Nous vous prions, tout d'abord, d'excuser notre président, Thierry Beaudet, et nous vous remercions pour votre invitation : nous sommes très honorés de venir présenter les positions de la Mutualité française, qui a souhaité, à l'occasion de la révision de la loi de bioéthique, faire part de sa réflexion et de ses positions afin de contribuer au débat social et de participer à l'élaboration de ce que nous espérons être un consensus sur un certain nombre de questions éthiques essentielles dans les champs médical, technique, technologique et scientifique.
Nous avons mené cette réflexion dans le cadre de la FNMF, mais certaines mutuelles ont également conduit leur propre réflexion, comme la Fédération des mutuelles de France (FMF) et la Mutuelle générale de l'Éducation nationale (MGEN), par habitude voire par tradition. C'était la première fois que nous organisions un tel exercice au niveau de la FNMF, et nous l'avons prolongé lors de notre congrès, auquel a notamment participé le professeur Delfraissy. Nous entendons continuer sur cette voie bien au-delà de la seule révision de la loi de bioéthique : il nous paraît absolument nécessaire de contribuer à une forme d'éducation populaire, civique et citoyenne, via les 36 millions de personnes que nous protégeons dans le cadre de nos mutuelles de santé et des services de soins et d'accompagnement mutualistes. Un certain nombre de questions éthiques se posent et nous souhaitons contribuer à la réflexion.
Notre contribution est structurée autour de cinq axes qui nous paraissent absolument essentiels.
Le premier principe est de contribuer à l'émancipation de nos concitoyens : qu'ils soient de simples assurés sociaux, des patients ou des personnes malades en situation de handicap ou de dépendance, ils doivent bénéficier de tous les éléments leur permettant de faire ce qu'ils considèrent comme étant le bon choix pour eux, d'avoir le bon soin au bon moment, de se prononcer sur les thérapeutiques qui les concernent, de prendre leurs décisions au sujet de l'usage des données, et d'utiliser ou non l'intelligence artificielle. Sur toutes ces questions, comme sur celle de la fin de la vie, les citoyens doivent être responsables et pleinement maîtres de leurs décisions.
Le deuxième principe est peut-être consubstantiel à ce que nous sommes – nous n'avons pas de but lucratif, mais nous restons des assureurs : il nous paraît absolument fondamental de bien appréhender l'aléa et de réhabiliter la notion de risque. Compte tenu du principe de précaution et de la volonté, bien légitime chez nos concitoyens, d'avoir une société de plus en plus sûre, la question du risque effraie et on ne l'explicite pas suffisamment. Tout progrès génère du risque : c'est par une meilleure maîtrise et par une indemnisation, le cas échéant, qu'il faut traiter le sujet. Un certain nombre de techniques nouvelles, telles que l'intelligence artificielle, sont évidemment porteuses de risques. Il faut les encadrer, en étant conscient qu'elles vont permettre de réaliser des progrès formidables, notamment parce qu'elles nous donnent des possibilités nouvelles, et potentiellement déterminantes, pour accompagner les soins. Il faut retravailler sur la question du risque dans le cadre du débat politique.
Le troisième principe concerne les solidarités. Si l'on ne garantit pas un égal accès aux nouvelles technologies et si le progrès n'est pas partagé et accessible à l'ensemble de la population, ou à tout le moins au plus grand nombre, on va créer des inégalités supplémentaires et le sentiment d'appartenance sociale se délitera encore plus. Ce serait extrêmement dévastateur, notamment sous l'angle de l'appétence démocratique de nos concitoyens.
Le quatrième principe est précisément celui de la démocratie, de la participation à la décision. Notre format mutualiste et notre appartenance à l'économie sociale et solidaire font que nous sommes démocratiques par nature. Les assurés sociaux qui ont adhéré aux mutuelles participent à leur chaîne de décision et à la désignation de leurs représentants. Nous sommes très sensibles à cette dimension : c'est aussi la participation des adhérents à nos instances et à notre gouvernance qui nous permet d'être très directement en prise avec les préoccupations, les interrogations mais aussi les craintes de nos concitoyens. C'est ce qui nous a conduits à nous emparer de certaines questions et à les traiter avec autant de sérénité que possible. Sur des sujets d'éthique tels que la procréation médicalement assistée (PMA), qui a fait l'objet d'une réflexion dans le cadre de certaines mutuelles, en particulier la MGEN, on doit travailler sereinement, sans heurter les uns ou les autres mais au contraire en faisant émerger des lignes de consensus. Il nous paraît absolument fondamental de contribuer, à notre place, qui est celle des acteurs de la société civile, à l'émergence d'un débat apaisé.
Le dernier principe, qui est également consubstantiel aux mutuelles, est celui de la non-lucrativité : à nos yeux, les questions de santé sortent du champ commercial. Il nous paraît tout à fait essentiel de créer les conditions de l'accès du plus grand nombre à la santé et de conforter le droit constitutionnel à la santé dans un cadre non-lucratif.
En ce qui concerne les données, le principe que nous mettons en avant est la garantie du libre choix et du consentement des assurés sociaux. La solidité de leurs connaissances dans ce domaine et celle de leur consentement sont une condition nécessaire pour le bon usage des données. Des expériences d'utilisation « qualitative » ont été réalisées, notamment aux États-Unis avec l'initiative Blue Button. Ce type de solutions nous semble pertinent : il faudrait peut-être réfléchir à les dupliquer, sans que ce soit à l'identique car il faut assurer une adaptation à notre contexte réglementaire et législatif, en particulier la loi « Informatique et libertés » et le règlement général sur la protection des données (RGPD), que nous devons à l'Union européenne. On doit aussi faire en sorte de donner aux élèves et à nos concitoyens en général, dans le cadre de leur formation, la capacité d'utiliser les données d'une manière qui soit aussi éclairée et utile que possible pour leur santé et leurs choix de vie.
Pour ce qui est de l'intelligence artificielle, deux principes nous semblent essentiels. Il y a d'abord celui de la loyauté : ceux qui élaborent les algorithmes doivent s'engager très clairement à ce que les données soient utilisées de la manière qui est annoncée. Il ne doit pas y avoir d'utilisation cachée. Le principe de la transparence nous semble, par ailleurs, absolument nécessaire pour répondre au besoin de confiance. Beaucoup de nos concitoyens sont aujourd'hui inquiets, de manière légitime au regard d'un certain nombre d'éléments. Si l'on veut que les progrès soient bien utilisés, on doit conforter le sentiment de confiance. Sans cela, il ne peut pas y avoir de démocratie, et la relation avec les soignants et d'autres acteurs, comme les mutuelles, risque de se déliter. Il faut créer les conditions d'un écosystème favorable au progrès technique, à la recherche et à tout ce qui pourra être utile pour arriver à de meilleures connaissances et à une meilleure personnalisation des accompagnements, de la prévention et de l'accès au dépistage. Tous ces éléments peuvent être des facteurs formidables de réduction des inégalités, et il faut donc les prendre en compte. En tant que fédération de la mutualité française, nous restons résolument confiants, même si nous sommes très attentifs aux risques potentiels, dans la possibilité d'accompagner nos concitoyens pourvu que l'on mette en place une éducation au numérique et à ses enjeux sur le plan de la santé.