Ainsi s'exprimait Bruno Joncour à la tribune l'année dernière dans le cadre du même débat qu'aujourd'hui.
Je devrais m'en tenir là, car cette phrase dit tout : elle contient l'ensemble des problèmes dans lesquels nous sommes enfermés.
S'agissant des exigences, nous sommes servis !
Des incertitudes, d'abord, en particulier celle du Brexit, qui est très pesante et le sera d'autant plus que la sortie se fera dans de mauvaises conditions – même si nous ne pouvons faire à nos partenaires l'injure de croire qu'ils se transformeront en banqueroutiers professionnels.
D'immenses défis, ensuite : défi démographique, insuffisamment pris en considération par les responsables de l'Union européenne ; défi climatique et environnemental ; défi technologique ; défi de la cohésion.
Des menaces, enfin, qui sont générales – menace islamiste, agressivité russe, inconstance américaine, concurrence sauvage chinoise. La menace, qui est partout, exige vigilance, mobilisation et investissement.
Voilà les exigences dont parlait M. Joncour l'année dernière. Face à elles, il est exact que les moyens sont tragiquement insuffisants.
Ne faisons pas de mauvais procès, ni au Gouvernement, qui donne les justes orientations, ni aux institutions européennes, qu'il s'agisse de la Commission ou du Parlement. S'ils prennent la mesure de ces nouveaux défis, comme l'attestent les documents qui nous sont fournis, ils sont dramatiquement démunis parce que l'Europe, telle qu'elle est, reste un théâtre d'ombres. À quoi sommes-nous confrontés aujourd'hui ? En vérité, et pour paraphraser Charles Perrault, nous sommes amenés à financer l'ombre d'une Europe, dans le cadre de l'ombre d'un budget, avec l'ombre d'un impôt.
L'ombre d'une Europe, d'abord, et dans trois domaines.
Premièrement, les libertés : nous avons fait énormément de mouvements en faveur des libertés, du Traité de Rome à l'adoption de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, même si, aujourd'hui, certaines d'entre elles sont gravement menacées. Les libertés ne coûtent rien, ou guère, bien qu'elles n'aient pas de prix.
Le deuxième enjeu, c'est la solidarité : solidarité intergénérationnelle, notamment en matière environnementale ; solidarité dans la cohésion – cohésion entre l'Est et l'Ouest, cohésion entre le Nord et le Sud, cohésion de la zone euro. Nous voyons bien ce qu'il faut faire, nous le savons, nous le devinons. Mais notre solidarité se mesure à la part de notre revenu national que nous consacrons au budget européen – 1 %.
Si l'on demandait à nos compatriotes comment l'impôt qu'ils acquittent est réparti entre la France et l'Europe, ils diraient sans doute que la France en obtient 60 ou 70 % et l'Europe, 40 ou 30 %. On est loin du compte ! Un pour cent, c'est la portion congrue. Avec cela, il faut le savoir, nous ne pouvons pas faire ce que nous ambitionnons.
Après les libertés et la solidarité vient la puissance.
La puissance, c'est la faculté à relever les défis auxquels nous confrontent les menaces. Là, l'Europe est encore balbutiante. Pour les libertés, c'est très bien ; pour la cohésion, beaucoup a été fait, avec assez peu d'argent. Mais quant à la puissance, tout est à inventer – et tout commence de l'être car ceux qui croyaient, après l'effondrement de l'Union soviétique, que l'on pouvait toucher les dividendes de la paix en sont pour leurs frais.
Aujourd'hui, nous le savons bien, nous vivons dans un monde dur où nos intérêts ne seront défendus par personne d'autre que par nous-mêmes. Il nous faut donc relever les nouveaux défis. Nous saluons les efforts esquissés par la Commission et les engagements pris par le Gouvernement en ce sens.
Comme l'ont dit notamment la présidente de la commission des affaires étrangères et M. Leroy, nous ne voulons pas sacrifier les missions traditionnelles de l'Europe. Nous ne voulons pas déshabiller Jean Bonhomme pour habiller l'homme augmenté. Le défi technologique doit être relevé, mais ce n'est pas une raison pour défaire la seule vraie politique commune que nous ayons jusqu'à présent réussi à déployer.
Il nous faudra aller beaucoup plus loin que ces simples mesures, ces panneaux indicateurs de ce qu'il faut faire qui nous sont aujourd'hui proposés par la Commission, dans le cadre de ce qui n'est que l'ombre d'un budget.
Étrange budget, en effet, que le budget européen ! C'est un budget lilliputien, je l'ai dit. C'est un budget hémiplégique : les uns contrôlent les dépenses, les autres, les ressources. Si les procédés pour aboutir aux dépenses sont relativement cohérents – encore que le cadre financier pluriannuel soit adopté à l'unanimité – , les articles concernant les ressources sont paralysants. Un traité dans le traité est nécessaire pour augmenter les ressources.
Mais c'est aussi un budget éclaté, en une série de rubriques, qui entraîne un jeu budgétaire, où, comme dans Ruy Blas, les différents ministres cherchent à récupérer ce qu'ils ont donné.