C'est avec un grand plaisir et le sens aigu des responsabilités qui m'incombent que je me présente à vous pour la première fois, en qualité de directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées. Cette fonction, que j'assume depuis un peu plus d'un mois, me confère également la charge du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ».
Ce programme traduit en termes budgétaires l'importance de la fonction stratégique « connaissance et anticipation ». Il fera dès l'an prochain l'objet d'un effort particulier, pour la première annuité de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 que vous avez adoptée, consacrée à la remontée en puissance de nos armées.
En renforçant significativement les moyens consacrés au renseignement et à la prospective, le programme 144 reflète ainsi, un an après la validation de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, la volonté de garantir notre autonomie nationale d'appréciation des menaces et des risques, dans un environnement stratégique en bouleversement rapide. Plus largement, la loi de programmation militaire souligne la nécessité de coopérations internationales accrues, dans le cadre d'un pilotage dynamique des relations internationales. Il s'agit bien de développer la capacité de la France à agir et fédérer des partenaires sur les plans politique et militaire, en capitalisant sur des capacités opérationnelles à haute valeur ajoutée. Ce faisant, la loi de programmation militaire contribue directement à garantir notre autonomie stratégique future, en renforçant aussi sa dimension européenne.
Anticipation stratégique et coopération internationale sont au coeur de l'activité de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). Elles permettent d'apprécier l'évolution de l'environnement stratégique et de tirer profit des relations entretenues avec nos partenaires pour peser sur les scènes européennes et multilatérales prioritaires pour notre pays. Elles permettent aussi de bâtir des liens de confiance là où nous souhaitons renforcer notre rayonnement et accroître notre influence ; de prévenir les crises et de soutenir les rapports de force là où la situation l'exige ; de rester capables d'adaptations rapides et efficaces face à d'éventuelles ruptures stratégiques et technologiques.
Tels sont les objectifs structurants de la DGRIS, dont je rappellerai le rôle, les missions et la place au sein du ministère avant de vous présenter les principales orientations du programme 144 dans le projet de loi de finances pour 2019. J'illustrerai enfin les priorités d'action de la DGRIS au regard des enjeux de défense actuels.
La DGRIS est née en 2015 de la volonté de réformer la gouvernance des fonctions « relations internationales » et « stratégie » du ministère des Armées pour en renforcer la cohérence sous l'autorité directe du ministre. La DGRIS assure le pilotage et la coordination de l'action internationale – et finalement de la « diplomatie de défense » – en lien étroit avec le Quai d'Orsay. Cela inclut la définition, au profit de la ministre, des positions du ministère, dans tous les formats – bilatéraux, européens, multilatéraux, ad hoc –, en coordination avec l'état-major des armées, la direction générale de l'armement (DGA) et les autres entités concernées. Cela n'inclut pas la coopération internationale liée à l'activité opérationnelle des forces, la conduite des coopérations en matière d'armement et le soutien aux exportations, tous domaines dans lesquels la DGRIS apporte cependant un appui aussi souvent que nécessaire – par exemple pour accompagner la montée en puissance de la force G5 Sahel ou la fourniture de sous-marins à l'Australie.
L'action internationale de la DGRIS comprend également un dialogue très régulier avec les directions politiques des ministères de la Défense de nos alliés et partenaires, en appui du dialogue mené au niveau des ministres.
La DGRIS a aussi pour mission de piloter notre réseau diplomatique de défense, en coordonnant les instructions et les lettres de mission adressées aux attachés de défense et aux représentations militaires auprès des organisations internationales. Auparavant dispersées, ces instructions font à présent l'objet d'un processus cohérent et structuré.
La direction générale est aussi chargée de définir et de conduire la stratégie, essentielle, d'influence internationale du ministère. Cette stratégie passe par la définition annuelle, en fonction de nos priorités, de la répartition des postes permanents du ministère à l'étranger. Ils sont 1 425, dont 281 postes en ambassades et 72 au sein des représentations permanentes à l'Union européenne, à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) et à l'Organisation des Nations unies (ONU).
La stratégie d'influence internationale passe aussi par l'identification des postes d'intérêt et la mobilisation de nos ressources pour les capter. Qu'il s'agisse des postes d'experts dans les organisations internationales ou les think tanks à l'étranger – tel l'International Institute for Strategic Studies –, ou des fonctions de conseillers politiques auprès des commandants de forces, toutes ces ressources contribuent à une politique d'influence et à une politique de ressources humaines dynamiques.
Cette stratégie passe encore par la conduite du programme des personnalités d'avenir de la défense. Une trentaine de personnalités sont accueillies chaque année, qui suivent un cursus sur mesure. Ce programme a des retombées de long terme, dont nous constatons régulièrement l'efficacité grâce au réseau constitué et suivi dans la durée.
Cette stratégie a aussi pour instruments la politique de sélection et d'accueil des étrangers dans les organismes de formation des armées – l'accueil de quelque 70 stagiaires étrangers à l'École de guerre est un outil de fidélisation précieux –, et l'entretien de relations constantes avec les attachés de défense étrangers à Paris, auprès desquels la DGRIS intervient régulièrement pour transmettre des messages et expliquer les positions françaises.
La stratégie d'influence se traduit enfin par de nombreux contacts quotidiens : ainsi de l'accueil des députés du Bundestag en visite à Paris ou des présentations sur la France dans l'OTAN faites par la DGRIS aux représentants militaires de SHAPE (commandement suprême allié en Europe), pour ne mentionner que les plus récents.
J'en viens au second volet de l'activité de la DGRIS : le pilotage ministériel des travaux de stratégie de défense, de prospective et le soutien à la recherche stratégique. Il s'agit notamment de suivre la cohérence entre les orientations retenues par la Revue stratégique et leur traduction dans la LPM. Cela exige d'identifier et d'analyser, à l'horizon d'une décennie, les évolutions ou les ruptures stratégiques pouvant modifier notre posture et notre stratégie de défense. Il s'agit aussi de réaliser et de coordonner les travaux préparatoires à l'actualisation de la prochaine Revue stratégique ou du prochain Livre blanc. Cette dernière tâche, qui répond à la préoccupation exprimée par la représentation nationale, lors de l'élaboration du Livre blanc de 2013, d'éviter toute rupture dans l'analyse de notre environnement stratégique, servira aux travaux relatifs à l'actualisation de la LPM prévue en 2021. La DGRIS est aussi impliquée dans différentes réflexions stratégiques menées par le ministère – sur l'espace, la cybernétique, l'évolution des doctrines et des modèles d'armées d'autres puissances ou encore les travaux capacitaires, tels le système de combat aérien futur (SCAF) et le porte-avions nouvelle génération.
La direction générale a aussi pour tâche de continuer à soutenir le développement d'une recherche stratégique active au sein de l'Université et des instituts de recherche, qui nous apportent un complément d'expertise indispensable. Notre aptitude à maîtriser la complexité et l'incertitude croissantes de notre environnement dépend directement de ces apports.
Enfin, la DGRIS coordonne les travaux du ministère en matière de lutte contre la prolifération et de contrôle des exportations de matériels de guerre et assimilés – dont l'actualité récente a montré toute l'importance.
Trois ans après sa création, la DGRIS suit, en rythme de croisière, 166 pays quotidiennement par le biais de 88 missions de défense et plus de 30 dialogues stratégiques annuels. Pendant le seul mois de septembre 2018, près d'une cinquantaine de dossiers ont été constitués pour nos hautes autorités, et douze projets d'intervention écrits pour la ministre.
En 2017, mon prédécesseur a assumé le secrétariat général de la Revue stratégique en détachant pendant trois mois six personnes à ce travail, et a contribué aux groupes de travail pour l'élaboration de la LPM et du rapport annexé. Ont également été conduits des travaux d'analyse et de prospective sur des thématiques structurantes pour l'avenir. Posture agressive de la Russie et aviation à long rayon d'action, influence de la Chine en Afrique, systèmes d'armes létales autonomes, analyse des dépendances européennes, etc. : les sujets d'étude sont nombreux. Le lien, déjà étroit, avec la société civile a été renforcé par le soutien à la recherche stratégique et l'encadrement d'études et le développement d'observatoires. Enfin, quelque 6 000 demandes de licences d'exportation ou de transfert d'armement et 3 000 demandes de licences de biens à double usage sont traitées chaque année.
Je ne manquerai pas de souligner que toutes ces activités reposent sur des équipes soudées, compétentes et dynamiques qui, étant donné l'ampleur des missions qui leur sont confiées, travaillent en flux tendu. La DGRIS comprend 210 personnes, des cadres pour l'essentiel, répartis de manière équilibrée entre civils et militaires, officiers, fonctionnaires et aussi experts venus de l'Université. Sa composition mixte fait de cette direction générale une structure intégrée unique, parfaitement adaptée à sa mission de coordination au service de l'ensemble des entités du ministère. Avec les 37 personnes de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM) rattachées à la DGRIS, cet effectif représente une masse salariale d'environ 24 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2019, et de quelque 63 millions d'euros pour le réseau diplomatique de défense, qui est en quelque sorte le réseau extérieur de la DGRIS. La masse salariale de ces effectifs est décomptée sur le programme 212 du ministère.
Au moment de présenter les grandes masses financières du programme 144, je rappelle pour mémoire qu'il regroupe trois actions dont la conduite est répartie entre la DGRIS, l'état-major des armées, la DGA, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Ce sont l'action 3 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la défense », l'action 7 « Prospective de défense » et l'action 8 « Relations internationales et diplomatie de défense ».
Dans le projet de loi de finances pour 2019, le programme 144 est doté en crédits, hors titre 2, de 1 629 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE), en hausse de 13 %, et de 1 476 millions d'euros en crédits de paiement (CP), en hausse de 6 %. Cet accroissement est particulièrement substantiel quand il est corrélé à celui du titre 2 au profit du renseignement.
Pour l'action 3, qui couvre les besoins du renseignement – DGSE et DRSD –, les crédits de paiement sont portés à 358,6 millions d'euros, en augmentation de 15,8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018. Cela se traduit par des acquisitions de matériel, un effort de cyberdéfense pour garantir une autonomie technique et un renseignement stratégique de qualité, la modernisation d'infrastructures saturées et la sécurisation des sites et des réseaux. Il s'agit aussi, hors programme 144, d'un investissement intellectuel et humain par des recrutements supplémentaires ciblant des besoins d'expertise renouvelés.
Ce réinvestissement se reflète également dans l'action 7 – répartie entre la DGRIS, la DGA et l'état-major des armées –, qui couvre les besoins de la prospective de défense ; les crédits de paiement enregistrent une hausse de 3,4 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018, ce qui les porte à 1 078,12 millions d'euros. Cette augmentation touche les trois dimensions de la prospective couvertes par le programme : elle est de 3 % pour les études stratégiques commandées à des instituts de recherche et pilotées par la DGRIS, soit 9,69 millions d'euros. Elle est de 1 % pour les études opérationnelles et technico-opérationnelles pilotées par l'état-major des armées et dédiées à la prospective des systèmes de forces, soit 21,8 millions d'euros, dissuasion comprise. L'augmentation est enfin de 5 % en crédits de paiement pour les études amont, pilotées par la DGA. Le projet de loi de finances traduit ainsi la priorité donnée par la ministre à l'innovation technologique, à la captation du progrès issu du marché civil et à l'innovation de rupture, en portant le financement de ces études à 920 millions d'euros en AE et 760 millions d'euros en CP. Le financement annuel des études amont sera ainsi porté à un milliard d'euros en CP en 2022, au lieu de 730 millions d'euros par an en moyenne sur la durée de la précédente loi de programmation militaire.
Comme je l'ai souligné en préambule, l'importance accordée à la modernisation au profit de notre autonomie stratégique future est l'un des principaux axes de la nouvelle LPM ; nous y sommes particulièrement vigilants.
En complément des moyens importants consacrés à la prospective, le programme 144 finance, à hauteur de 288 millions d'euros, les subventions octroyées aux opérateurs participant à des études et à des recherches en matière de défense, tel l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), ou des écoles soutenues par la DGA, comme l'École Polytechnique.
Enfin, les crédits de paiement de l'action 8, consacrée aux relations internationales et à la diplomatie de défense, s'élèveront à 39,3 millions d'euros en 2019, soit 2,7 % des CP du programme 144. Ils correspondent aux crédits des actions de coopération et d'influence : le soutien de notre réseau diplomatique de défense et les crédits d'activité de la DGRIS ; l'aide versée à Djibouti en compensation de l'implantation de nos forces ; la contribution française au budget de l'Agence européenne de défense ; les actions de coopération bilatérales et multilatérales entreprises dans le cadre du partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive.
J'en viens à notre action future. Les deux domaines prioritaires de la loi de programmation militaire 2019-2025 dans lesquels la DGRIS est appelée à agir directement sont la coopération internationale et l'anticipation stratégique, en lien avec la prospective de défense, la politique d'influence et l'innovation. Ces axes d'effort sont essentiels au renforcement des capacités de décision, d'action et d'influence de la France et des pays européens. Plusieurs initiatives importantes du ministère des Armées qui en relèvent devront continuer d'être déclinées avec rigueur et détermination, et la DGRIS en sera l'un des contributeurs et des catalyseurs essentiels.
Face au risque de déclassement dans la compétition stratégique qui se développe entre les grandes puissances, la LPM marque une inflexion notable par la force inédite donnée à la coopération internationale, en établissant un lien assumé entre la consolidation de notre propre autonomie stratégique et le renforcement de nos alliances et de nos partenariats.
C'est la conséquence d'un triple constat. La France ne peut répondre seule à la multiplicité et au durcissement des crises ; elle doit donc rester capable de fédérer politiquement, et le cas échéant militairement et opérationnellement, les soutiens indispensables à son action. Elle a besoin de partenaires et d'alliés pour restaurer le multilatéralisme dans un environnement multipolaire rendu instable par des rapports de force plus tendus et que complique la multiplication des acteurs, y compris non étatiques, plus proches de nous étant donné le désenclavement stratégique de certaines puissances. Enfin, certaines divergences avec les États-Unis rendent plus nécessaire encore le renforcement de la capacité des Européens à se prendre en charge pour assurer leur défense et leur sécurité.
Plusieurs initiatives importantes ont donc été prises, qui visent d'abord à faire du « réveil stratégique européen » une réalité, dans tous les cadres : l'Union européenne, l'OTAN, les formats ad hoc et bilatéraux. Ces initiatives, autant d'avancées majeures pour donner vie à une « Europe qui protège », mobilisent les équipes de la DGRIS afin d'en assurer le progrès continu.
Dans l'Union européenne, nous recherchons le développement d'un « réflexe capacitaire européen » et la création d'un budget propre, le Fonds européen de défense, qui pourrait être doté de 13 milliards d'euros pour la période 2021-2027. Nous recherchons également, dans le cadre de la coopération structurée permanente, le développement de projets communs tels le drone EuroMALE ou l'hélicoptère Tigre standard III. Nous nous attachons enfin à la création d'une Facilité européenne pour la paix. À l'intersection de l'Union européenne et de l'OTAN, le projet « mobilité militaire » vise à faciliter les déploiements militaires par la simplification des contraintes, notamment juridiques.
Enfin, hors de tout cadre institutionnel, l'Initiative européenne d'intervention propose une approche pragmatique réunissant neuf partenaires capables et volontaires, déterminés à aller plus loin.
Cette Europe de la défense – ou cette défense des Européens – passe aussi par l'OTAN, dans tous les domaines : planification de défense, effort capacitaire, politique de dissuasion nucléaire de l'Alliance, initiatives de réactivité qui visent à créer des forces agiles et mobiles, mesures d'assurance… Ces avancées doivent renforcer le lien transatlantique, et réciproquement. Cela implique, pour la France, d'être un allié exemplaire et exigeant, et de maintenir le dialogue avec les États-Unis pour les ancrer en Europe, ce qui est aussi la condition du maintien d'une certaine unité européenne ; cela n'empêche pas d'être ferme face à Washington lorsque des divergences se font jour, comme on a pu le voir au sujet de l'accord nucléaire iranien.
L'Europe de la défense passe enfin par une réflexion élargie sur les moyens de donner plus de substance à nos engagements de solidarité au titre de l'article 42.7 du traité de l'Union européenne. Le président de la République l'a annoncé : « La France est prête à entrer dans une discussion concrète entre États européens sur la nature des liens réciproques de solidarité et de défense mutuelle qu'impliquent nos engagements aux termes du traité. » L'ensemble des initiatives mentionnées, que la DGRIS contribuera à animer et à alimenter, représente un nouvel élan prometteur. Mais ces efforts ne porteront leurs fruits qu'à long terme et, demain, l'agenda pourrait aussi s'étendre aux enjeux plus larges touchant à la stabilité stratégique européenne, y compris l'avenir des régimes de contrôle des armements en Europe.
Cela étant, notre coopération ne se limite pas aux cercles européens ou transatlantiques. Elle devra aussi se décliner dans les partenariats bilatéraux, qu'il s'agisse des plus aboutis – avec l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les États-Unis, nonobstant les conséquences du Brexit ou les turbulences de la politique américaine – ou de ceux qui nous lient à chacun des autres partenaires européens que nous devons continuer d'atteindre et de convaincre.
Pour progresser vers davantage de stabilité stratégique, de sécurité régionale et de respect du droit international, il faudra aussi regarder du côté de la Méditerranée, de la bande sahélo-saharienne, du Levant, du golfe Persique et de la zone Indopacifique, où la France a des intérêts puisqu'elle possède le deuxième espace maritime mondial, soit 11 millions de km². La DGRIS s'attachera à renforcer le dialogue et les liens de confiance établis, au plus près de nos intérêts nationaux, en établissant des priorités, notamment le soutien à nos exportations d'armement, et de manière adaptée aux défis spécifiques des horizons considérés.
La DGRIS continuera par exemple à soutenir la montée en puissance de la force conjointe du G5 Sahel et à rallier des soutiens à notre action, comme nous l'avons fait avec l'Allemagne, l'Estonie ou le Royaume-Uni. Au Levant, nous continuerons de valoriser nos engagements militaires et de peser dans le cadre des consultations politico-militaires de la coalition anti-Daech. Nous resserrerons aussi, autant qu'il est possible, les liens construits avec les partenaires majeurs que sont l'Australie, l'Inde, le Japon, la Malaisie, Singapour, l'Indonésie ou le Brésil. Dans la région Indopacifique, nous renouvellerons notre appui aux moyens militaires mobilisés, en particulier en mer de Chine méridionale, pour la défense du droit international à la libre circulation navale et aérienne.
Ce ne sont là que quelques exemples de coopération internationale. Il me faudrait y ajouter tous les efforts de sensibilisation, pédagogie et mobilisation de nos partenaires sur des sujets transversaux multilatéraux : la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, le terrorisme, les trafics illicites et leurs circuits de financement, et aussi les enjeux essentiels de souveraineté et de régulation liés à l'espace exo-atmosphérique, à la cyberdéfense, à l'intelligence artificielle… Là aussi, nous sommes actifs.
Soyons lucides : il peut y avoir une tentation de repli face à des évolutions menaçantes et imprévisibles. Ce serait une erreur stratégique majeure : s'isoler, c'est s'exposer à un risque de déclassement de puissance. Les choix faits sont à l'inverse : nous ne pouvons ignorer que le monde s'est considérablement contracté et nous devons l'investir avec nos multiples leviers d'influence, d'action, au besoin de puissance, en restant toujours attentifs à préserver notre légitimité internationale, largement reconnue.
Cela impose de travailler à un rythme quantique (non en référence aux supercalculateurs) mais plutôt en référence à la théorie des mondes multiples d'Everett : à savoir être de plus en plus capables de raccorder le temps court de la décision et de l'action au temps long de l'anticipation stratégique et de la prospective, sur lequel je vais conclure à présent.
Les travaux d'analyse n'ont pas cessé au terme de la Revue stratégique. Au contraire, l'effort d'approfondissement se poursuit, que l'on examine l'évolution de la multipolarité nucléaire – avec la Chine ou le Pakistan, par exemple –, de la compétition stratégique et des fragilités régionales, les formes multiples du djihadisme islamique ou les mutations de la conflictualité.
Nous analysons également l'innovation, sous l'angle des conséquences stratégiques des ruptures technologiques, en fonction d'une triple approche : ce que nous devons redouter et de qui ; ce que nous pouvons en retirer, dans le respect du droit international ; comment la réguler, si c'est possible. Nous travaillons à un horizon réaliste de dix ans, afin de rester cohérents avec une perspective de programmation à deux lois de programmation militaire, mais nous n'avons pas de boule de cristal.
En effet, l'accélération des cycles technologiques fait que nombre de produits et usages à dix ans n'existent pas encore aujourd'hui. De plus, la dualité des innovations nivelle les conditions d'accès ; on le voit avec l'emploi de drones par Daech, les actions de la Corée du Nord dans le domaine cybernétique ou encore la démocratisation de l'accès à l'espace. Cela augmente le nombre potentiel d'acteurs à surveiller. Enfin, les impacts ou les solutions ne sont pas toujours du ressort du seul ministère des Armées, comme le montrent les défis de la désinformation, de la cybersécurité ou des menaces hybrides. En ces matières, la DGRIS a surtout un rôle d'alerte au sein et au-delà du ministère.
Notre action en matière d'anticipation et de prospective couvre un large spectre de domaines transversaux : la prolifération, quels que soient les vecteurs et les agents ; les stratégies directes et indirectes ; les logiques d'intimidation ou de déni d'accès ; les nouveaux lieux de lutte déjà mentionnés que sont l'espace exo-atmosphérique et l'espace cybernétique, auxquels j'ajouterai le spectre électromagnétique, le champ informationnel et le numérique.
Dans ces domaines, la DGRIS prend une part active aux échanges interservices et interministériels, s'ouvre à l'expertise extérieure de la société civile, mobilise des think tanks français ou étrangers et s'appuie sur l'IRSEM. La réforme du dispositif ministériel de soutien à la recherche stratégique engagée en 2015 doit nous permettre de renouveler efficacement la pensée stratégique française. Elle s'est traduite par la réorganisation de l'IRSEM, la création d'un contrat-cadre offrant une plus large amplitude budgétaire – jusqu'à deux millions d'euros sur trois ans –, ce qui doit permettre de fidéliser des experts de haut niveau, et aussi la diminution du volume global des contrats d'études, compensée par une augmentation de leur budget unitaire moyen.
Enfin, le Pacte Enseignement supérieur vise à régénérer le vivier des chercheurs français et à formaliser dans notre pays la filière d'études sur la guerre dont la communauté universitaire française, contrairement à ses équivalentes anglo-saxonnes, est jusqu'à présent dépourvue. Depuis 2015, ce projet de long terme s'est traduit par la création de dix allocations doctorales et de trois allocations postdoctorales par an et par la mise en oeuvre du processus de sélection du label « centre d'excellence » au profit d'équipes de recherche universitaires. Les mesures prises dans le cadre de ce pacte devraient permettre de financer, à terme, quarante jeunes chercheurs par an en moyenne. La création d'un réseau de recruteurs privés, le club Phoenix, à mettre en relation avec le vivier de jeunes chercheurs, sera effective à la fin de cette année. La DGRIS interagit étroitement avec la société civile, dont les ressources enrichissent ses propres analyses.
Tels sont, brossés à grands traits, les principaux enjeux qui nous mobilisent. Pour résumer, la mission de la DGRIS tient en trois points : contribuer à la connaissance précise de notre environnement et à l'anticipation de ses évolutions ; rester constamment en prise aussi directe que possible avec un environnement stratégique dont les mutations relevées par la Revue stratégique se confirment et s'amplifient ; fournir dans ce cadre un « produit éclairant » à toutes nos autorités politiques et militaires, tout en assurant le pilotage dynamique et efficace des relations internationales du ministère des armées au profit du président de la République, de la ministre et des autres autorités.