chacun le fasse dans son coin – , nous avons également besoin de procédures plus claires, notamment vis-à-vis des parlements nationaux, et moins secrètes, pour éviter les problèmes qui apparaissent généralement en fin de parcours.

Seule une Union européenne économiquement forte permettra à ses États membres de défendre leurs propres intérêts économiques et stratégiques.

En dehors des défis économiques, l'Europe a évidemment à relever le défi migratoire. Beaucoup de franchissements irréguliers de nos frontières ont été enregistrés depuis 2015. Avec la menace terroriste – qui n'est certes pas nécessairement liée à ce phénomène, même si beaucoup de personnes pensent le contraire – , ils exercent une pression de nature souvent insupportable pour les pays. La répartition des efforts est inégale, de même que les contributions aux différentes bases de données Schengen, en volume comme en qualité. En outre, les consultations de ces dernières sont aléatoires. Par ailleurs, allons au fond des choses : avec 330 millions d'euros en 2017 – et peut-être un peu plus en 2018 – , les moyens de FRONTEX sont évidemment très en deçà de ce qui est nécessaire pour que les Européens aient ce qu'ils attendent, c'est-à-dire des frontières, pour la circulation des personnes comme des marchandises.

J'ai évoqué le défi du Brexit, qui va nécessairement, à un moment, peser sur la marge d'action financière des politiques européennes. Nous avons évidemment besoin de nous projeter au-delà de cette échéance, même s'il est nécessaire de séquencer les négociations.

S'agissant de la programmation financière 2021-2027, je pense tout particulièrement à un budget qui se trouve menacé : celui de la PAC.

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