Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, chers collègues, ce deuxième budget social du quinquennat devait nous révéler les priorités du Gouvernement. Il devait concrétiser les différents plans et programmes dont on peut regretter qu'ils aient été présentés exclusivement aux médias plutôt qu'au Parlement, peut-être voulait-on en atténuer l'aspect assez technocratique.
C'est le cas du plan 100 % santé et de la restructuration des dispositifs d'aide à la complémentaire santé. C'est le plan « ma santé 2022 », dont, madame la ministre, vous rassemblez les mesures disparates sous le titre de « renforcement de l'effort d'investissement dans la santé ». Je pense aussi au plan Pauvreté, dont les mesures commenceront vraiment à peser sur les dépenses à partir de 2020 seulement. Il y a donc comme un hiatus entre ce projet de loi sans véritable consistance et ce que le Président de la République a présenté avec une grande solennité comme une stratégie de lutte contre la pauvreté.
C'est pourtant un budget supérieur au budget de l'État que la révision constitutionnelle de 1996, qui a étendu les droits du Parlement, nous permet de contrôler. Malheureusement cette année nos travaux sont rendus plus difficiles par le retard du dépôt du projet de loi, dû peut-être à l'attente de la nomination d'un nouveau Gouvernement qui n'a finalement pas eu lieu. Cela nous a contraint à déposer nos amendements dans des délais irréalistes.
Vous aviez l'an dernier l'objectif d'atteindre l'équilibre des comptes en 2020 et de supprimer de nouveaux déséquilibres et je vous avais dit que l'on ne pouvait bien sûr que soutenir cet objectif. Or, divine surprise, c'est un excédent de 700 millions d'euros qui nous est triomphalement annoncé pour l'an prochain. C'est une bonne nouvelle mais vous évitez ainsi habilement, monsieur le secrétaire d'État, de laisser penser qu'il y aurait une cagnotte. En effet, ce terme risquerait de rappeler l'épisode de la discussion du budget de l'année 2000 lors duquel le gouvernement Jospin avait caché l'existence d'une rentrée fiscale afin de mieux refuser de baisser les impôts ou de revaloriser les minima sociaux. Éluder ce débat vous permet ainsi d'esquiver, par exemple, celui sur la baisse du pouvoir d'achat des retraités et la pression fiscale qui pèsent sur eux.
Si la poursuite de la revalorisation de la prime d'activité, de l'allocation aux adultes handicapés et de l'allocation de solidarité aux personnes âgées est inscrite en 2019, en revanche les allocations familiales, l'aide personnalisée au logement et les pensions de retraite sont revalorisées a minima. Ainsi, avec les familles, ce sont les retraités, dont on veut nous faire croire qu'ils sont des nantis, qui sont ravalés avec cynisme au rang de variables d'ajustement.
Un document de travail du Conseil d'orientation des retraites, le COR, montre que la perte de pouvoir d'achat des retraités est bien réelle du fait de la faible revalorisation des pensions et de l'augmentation des prélèvements sociaux. « Nous aimons les retraités, nous aimons tous les Français », a affirmé le ministre de l'économie mais les retraités ont conscience d'être les sacrifiés de la politique actuelle et d'être mis à contribution pour boucler le budget.
En principe les prestations versées par les régimes obligatoires de sécurité sociale sont revalorisées, à partir d'un calcul effectué en fonction de l'inflation. Or vous remettez en cause ce principe. Dès janvier prochain, et en 2020, les pensions de retraite se verront appliquer un simple taux fixe de 0,3 %, c'est-à-dire nettement moins que l'inflation estimée à 1,6 %. De surcroît, vous avez déjà repoussé de trois mois, d'octobre à janvier, la revalorisation de la retraite de base. Un quasi gel des pensions combiné à la hausse de 1,7 point de la CSG : voilà qui pénalise encore plus les retraités. Ils sont nombreux pourtant à ne percevoir que de petites pensions après toute une vie de travail. Cette augmentation de la CSG, malgré le petit geste de l'article 11, leur reste en travers de la gorge et le fossé se creuse entre l'exécutif et le pays. Ils ne sont pas dupes et savent en outre que leur complémentaire santé augmentera en fait avec le projet de reste à charge zéro. Madame la ministre, nous verrons ce qu'il adviendra à moyen terme.
Je souhaite une fois de plus appeler votre attention sur un élément supplémentaire d'injustice frappant les retraités du secteur privé qui perçoivent une retraite complémentaire. Je n'ai pas reçu de réponse en commission lors de votre audition. Il s'agit de l'instauration, par la loi du 28 décembre 1979, d'une cotisation de 1 % sur les retraites complémentaires des Français, à une époque où les pensions de l'AGIRC et de l'ARRCO n'étaient pas encore soumises aux cotisations d'assurance maladie. Il s'agissait alors de remédier à l'augmentation du déficit de l'assurance maladie. Mais, depuis quarante ans, cette cotisation perdure sans aucune pertinence sinon d'être une recette d'appoint.
Bien que passée inaperçue cette inégalité s'est aggravée depuis que, cette année, le taux de la CSG sur les pensions de retraite a été porté à 8,3 %. Ainsi les titulaires d'une retraite complémentaire du secteur privé paient deux fois un prélèvement obligatoire pour un même objet, le financement de l'assurance maladie. Ils paient au taux de 9,3 %, soit davantage que les actifs en proportion de leurs revenus, contre 8,3 % pour le reste des retraités. Une telle injustice contrevient indiscutablement au principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques et fera probablement à ce titre l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel.
Mais revenons aux grands équilibres comptables. En fait, comme le souligne la Cour des comptes, la baisse du déficit est permise par l'artifice d'une conjoncture économique favorable même si elle s'est par la suite ralentie. En 2017 le déficit global du régime général et du fonds de solidarité vieillesse, conforme à la prévision révisée de la loi de financement pour 2018, soit 4,9 milliards d'euros, est plus élevé qu'en loi de financement pour 2017, soit 4,1 milliards. La Cour des comptes observe que si le déficit s'est réduit, il conserve une importante composante structurelle, estimée à 3,9 milliards, indépendante des effets de la bonne conjoncture économique, avec une masse salariale augmentant de plus de 3,5 %.
Pour 2019, le taux de progression de l'ONDAM est de 2,5 % au lieu de 2,3 % en 2018. Cette augmentation est à relativiser, étant donné le déficit d'1,7 milliard et la dette de 30 milliards des hôpitaux.
L'hôpital, dont vous reconnaissez l'état de tension extrême, madame la ministre, est en crise. Je n'en donnerai que deux exemples : les services d'urgence sursaturés, – nombreux sont les dysfonctionnements et les mécontentements à l'intérieur de ces services – , la psychiatrie, problème de santé publique majeur. Or, vous dites vous-même qu'il faudrait au total plus de 3,4 milliards d'euros d'ici 2022, dont près d'un milliard d'euros en faveur de l'investissement hospitalier.
Hormis l'hôpital, dans les dépenses pour 2019 de la branche maladie, il faut inclure 4 000 assistants médicaux, dont les missions, à la fois soignantes et administratives, sont relativement floues et dont le nombre est bien modeste par rapport à l'ensemble des territoires.
Ce projet est non seulement imprécis et insuffisant au regard de ce qui a été annoncé mais il est aussi assez opaque, non seulement quant à l'impact des mesures de prélèvements obligatoires et de transfert de l'État mais aussi dans le détail des économies. En effet le tableau des 3,8 milliards d'économies attendues n'a mystérieusement pas été fourni lors de la présentation à la presse de l'avant-projet, omission qui a été comblée par le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances, qui comporte nombre d'obscurités. Les produits de santé devront encore en 2019 contribuer considérablement à l'allégement des dépenses remboursées. En juillet vous aviez pourtant pris des engagements devant les responsables des industries pharmaceutiques, à qui vous avez annoncé que, durant les trois ans à venir, ils pourraient bénéficier d'une croissance minimum de 0,5 %.
Or, c'est tout au contraire un coup de rabot d'un milliard dans le domaine du médicament. Nous en connaissons déjà les conséquences : la baisse des investissements industriels, la stagnation de la production, les suppressions d'emplois, l'érosion de la place de la France dans la recherche pharmaceutique, la généralisation de la substance générique – qui aura un effet prix négatif. Il est à craindre que le moindre remboursement du médicament princeps entraîne des situations conflictuelles entre les médecins, les pharmaciens et leurs patients, sans améliorer la qualité des soins.
Et que dire de votre réforme de l'ATU – l'autorisation temporaire d'utilisation – tant attendue mais terriblement complexifiée ?
Je termine en évoquant les acteurs de la santé mais je n'en citerai que quelques-uns compte tenu du temps qui m'est imparti : les CPTS – communautés professionnelles territoriales de santé – sont l'alpha et l'oméga du projet mais, madame la ministre, 50 millions d'euros dédiés, ce n'est pas vraiment pas crédible quand il en faudrait dix fois plus !
Les personnels infirmiers, quant à eux, sont les grands oubliés. Les pharmaciens craignent qu'un nouveau plan de baisses de prix des médicaments continue à provoquer la disparition d'officines de proximité et des ruptures d'approvisionnement. 150 millions d'euros d'économies sont attendus sur les prestataires de santé à domicile, ce qui met en péril l'emploi et l'investissement dans un secteur pourtant innovant et performant, source de progrès pour la télé-santé et élément essentiel du virage ambulatoire.
En définitive, ce sont les patients qui seront sacrifiés : les personnes âgées en perte d'autonomie, les personnes handicapées, les personnes atteintes de maladies chroniques.
Nous reviendrons sur toutes ces questions dans la discussion des articles. Souhaitons simplement que la majorité fasse l'effort de manifester à l'égard de nos amendements une plus grande ouverture d'esprit et moins de sectarisme que celui dont elle a fait preuve en rejetant nos propositions de loi, comme celles relatives à l'orientation pour l'avenir de la santé ou à l'inclusion des élèves en situation de handicap.
Nous attendons les débats pour orienter notre vote final.