Vous connaissez mon attachement au Parlement et à ses travaux. J'ai plaisir à répondre à l'invitation de votre commission, la première à m'avoir convié pour une audition à l'Assemblée nationale, après qu'en juillet j'ai rendu visite à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
Comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, le ministère de la cohésion des territoires, qui regroupe le logement, l'aménagement du territoire et la politique de la ville, est un ministère transversal. J'ai la chance et le plaisir de travailler avec M. Julien Denormandie, secrétaire d'État.
Je partage avec le ministre de l'intérieur la tutelle de la direction générale des collectivités locales. La dimension institutionnelle relève de mon collègue Gérard Collomb, le volet contractuel – contrats de plan État-région (CPER), contrats de ruralité – de mon ministère. Les questions de fiscalité locale et de péréquation relèvent du ministère de l'intérieur ; mon ministère traite des subventions. Il est aussi chargé du logement, de la politique de la ville et de la cohésion des territoires.
Nous avons organisé la Conférence nationale des territoires (CNT) en juillet, au Sénat. L'Assemblée nationale est évidemment associée aux travaux de la Conférence, et plusieurs députés ont été désignés par le président de votre assemblée pour les suivre. À terme, la Conférence doit déboucher sur la conclusion avec les territoires et leurs élus de « pactes girondins fondés sur la confiance et la responsabilité », pour reprendre les propos du président de la République que vous avez cités.
La première réunion de la CNT s'est conclue sur un accord de méthode : l'État fixe le cap et accompagnera les collectivités territoriales volontaires dans le respect de leurs compétences. La Conférence a également conclu à la mise à l'étude d'un droit à la différenciation au lieu que, comme c'est le cas aujourd'hui, l'expérimentation soit possible partout sur le territoire mais qu'une fois achevée elle ne puisse qu'être abandonnée ou généralisée. Si l'on veut qu'il en soit autrement, il faudra réviser la Constitution.
L'État et les collectivités ont aussi décidé de poursuivre la contractualisation dans plusieurs domaines : pacte financier et simplification des contrats de développement et de financement des investissements que sont les CPER, les contrats de ville et les contrats de ruralité. Il a aussi été décidé d'accompagner les territoires les plus fragiles – quartiers prioritaires de la politique de la ville, villes moyennes, centres-bourgs et zones rurales.
Nous voulons également renforcer la déconcentration et donner une plus grande marge de manoeuvre aux représentants de l'État sur les territoires. La capacité d'appréciation des préfets, proches du terrain, facilitera les relations et fera gagner du temps.
Mon ministère a pour ambition de doter à nouveau notre pays d'une véritable politique d'aménagement du territoire et de redonner un sens à ce terme en faisant que l'État redevienne stratège dans ses domaines de compétence tout en développant le plus possible la coopération avec les collectivités locales.
Une étude de France Stratégie a montré que l'essentiel de la croissance s'est réalisé dans les métropoles. Mon but est de réduire les multiples fractures territoriales. Cela ne signifie aucunement briser la dynamique des métropoles mais instaurer des politiques de rééquilibrage en collaboration avec les collectivités, pour que la dynamique métropolitaine profite à tous les territoires et en particulier aux villes situées dans leur périmètre d'influence. Celles-ci ne doivent pas être seulement des villes-dortoirs qui se dévitalisent progressivement en se vidant de leurs habitants et de leurs commerces. Nous travaillons donc depuis juillet à définir une politique spécifique de soutien aux villes moyennes ; ce sera un axe fort de l'action du ministère.
Le « fait métropolitain » est entré dans les moeurs. Lorsque j'étais parlementaire, je n'étais pas favorable à la multiplication du nombre des métropoles, mais elles sont là. Les demandes étaient nombreuses et j'ai souvenance d'avoir, de manière quelque peu provocatrice, défendu au Sénat un amendement visant à conférer le statut de métropole à Aurillac...
La fusion des départements et des métropoles figure dans le programme du Président de la République. J'ai toujours défendu l'existence des départements, considérant que les fusions avec des métropoles ne pouvaient se justifier que dans un nombre très limité de cas, dans la concertation et en réponse à une demande locale, comme ce fut le cas à Lyon. Je le dis clairement, le Gouvernement ne veut pas imposer aux collectivités territoriales une solution mise au point par l'État. Nous faciliterons les initiatives de ceux qui veulent créer des communes nouvelles ou fusionner des départements si telle est la volonté exprimée par les collectivités territoriales considérées mais il n'y aura pas de politique autoritaire.
Ainsi, nous avons procédé à de nombreuses consultations, à tous les niveaux, au sujet du Grand Paris, et rencontré tous les acteurs institutionnels. Nous voulons trouver un cadre à la hauteur des ambitions légitimes pour la capitale et sa région en surmontant des oppositions qui dépassent manifestement le cadre partisan. Nous n'avons pas d'a priori, mais nous constatons que si chacun s'accorde sur la nécessité de faire avancer ce dossier, la même unanimité ne se trouve pas sur les moyens d'y parvenir.
Sur le fond, nous ne souhaitons pas refaire un Big Bang territorial. Les élus locaux sont las de ces réformes à répétition compliquées. Il faut désormais avancer, servir efficacement le développement de nos territoires et ne revoir les textes qu'à la marge quand cela apparaît nécessaire, comme cela a déjà été fait pour la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République depuis qu'elle a été promulguée.
Quels dispositifs mettre au point pour redonner un espoir aux habitants des espaces dits, à mon grand dam, « interstitiels » ? Pour avoir moi-même représenté l'un de ces espaces, je n'oppose pas le rural et l'urbain : je sais qu'il y a des zones rurales prospères et des zones urbaines en crise. Nous devons nous intéresser à tous les territoires en difficulté. Je souhaite que les contrats de ruralité perdurent. Ils ont fait la preuve de leur utilité et j'ai obtenu le maintien des dotations de soutien à l'investissement local à un niveau équivalent à celui de l'an dernier.
Une politique spécifique est nécessaire en faveur des petites villes et des villes moyennes, souvent en difficulté, singulièrement lorsqu'elles ne sont pas incluses dans un noyau métropolitain. De même, il faut aider les centres-bourgs. J'ai pris contact avec le président de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et avec Action Logement pour réfléchir à des mesures adaptées. Nous avons engagé une concertation élargie avec les associations d'élus et les acteurs concernés, que j'ai tous reçus, afin que le programme national d'action en faveur des villes moyennes que nous souhaitons lancer dans les prochains mois comprenne des mesures touchant le logement, le commerce, l'accès aux services et le numérique.
Le président de la République a annoncé, lors du lancement de la première CNT, la création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires, consacrée au monde rural. La forme qu'elle prendra n'est pas encore définitivement arrêtée. Je consulterai le Parlement au premier chef, et toutes propositions faites avant la fin de l'année seront les bienvenues. Il faudra en premier lieu veiller à l'articulation entre la future Agence et le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET). La nouvelle Agence doit avant tout être au service des projets, et donc des territoires. Je souhaite éviter absolument la création d'une nouvelle usine à gaz, d'un outil qui se surajouterait à d'autres. Il s'agit de mettre au point un instrument facilitant l'accès à de nouveaux moyens en ingénierie, en simplification administrative et en financements pour les collectivités territoriales sises hors agglomération ou métropole et qui se plaignent souvent de ne pas avoir les moyens de mener leurs projets à bien. La réflexion est lancée et j'attends vos propositions.
Le précédent gouvernement s'était fixé pour objectif la création, avant la fin de l'année 2016, d'un réseau de 1 000 maisons de services au public – MSAP –, dont la moitié au sein de bureaux de La Poste. Cet objectif a été dépassé : au 1er janvier 2017, on dénombrait 1 068 de ces maisons, dont 470 étaient hébergées par La Poste ; quelque 1 150 MSAP sont actuellement ouvertes ou en projet.
Il ressort de l'évaluation que nous avons conduite cet été que ces maisons apportent une réponse, globalement appréciée, au besoin de proximité dans l'offre de services au public. Lors des premières rencontres nationales des MSAP que nous organiserons le 10 octobre prochain, nous dresserons le bilan de cette évaluation et fixerons de nouveaux objectifs pour faire évoluer le dispositif, de manière à élargir la gamme de services, à harmoniser la qualité des services rendus et à vérifier que l'implantation géographique des MSAP correspond aux besoins locaux des populations tels qu'identifiés dans les schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public. Les rencontres permettront aussi de préciser le rôle des MSAP dans la politique d'inclusion numérique ; l'accès aux services publics se faisant de plus en plus en ligne, les MSAP ont un rôle essentiel à jouer dans l'accompagnement des personnes éloignées du numérique pour accéder à ces nouveaux services. Il conviendra enfin de sécuriser le financement de ces maisons. La CNT consacre un atelier à l'accès aux services. Nous souhaitons co-construire l'évolution des MSAP avec les collectivités et avec les organismes prestataires de services qui y sont présents, La Poste au premier chef ; son président prévoit d'ailleurs des initiatives en ce sens.
Ma collègue Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, a annoncé des mesures destinées à contrer la désertification médicale. Le Gouvernement a fixé pour objectif la création de 2 000 maisons de santé. Dans de nombreux territoires, le manque de médecins – de médecins spécialistes surtout – est patent et la question du numerus clausus est posée. Mais le problème majeur est celui de la très inégale répartition des médecins sur notre sol : chacun sait ici qu'il est plus facile de se soigner dans certains territoires que dans d'autres. Le sujet est à l'ordre du jour de la CNT.
Vous m'avez interrogé sur la couverture numérique de notre pays, enjeu essentiel de l'aménagement du territoire. Elle n'est pas satisfaisante, et rater le train du numérique serait dramatique pour les territoires en difficulté. Donner accès à tous au très haut débit est un moyen concret de combler les fractures territoriales. Je constate, sans faire de procès à quiconque, que la France est en retard en cette matière par rapport aux pays voisins. Le président de la République a dit sa ferme volonté politique de faire progresser ce dossier très rapidement. N'y voyez pas un effet d'annonce : c'est une priorité effective de l'action du Gouvernement.
J'ai tenu, accompagné des trois secrétaires d'État chargés de ce dossier, deux réunions au ministère à ce sujet. Le 7 juillet déjà, puis vendredi dernier, nous avons rassemblé tous les opérateurs, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et la Caisse des dépôts. À entendre les opérateurs, un travail considérable a été réalisé ; je ne dis pas que rien n'a été fait, mais le Gouvernement a réaffirmé sa volonté que les objectifs fixés soient tenus et nous avons demandé aux opérateurs, le 7 juillet, de nous faire des propositions permettant d'aller vite.
Le Gouvernement a défini les orientations retenues pour accélérer le déploiement du numérique de manière à assurer l'accès au haut débit sur tout le territoire en 2020 et au très haut débit – 30 mégaoctets – en 2022. Nous nous donnons deux mois pour traduire ces orientations, rappelées aux opérateurs, dans un accord financier engageant l'ensemble des parties. Les opérateurs ne sont pas d'accord sur tout mais le rôle de l'État est de trouver une solution concertée et acceptée. Au cas où la concertation ne porterait pas ses fruits, le Gouvernement prendrait ses responsabilités, je l'ai redit aux opérateurs.
Nous voulons accélérer le déploiement du très haut débit dans les zones denses, où 3 millions de lignes seulement ont été installées sur les 12 millions prévues pour l'être d'ici 2020. À cette fin, nous voulons, pour être sûrs qu'ils seront entièrement tenus à cette date, rendre contraignants les engagements qui ne sont pour le moment que des intentions d'investissements. Pour ce qui est des réseaux d'initiative publique, 800 000 lignes de « fibre à la maison » avaient été réalisées fin 2016, pour un objectif de 7,3 millions en 2020. L'objectivité commande de souligner que le déploiement s'accélère beaucoup en ce moment. Le Gouvernement a réaffirmé son soutien aux réseaux d'initiative publique, que l'État finance en grande partie, avec les collectivités locales, et nous avons signifié que nous nous opposerons à toute tentative de déstabilisation.
Nous devons aussi trouver une solution pour les 15 % de la population qui ne sont pas visés par la dynamique de déploiement. Nous ne privilégions aucune technologie et nous avons engagé un travail méticuleux visant à définir, pour chaque territoire encore non desservi, quelle technique – filaire, hertzienne ou satellitaire – est la mieux adaptée pour atteindre l'objectif du haut débit pour tous en 2020. L'ARCEP a déjà réalisé un travail considérable à ce sujet.
Pour le mobile, l'écart entre la perception du niveau de qualité de service et les déclarations des opérateurs n'est plus tenable. Pour améliorer le niveau de couverture mobile, en territoire couvert et en débit garanti, le Gouvernement préconise des investissements massifs dans de nouveaux équipements sur tout le territoire. Il ne lui appartient pas de déterminer un nombre de pylônes mais de fixer le niveau de qualité requis. Aussi avons-nous donné mandat à l'ARCEP de préciser le nouveau « standard de qualité » attendu à horizon 2020 – il inclura la voix, l'envoi de SMS, le téléchargement de fichiers, la téléphonie mobile en 4G sur l'ensemble du territoire – ainsi que le montant des investissements supplémentaires correspondant. En se fondant sur ces estimations, le Gouvernement arrêtera les éventuelles contreparties en matière fiscale, le niveau des redevances et la durée des concessions.
J'en viens à l'avenir du plan « France Très Haut Débit ». Les 3,3 milliards d'euros consacrés par l'État au financement des réseaux d'initiative publique (RIP) sont presque totalement engagés. Le Premier ministre a annoncé lundi que le grand plan d'investissement pourrait permettre d'aller au-delà des 300 millions d'euros qui restent à engager pour le premier volet et qui sont désormais totalement sécurisés. Le financement de ces réseaux a beaucoup évolué depuis quelques années : les investisseurs privés étant très intéressés, il appelle de moins en moins de contribution publique. Mais, je le répète, il est hors de question de déstabiliser les réseaux d'initiative publique en laissant un opérateur installer un deuxième réseau de fibre optique là où il en existe déjà un. Il a été dit aux opérateurs, de la manière la plus claire, que nous ne céderons pas ; cela devrait rassurer les collectivités locales.
Nous nous sommes donné deux mois pour préciser les modalités des actions et les consigner dans un accord financier qui engagera toutes les parties ; avant la fin de l'année, le Gouvernement arrêtera sa feuille de route sur l'accélération du déploiement du numérique. Nous souhaitons que tout cela soit réalisé en concertation avec tous les acteurs et, jusqu'ici, les opérateurs se sont montrés plutôt favorables à ce processus, et même à des engagements contraignants, prescrits par la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne. Mais, en l'absence de consensus, le Gouvernement prendra ses responsabilités.
Enfin, le secrétaire d'État Julien Denormandie et moi-même avons présenté à la presse, la semaine dernière, notre stratégie pour le logement. Nous serons très prochainement entendus sur ce sujet par vos collègues de la commission des affaires économiques, à l'invitation de son président. J'en dirai quelques mots ici, en m'en tenant à l'amélioration du quotidien et du cadre de vie – je répondrai bien sûr à toutes vos questions.
Notre objectif est d'accélérer et de simplifier la construction : construire plus, mieux et moins cher. Le projet de loi que nous préparons devrait notamment permettre de revoir en partie le code de la construction, en privilégiant les objectifs de résultats par rapport aux objectifs de moyens. Ce sera une simplification. J'ai parlé de « pause normative » : nous ne reviendrons pas pour autant sur ce qui a déjà été voté, mais le Gouvernement entend éviter d'instaurer toute nouvelle norme et souhaite simplifier, dans la mesure du possible, les normes existantes.
Nous avons travaillé sur la question des recours. Il y a quelques jours, le maire et président de la métropole de Toulouse me disaient que 60 % de ses permis de construire faisaient l'objet d'un recours. Le droit au recours rend difficile de trouver des solutions à ce problème ; mais nous voulons avancer sur la question procédurale. Je pense notamment à la cristallisation des moyens, c'est-à-dire l'obligation pour celui qui dépose un recours d'inscrire tous ses moyens dans son recours, au lieu de les égrener tous les six mois, tous les ans ou tous les dix-huit mois. Je pense également aux sanctions en cas de recours abusif.
Nous souhaitons également éradiquer d'ici à 2022 les passoires thermiques dans le parc social. Quant au parc privé, notre objectif est que 1,5 million de logements soient rénovés au cours des dix ans à venir.