Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du mardi 23 octobre 2018 à 15h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Comme l'année dernière, après avoir voté le PLF, nous passons à l'examen du PLFSS, comme s'il s'agissait de deux textes totalement étrangers l'un à l'autre. Vous devez pourtant admettre qu'ils sont profondément liés : ils concernent bien les mêmes contribuables, ont souvent des contenus très proches et visent souvent les mêmes objectifs, comme la compétitivité, que l'on recherche, d'un côté, par la fiscalité et, de l'autre, par les cotisations sociales. Or, on s'obstine quand même à les soumettre à un examen différé et à couper en deux des mesures qui n'en sont parfois qu'une. La fusion des parties « recettes » de ces deux textes me semble plus que jamais nécessaire.

Que dire de ce PLFSS pour 2019 ? Il aura fallu dix-sept ans pour y parvenir, mais il semblerait bien que, cette-fois-ci, nous soyons venus à bout, provisoirement au moins, du « trou » de la sécurité sociale. Le déficit de l'ensemble du régime général, FSV compris, s'est grandement amélioré entre 2017 et 2018, passant de 5,1 à 1 milliard d'euros. En 2019, on devrait même enregistrer un excédent de 700 millions d'euros, FSV compris. L'année prochaine, toutes les branches seront excédentaires, sauf l'assurance maladie et le FSV, dont le déficit sera compensé par les autres branches. C'est évidemment une très bonne nouvelle. Il faut cependant reconnaître aussi que cette soudaine bonne santé des comptes sociaux interroge. Cet équilibre est-il durable ?

L'amélioration des comptes sociaux repose sur deux facteurs : l'un conjoncturel, l'autre structurel. J'évoquerai d'abord le facteur conjoncturel. Comme le dit très clairement la Cour des comptes, la diminution très rapide du déficit entre 2017 et 2018, a une origine entièrement conjoncturelle : c'est la croissance très forte de la masse salariale – 3,5 % – , due à la croissance de l'économie, qui l'a rendue possible. Concrètement, si les dépenses du régime général ont continué leur progression, avec une augmentation de 14 milliards d'euros entre 2017 et 2018, FSV compris, les recettes ont bondi, pour atteindre 18 milliards, ce qui se traduit immédiatement par l'amélioration du solde.

Le facteur conjoncturel, ensuite : vous bénéficiez – la France bénéficie – de réformes menées il y a près de dix ans. Dix ans, c'est long ! Le retour à l'équilibre n'aurait jamais été possible sans la réforme des retraites conduite en 2010 : à elle seule, elle a permis d'économiser près de 40 milliards d'euros, dont 20 milliards pour la seule mesure de recul de l'âge légal de départ à la retraite. La branche vieillesse sera ainsi légèrement excédentaire cette année. Lorsque l'on réforme, cela se voit !

Mais il faut évidemment aller plus loin aujourd'hui car le déficit de la sécurité sociale conserve une part structurelle élevée, que la Cour des comptes évalue entre 3 et 4 milliards d'euros : c'est ce qui nous empêche d'être durablement à l'équilibre. Je ne cesse de le répéter : les réformes structurelles sont incontournables. Je rappelle que la branche vieillesse est passée d'un déficit de 8,9 milliards d'euros en 2010 à un excédent de 700 millions cette année. Mais aujourd'hui, la Cour des comptes met en garde contre le risque de rechute des comptes de la branche vieillesse d'ici à dix ans. À cela, il faut ajouter les mesures prises par la précédente majorité, qui pèseront fortement, comme la facilitation des départs anticipés ou encore la création du compte pénibilité.

Vous préférez agir dans l'urgence en appliquant la politique du coup de rabot pour améliorer artificiellement les comptes de la branche vieillesse. Il s'agit bien de cela quand vous imposez un quasi-gel des pensions dès cette année – ce n'est pas chercher à faire peur aux retraités que de dire les choses telles qu'elles sont, monsieur le rapporteur pour avis ! Ce que j'ai pu lire de la prochaine réforme des retraites ne me rassure pas car nous ne savons pas, en réalité, quel est l'objectif. Si vous souhaitez atteindre un équilibre financier durable – cela me semble être l'objectif majeur car c'est la première des justices dans un système par répartition – , je ne crois pas que telle soit la réalité des propositions qui sont sur la table. Vous prévoyez une convergence des régimes : c'est bien mais elle a été entamée depuis bien longtemps et il faut la terminer. Vous pensez également transformer les trimestres en points : cela présente aussi quelque intérêt mais cela ne change rien au financement du régime. Vous devriez également vous intéresser au régime de retraite par capitalisation, qui est un complément indispensable au régime par répartition. La CRDS sera disponible, le fonds de réserve des retraites aussi, dans quelques années. Il serait dès lors possible de réfléchir à la création d'un régime d'épargne-retraite public par capitalisation.

Au-delà du déficit du régime général, le déficit des hôpitaux publics a doublé entre 2016 et 2017, atteignant près de 1 milliard d'euros, tandis que la dette s'élève à 30 milliards d'euros. Certes, ce déficit n'est pas comptabilisé dans le budget de la sécurité sociale ; pourtant il existe bien auprès des établissements et pèse lourdement sur notre système de santé. Les enjeux sont probablement de remettre à plat la construction de l'ONDAM et de considérer que l'hôpital se trouve au coeur de tous les problèmes, puisque toutes les insuffisances du système de santé remontent vers lui, d'une manière ou d'une autre. Telles doivent être les priorités.

Je souhaite à présent évoquer les nouvelles règles de compensation que vous avez décidé d'instaurer. Les excédents de la sécurité sociale pourraient financer les déficits de l'État : un trou pourrait être bouché par un excédent, même appelé à ne pas durer. Cela me semble extrêmement dangereux car ce serait une fuite en avant ou, en tout cas, une décision opportuniste. Il ne faut pas faire comme cela. Le Gouvernement prévoit ainsi de priver la sécurité sociale de quelque 10 milliards d'euros de recettes, manque à gagner qu'elle aurait dû compenser sur le quinquennat et qu'elle ne compensera pas. C'est un principe dangereux, destiné sans doute à éviter un débat sur la cagnotte. Tout cela ne fait qu'accroître la confusion entre ce qui doit être financé par le contribuable et ce qui peut l'être par l'assuré. Certes, il s'agit toujours de la même personne et nous pouvons discuter des deux dans un même texte : cela me semblerait bien naturel. Mais les règles d'équilibre de l'un et de l'autre doivent être préservées.

Tout comme nous n'aurions pas proposé les mesures présentes dans le PLF pour 2019, c'est un tout autre PLFSS que nous aurions conçu, un PLFSS qui ne viendrait pas freiner la compétitivité des entreprises ni attaquer le pouvoir d'achat de certaines catégories de Français. Alors qu'il est essentiel de rendre notre pays plus compétitif, l'ensemble des mesures nouvelles pérennes qu'entre impôts et charges, vous imposez aux entreprises, pèseront à hauteur de 4,3 milliards d'euros nets sur les entreprises – hors double CICE car vous comptez le double CICE quand cela vous arrange mais pas quand cela ne vous arrange pas !

La barémisation du CICE que vous proposez ne va évidemment pas assez loin. Pire, elle pénalisera les entreprises puisque vous avez réduit le taux du CICE de 7 % à 6 %. Il est à notre avis indispensable de restaurer l'ancien taux pour que la bascule en baisse de charges se fasse à périmètre constant. Sinon 1 % de masse salariale échappera à cette baisse de charges. Il faut ajouter à cela la réduction des charges patronales jusqu'à 3 SMIC et la suppression, sans attendre, de toutes les charges au niveau du SMIC pour conserver des emplois industriels sur notre territoire ; telles seraient les propositions que nous ferions.

Nous devons également rendre la France plus juste en redonnant du pouvoir d'achat à tous les ménages français, et pas au travers de transferts massifs entre catégories de Français, comme vous l'avez fait entre les retraités et les actifs, par exemple. C'est pour cela que nous voulons rétablir l'indexation des pensions de retraite, des allocations familiales et des APL, pour éviter une perte mécanique de pouvoir d'achat, qu'aucune de ces catégories sociales ne mérite.

Vous avez beau dire que la désocialisation des heures supplémentaires est ambitieuse. On est assez loin ce qui figurait dans la loi TEPA de 2007. Si vous voulez donner un véritable impact à cette réforme, intégrez dans son champ la CSG et la CRDS, que vous avez laissées de côté ! Je ne parle pas de défiscalisation, simplement d'aller jusqu'au bout de la désocialisation, comme vous l'avez appelée.

À propos de CSG, il faudra tout de même de réelles clarifications puisque votre majorité a proposé d'instaurer un nouveau taux de CSG pour les retraités qu'elle considère comme aisés, c'est-à-dire ceux gagnant 3 000 euros – je ne crois pas que l'on soit aisé à 3 000 euros !

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