Intervention de Alexandre Holroyd

Séance en hémicycle du lundi 22 octobre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Article 37 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandre Holroyd :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, messieurs mes rapporteurs, mes chers collègues, le vote de l'article relatif au prélèvement sur recettes au titre de la participation de la France au budget de l'Union européenne est toujours un moment particulier de l'examen du projet de loi de finances puisque, du fait de la nature pluriannuelle des négociations budgétaires communautaires, il est l'occasion d'un constat plutôt que d'un choix.

Comme vous le savez, la contribution française au budget de l'UE, en augmentation par rapport à l'exercice précédent, atteindra l'année prochaine 21,515 milliards d'euros. Cette hausse, partagée entre les différents États membres, reflète la montée en charge tardive de la politique de cohésion. Elle alimente notamment des politiques résolument tournées vers nos concitoyens et nos entreprises, avec le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense, le programme Erasmus + ou encore l'initiative pour l'emploi des jeunes.

L'exercice budgétaire qui nous occupe revêt une importance toute particulière cette année. En effet, le budget pluriannuel européen, le CFP, arrive à son terme, et les discussions sur celui qui lui succédera, pour la période 2021-2027, sont déjà bien engagées.

« C'est au niveau européen qu'il faut trouver une solution » : combien de fois, mes chers collègues, ai-je entendu cette phrase, ou une autre similaire, dans cet hémicycle, au coin d'une rue ou à la table d'un bistrot ? Le réchauffement climatique ? La solution est européenne. Une crise financière ? L'extincteur est à Bruxelles. Le défi migratoire ? L'Union n'en fait pas assez. Pourtant, le budget européen reste égal à 1 % de notre richesse collective, niveau désespérément inadéquat pour remplir les objectifs que nous lui fixons. C'est le paradoxe européen : beaucoup s'accordent à demander à l'Union des solutions aux grands défis de notre temps tandis que d'autres lui font le procès de son manque d'efficacité, omettant de façon mystérieuse que ce sont les État membres, c'est-à-dire nous-mêmes, qui en sommes les éléments principaux ; pourtant, rares sont ceux qui sont prêts à lui donner les véritables moyens des politiques publiques que nous lui demandons d'assurer. C'est l'enjeu de la discussion budgétaire qui s'ouvre : pour être à la hauteur de nos ambitions, nous ne pouvons plus nous satisfaire d'un budget européen équivalent à 1 % du RNB, et ce budget doit faire l'objet d'une triple transformation.

Tout d'abord, il doit s'appuyer sur de véritables ressources propres, ce qui serait un retour à la genèse du budget européen, lequel était, jusqu'au milieu des années quatre-vingt, financé majoritairement par les droits de douane, comme on l'a rappelé précédemment. La part majeure de la ressource RNB nous enferme dans la logique mortifère du juste retour pour chaque État membre. Or cette logique est une absurdité puisqu'elle ne prend pas en compte les bénéfices de la participation à l'Union européenne, chaque jour plus évidents au Royaume-Uni, à l'heure du Brexit. Selon cette logique, notre pays devrait mesurer l'utilité de ses contributions à des organisations internationales à l'aune de sa seule contribution financière. Faudrait-il donc quitter les Nations unies parce que notre contribution nette y est de 122 millions d'euros, l'OMC – l'Organisation mondiale du commerce – parce que nous contribuons aussi à son financement, ou encore le Comité international de la Croix-Rouge, pour lequel la contribution française atteint 7,5 millions d'euros chaque année ? La logique du juste retour, mes chers collègues, n'a qu'un ancêtre, l'isolationnisme, et qu'un descendant, le juste partage de la misère humaine. Un budget véritablement européen doit donc s'appuyer sur des ressources propres importantes. Je prendrai deux exemples.

Les travaux en cours visant à définir une nouvelle assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés doivent absolument aboutir : nous ne pouvons plus tolérer une Europe du dumping fiscal ; nous devons au contraire favoriser une véritable convergence fiscale et sociale pour ne plus subir la concurrence déloyale de nos voisins. Un taux d'appel de 3 % sur cette nouvelle assiette permettrait d'affecter 12 milliards d'euros supplémentaires par an à l'Union européenne.

La Commission propose également de s'appuyer sur des recettes fondées sur le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, qui abonderaient directement le budget de l'Union à hauteur de 3 milliards d'euros tout en renforçant une politique publique s'attaquant au plus grand défi de notre siècle : le réchauffement climatique.

La deuxième transformation nécessaire du budget, la plus technique sans aucun doute mais qui est tout aussi importante, c'est son fonctionnement de bout en bout. Vous le savez – cela a déjà été évoqué – , le prochain cadre financier pluriannuel définira les priorités concrètes de l'Union européenne pour les sept ans à venir. À ce titre, il est essentiel que le budget européen reflète le résultat du vote des élections européennes et qu'il soit ainsi finalisé après mai 2019. Un choix politique de l'ampleur du budget européen requiert un véritable débat démocratique préalable. Il est fondamental de rendre aux citoyens leur voix sur le budget européen. Or, si le CFP est bouclé avant la tenue des élections européennes, quelle réalité cela renvoie-t-il de l'Europe ? Celle d'une Europe peu démocratique, lointaine et technocrate, dont les décisions sont prises à l'avance, sans la participation des citoyens. Les Français doivent pouvoir s'exprimer sur l'avenir de l'Union européenne : quelle Europe veulent-ils ? Posons-leur d'abord la question. Sécurité collective, protection de nos frontières, agriculture, transition écologique et numérique, emploi et investissement sont autant de questions sur lesquelles les Français doivent pouvoir s'exprimer au niveau européen. Beaucoup l'ont déjà fait, en particulier avec vous, madame la ministre, lors des consultations citoyennes ; il faut à présent que leur vote compte et se reflète dans le prochain CFP.

De plus, le président de la commission des finances l'a mentionné, il est impératif que le CFP soit doté de mécanismes favorisant une plus grande flexibilité budgétaire. Voter un budget sur sept ans permet de donner un horizon à long terme mais il est essentiel de pouvoir procéder à des ajustements en cours de CFP afin de faire face à des situations d'urgence. Qui peut prétendre prévoir ce qui adviendra en 2025 ou en 2027 ? Il faut que l'Union européenne puisse réagir rapidement en cas de crise ou d'événement imprévu. Pour cela, elle a besoin d'un budget plus flexible lui garantissant une marge de manoeuvre plus importante. Donnons-lui la flexibilité dont elle a besoin pour être plus résiliente. L'efficacité retrouvée démontrera la valeur ajoutée européenne. Cette flexibilité est la condition de l'avènement d'une Europe qui prépare notre avenir et nous protège.

Enfin, d'éventuelles nouvelles ressources doivent appuyer le troisième axe de transformation du CFP : une augmentation réelle du budget européen, pour qu'il soit à la hauteur des ambitions que nous fixons à l'Europe. Nous voulons une Europe de la recherche, de l'innovation, de la formation, une Europe dans laquelle tous les jeunes peuvent étudier, se former et travailler. Nous voulons une Europe souveraine en matière commerciale et réglementaire à l'heure de l'émergence, que dis-je, de la consolidation des nouveaux géants du XXIe siècle. Nous voulons une Europe leader des énergies renouvelables, à même de créer les conditions d'une révolution industrielle verte pour créer de l'emploi tout en protégeant notre planète. Si nous voulons tout cela, donnons-nous-en les moyens !

Il faut allouer à l'UE le budget qu'elle mérite. Le départ du Royaume-Uni doit constituer une opportunité pour mettre fin aux rabais budgétaires, auquel le rapporteur général est si attaché ! Un budget lisible et solidaire est un budget sincère. C'est la loi d'airain à laquelle nous soumettons nos projets de loi de finances depuis juin 2017 ; c'est la loi d'airain qui doit prévaloir au sein des institutions européennes.

L'architecture budgétaire de l'Union doit respecter des principes simples, inscrits dans les traités : l'unité et la sincérité. Les citoyens européens doivent pouvoir comprendre ce que l'UE finance quotidiennement, pour ne pas céder aux sirènes populistes, à ceux qui dénigrent et jouent sur les peurs, faute de pouvoir proposer un autre projet. Nos compatriotes doivent savoir que l'Europe finance près de 300 millions d'euros de projets dans la région des Hauts-de-France, dont 137 millions pour le développement rural. Ils doivent également savoir que la même Union européenne finance la protection des calanques marseillaises et le pôle de recherche sur le cancer du pancréas de Marseille.

En assumant son budget, l'Europe se rend à ses citoyens. Un budget européen rabougri, c'est une Europe timide, sans ambition, en retrait, aphone, une Europe où certains sont d'autant plus amenés à oublier ses valeurs, qui sont le sel de notre Union, que celle-ci n'est plus en mesure de satisfaire les justes attentes de nos concitoyens. L'État de droit, la liberté d'expression, la séparation des pouvoirs sont les garants de nos sociétés. Ce budget européen doit être clair : la condition d'une solidarité européenne, c'est le respect de ces valeurs qui nous unissent dans une communauté de destin.

Chers collègues, à la plus importante croisée des chemins de notre destin, Hemingway nous condamnait à la fatalité de l'absence de signalisation. Nous ne pouvons nous y résoudre. Des prochaines élections européennes de 2019 dépendront la nouvelle majorité au Parlement européen et, plus largement, l'avenir de ce projet d'intégration européenne unique au monde et dans l'histoire, que nos aïeux ont imaginé après avoir vécu l'inimaginable et pour nous en protéger. Dans le combat qui s'annonce, nous faisons un choix courageux, loin de celui de la facilité que font les populistes de tous bords. Je le dis ici : il n'y a aucune contradiction entre une Europe souveraine, une Europe forte, une Europe intransigeante, une Europe protectrice et une Europe bienveillante.

Vous l'aurez compris, chers collègues, la refondation de l'Europe passera par la redéfinition de son projet et de son budget. Le futur budget devra être lisible, ambitieux et assumé pour être véritablement démocratique et européen.

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