Intervention de Nicolas Hulot

Réunion du lundi 25 septembre 2017 à 16h00
Commission des affaires économiques

Nicolas Hulot, ministre d'état, ministre de la transition écologique et solidaire :

Monsieur le président, Madame la rapporteure pour avis, Mesdames et Messieurs les députés, chers amis, de mon point de vue, le projet de loi que vous examinez aujourd'hui est plus que symbolique ; n'employons pas de grands mots, il n'est pas l'alpha et l'oméga de la transition écologique, mais s'il est voté, il en sera un axe essentiel. Selon Bossuet, nous sommes d'étranges « créatures qui nous affligeons des conséquences dont nous continuons à adorer les causes ». Cela caractérise bien notre époque, et nous en faisons souvent l'expérience. Ainsi, tout le monde est pour la lutte contre le réchauffement climatique, mais souvent contre ce que cela implique. Même si l'accord de Paris n'est pas juridiquement contraignant, il nous engage : d'une certaine manière, c'est un serment, une promesse que nous avons faits à nos enfants. Ces mots peuvent paraître un peu grandiloquents, mais tel n'est pas mon objectif. Je veux simplement resituer ce projet de loi qui est une pièce d'un dispositif au service d'une ambition et d'un objectif. L'accord de Paris ne fait qu'établir une feuille de route – c'est déjà, sur le plan diplomatique, un miracle – qui nous enjoint d'éviter, si tant est qu'il ne soit pas déjà trop tard, un scénario de changement climatique irréversible, dont les conséquences ne seraient pas moins irréversibles. La fenêtre dont nous disposons pour y parvenir est relativement étroite – la réalité vient d'ailleurs, malheureusement, de se rappeler à nous et aux esprits les plus sceptiques avec les ouragans qui ont touché les Antilles.

La science, que quasiment plus personne n'ose contester, nous dit d'éviter des élévations de température supérieures à 1,5 degré par rapport à l'ère préindustrielle. Pour l'instant, la somme des engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris nous met plutôt sur la trajectoire d'une élévation de 2 degrés, mais l'important est de passer des intentions aux modalités qui permettent d'atteindre nos objectifs. Ce projet de loi, auquel s'articuleront d'autres éléments, d'autres ambitions et peut-être d'autres textes législatifs, offre enfin une mise en oeuvre cohérente des objectifs que nous nous sommes fixés. C'est peut-être un peu caricatural et cela peut effrayer, mais, pour résumer, si nous voulons avoir une chance d'éviter un scénario catastrophe aux conséquences tout aussi irréversibles, la science nous commande de laisser 80 % des énergies fossiles sous nos pieds. Soyons sincères : c'est souvent au stade de cet énoncé que les regards se détournent. C'est effectivement demander de renoncer volontairement à ce qui fut pendant 150 ans un allié pour une partie de la communauté internationale ; la solution devient brutalement le problème. Je peux évidemment comprendre que ce renversement puisse provoquer une forme de sidération. Au prétexte que l'exercice est difficile, on a donc parfois tendance, en ce domaine comme en d'autres, à l'occulter, mais, si j'ai une toute petite ambition, en tant que ministre, c'est bien de ne pas dissimuler les transformations que nous imposent les objectifs visés.

Ce projet de loi vise donc à un minimum de cohérence. Certes, celle-ci ne se décrète pas du jour au lendemain, mais elle peut s'instaurer progressivement. Nos objectifs climatiques vont nous obliger à une transformation profonde de notre modèle énergétique et, par voie de conséquence, de notre modèle économique et de notre modèle sociétal. Nous en sommes au premier temps de cette transformation en profondeur. Pour y parvenir, la prévisibilité joue un rôle-clé, et c'est précisément ce que ce projet de loi vise à instaurer : la prévisibilité, associée à l'irréversibilité. Si les objectifs et les règles ne sont pas clairs, ou s'il subsiste quelque doute quant au risque que les règles ou les objectifs changent en cours de route, la créativité et l'innovation ne seront pas au rendez-vous. Il faut aussi, et c'est le troisième élément, de la progressivité, ce qui justifie l'horizon que nous avons retenu pour ce projet de loi : 2040.

D'une certaine manière, le projet de loi sonne, sans brutalité, le glas de l'ère des énergies fossiles. Ce sera probablement un peu compliqué, a fortiori si nous ne créons pas les conditions nécessaires à l'émergence d'une alternative et si nous n'arrivons pas à donner à nos concitoyens une vision claire de ce que sera notre modèle en 2040, de ce que nous allons perdre d'un côté mais aussi de ce que nous allons gagner de l'autre. Cette tâche nous incombe évidemment, aux uns et aux autres.

Si nous arrivons par bonheur à nous libérer d'une forme d'addiction, si j'ose dire, aux énergies fossiles, j'y vois plusieurs autres vertus, outre celle de nous protéger des aléas des changements climatiques. Tout d'abord, la lutte contre le changement climatique est également un agenda de santé publique – l'expression n'est pas de moi, elle est de l'actuelle directrice de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Considérez les conséquences sanitaires et, accessoirement, économiques, à l'échelle du monde, de l'utilisation des énergies fossiles. Je sais bien que la France seule ne pourra pas tout réussir, mais elle a intérêt à prendre le train qui est déjà en marche tant qu'il est à sa portée. Cela aura une vertu économique et sanitaire : selon certains organismes onusiens, le coût pour la communauté internationale des externalités négatives des énergies fossiles est l'équivalent de 5 000 milliards de dollars par an – je retiens au moins l'ordre de grandeur. L'autre vertu de cette transformation tiendrait au fait que le pétrole, le gaz et le charbon n'ont jamais été complètement étrangers aux causes des conflits auxquels nous avons assisté depuis la Seconde Guerre mondiale. Disons-le autrement : sous la contrainte climatique, qui nous oblige à accélérer notre transition énergétique, nous pourrions arriver à nous affranchir des énergies fossiles pour construire un modèle énergétique qui nous donne notre indépendance et notre autonomie énergétiques. Bien sûr, des ruptures technologiques seront probablement nécessaires, mais si la contrainte est bien fixée, l'innovation sera au rendez-vous – la contrainte n'est pas l'ennemie de l'innovation, elle en est la condition. Nous avons ce potentiel, en termes d'ingéniosité et en termes économiques ; nous pouvons retrouver une forme d'abondance énergétique : les sources énergétiques renouvelables sont abondantes et les machines pour les exploiter, une fois mises au point, gratuites. Ce seront autant de milliards d'euros que nous pourrons consacrer aux priorités de notre société. Je voulais simplement, en guise d'introduction, vous rappeler le contexte et les vertus de cette transformation, si la France réussit ce pari.

Avec l'adoption de ce projet de loi, le leadership de la France dans la prise de conscience climatique se prolongera en un leadership dans le passage à l'action. Ce projet de loi a effectivement pour horizon 2040. J'emploie délibérément le terme d'horizon, car certains démontreront probablement qu'il y aura quelques « fuites » au-delà de 2040, mais le chemin ( ?) sera d'une importance considérable. Toutes les intelligences, toutes les énergies vont converger, parce que personne ne pourra ignorer l'objectif à atteindre.

À compter de la promulgation de cette loi, plus aucun permis d'exploration ou de recherche d'hydrocarbures, conventionnels ou non conventionnels, ne pourra plus être délivré sur notre territoire. Nous respecterons les droits acquis – cela aura au moins le mérite de clarifier une situation que j'ai moi-même découverte en prenant mes fonctions –, mais il y aura au moins un avant et un après. Et nous ferons en sorte, autant que faire se peut, que les concessions existantes ne soient pas renouvelées au-delà de l'horizon 2040.

Ce projet de loi s'inscrit dans un ensemble, dont il est l'axe principal. J'ai présenté les autres objectifs au moment de l'annonce du plan climat : la neutralité carbone, d'ici à 2050, et la fin de la production d'électricité à base de charbon d'ici à 2022. J'ai aussi proposé l'interdiction, à partir de 2040, de tout véhicule qui émettrait des gaz à effet de serre. Ces horizons peuvent sembler lointains mais, depuis que nous avons simplement annoncé l'objectif d'une interdiction des véhicules émettant des gaz à effet de serre, trois ou quatre pays nous ont emboîté le pas ! Ce projet de loi aura-t-il le même effet contagieux ?

J'entends bien qu'il ne nous libérera pas du jour au lendemain de nos importations de pétrole – certains seront même enclins à penser que celles-ci augmenteront –, mais la transition énergétique nous assigne également des objectifs de réduction de notre consommation de pétrole et de développement des énergies renouvelables. Et, par souci de cohérence et pour éviter que l'augmentation du prix du carbone ne conduise nos concitoyens dans une impasse économique, j'ai présenté, il y a quelques jours, un plan de solidarité qui sera inscrit dans le projet de loi de finances initiale. Il prévoit, entre autres, une prime à la conversion des véhicules les plus polluants, qui pourra atteindre, pour les ménages les plus modestes, 2 000 euros ; une prime de 3 000 euros pour le remplacement de chaudières ; une prime de 6 000 euros pour l'achat d'une voiture électrique ; des crédits d'impôt. Tout cet arsenal, qui s'intègre au plan climat et dont nous allons vérifier et améliorer l'efficacité, sera mis en place en 2018 et en 2019.

Il me semble que c'est la réponse la plus intelligente que nous pouvons donner au signal un peu dramatique que nous avons reçu de l'administration américaine. La France, comme d'autres pays, avait jusqu'à la fin de l'année 2018 pour réviser à la hausse ses ambitions en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Par ce projet de loi, grâce à cet objectif que nous nous donnons, nos acteurs économiques et la société civile s'inscriront dans une démarche de cohérence et de progression. Je souhaitais vous y associer, et je suis à l'écoute de vos remarques, de vos réserves et des compléments que vous souhaitez apporter. Ce projet de loi, j'en ai conscience, est une partie d'un tout. Ensemble, nous allons précisément construire ce tout.

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