Monsieur Ardouin, l'Initiative européenne d'intervention a été constituée pour parvenir à une culture stratégique européenne renforcée. Ont été mobilisés des partenaires ayant la volonté politique d'examiner des scénarios exigeants, aptes à réunir des capacités et à les déployer avec une interopérabilité renforcée, sur la base d'échanges de renseignements approfondis dans un cercle que l'on met en place, de sorte que l'anticipation, l'analyse de l'environnement et la réflexion sur les doctrines soient fondées sur des scénarii concrets. L'Initiative se développera au niveau ministériel avant de prendre un tour plus opérationnel et plus confidentiel, puisque les bénéfices pratiques de cette démarche seront internes aux systèmes de défense nationaux des pays concernés. Elle permettra d'améliorer la capacité à réagir ensemble aux attaques notamment hybrides ; de procéder à des retours d'expérience d'opérations passées ; de s'interroger sur la lutte contre le terrorisme dans ses différentes formes ; d'analyser les fragilités stratégiques de certains pays et se donner les moyens d'y répondre. L'Initiative européenne d'intervention en est à ses débuts ; elle se consolidera au cours de l'année qui vient, avec une forte impulsion et un engagement personnel de la ministre.
Pour ce qui est du tandem France-Allemagne, des projets capacitaires structurants et dimensionnants à haute valeur ajoutée sont à notre portée, dont le SCAF et le char de combat du futur. Nous avons également joué ensemble un rôle clef dans l'approfondissement de l'Europe et de la défense – je pense en particulier au lancement de la coopération structurée permanente en décembre dernier – et nous continuerons à le faire. La Brigade franco-allemande se déploie par ailleurs au Mali depuis début octobre. Le volet défense du futur traité de l'Élysée, en préparation pour le début de l'année prochaine, aura vocation à incarner le rôle moteur et d'impulsion politique de nos deux pays, au niveau de l'Union européenne comme de l'OTAN. Nous discuterons aussi au format bilatéral du rayonnement européen et paneuropéen, de la capacité à maintenir le Royaume-Uni dans la sphère européenne car nous avons une destinée commune, et enfin des moyens de dialoguer, tout en restant fermes, avec la Russie, dont la posture est de plus en plus agressive.
Le programme des personnalités d'avenir de défense, à propos duquel M. Larsonneur m'a interrogée, est d'une particulière pertinence. Créé en 2008 et doté d'un budget stable de 260 000 euros par an dans le cadre de l'action 7, il prépare l'avenir par un investissement de long terme. Le lien avec l'innovation est patent, puisque parmi ces personnalités, on compte aussi des ingénieurs, proposés par nos missions de défense et sélectionnés par une commission composée de représentants de la DGA, de l'EMA et de la DGRIS. Nous identifions de la sorte de hauts potentiels du secteur public et du secteur privé de pays partenaires, avec lesquels nous pourrons échanger à l'avenir et qui font l'objet d'un suivi. Certains sont d'ailleurs reçus par des membres de la représentation nationale.
Depuis 2009, 223 personnalités ont été reçues dans ce cadre : entre vingt et trente chaque année. En accueillir davantage ne nous permettrait plus de les accompagner individuellement. Ce programme participe d'une stratégie d'influence internationale dont nous constatons les retombées concrètes quand, à l'étranger, nous nous trouvons immédiatement en contact avec certaines des personnalités que nous avions reçues – ce qui démontre qu'elles avaient été bien identifiées.
Conformément aux dispositions de la décision du Conseil de l'Union européenne du 12 octobre 2015, le budget de l'Agence européenne de défense est déterminé dans un cadre financier pluriannuel. La France est le troisième contributeur, derrière l'Allemagne et le Royaume-Uni. Cette contribution, prise en charge au titre de l'action 8 du programme 144, s'établit à 5,4 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2019, ce qui correspond au montant programmé. L'Agence européenne de défense joue aujourd'hui un rôle important dans le capacitaire européen. À travers le Capability Development Plan, par exemple, elle aide les Européens à prendre conscience de leurs lacunes et à élaborer leurs priorités. Elle contribue aussi au secrétariat de la coopération structurée permanente, c'est-à-dire à l'évaluation des projets et des engagements des États-membres. Plusieurs Français sont à des postes de bon niveau en son sein et nous devrons continuer d'investir en termes d'influence dans ses équipes. Enfin, étant donné l'importance de la contribution du Royaume-Uni à son budget, le Brexit pourrait avoir quelques conséquences pour cette Agence.
Il est exact, Monsieur Bazin, qu'une série de pays sont tentés d'acheter sur étagère des équipements, notamment américains, sans nécessairement juger utile de consolider la base industrielle et technologique de la défense européenne. Nous sommes là au coeur du sujet, et nous devons tisser avec ces pays un réseau de contacts et d'échanges encore plus dynamique, à tous les niveaux : par des postes permanents à l'étranger, mais aussi par le biais de nos missions de défense, qui sont en contact quotidien avec leurs interlocuteurs, et, évidemment, par l'entremise de nos ambassades. Il nous faut mesurer les besoins capacitaires de ces pays pour apprécier quelles solutions européennes ou nationales sont envisageables. En Belgique, aux Pays-Bas, en Finlande, en Pologne, un grand nombre de prospects français sont suivis de très près et continueront de l'être. La question politique qui se pose en arrière-plan – sera-t-on capable de faire vivre la notion de préférence européenne ? – est déjà déclinée dans des textes négociés à Bruxelles, qu'il s'agisse des conditions selon lesquelles des États tiers pourraient être associés à des projets dans le cadre de la coopération structurée permanente ou du fonctionnement du Fonds européen de défense.
Mme Bureau-Bonnard a souligné la nécessité d'intensifier la diplomatie de défense, y compris en renforçant les liens avec les représentations parlementaires de nos partenaires. Cela me tenait déjà à coeur dans mes fonctions précédentes, parce qu'il n'y a pas de relations bilatérales suivies et approfondies si l'on ne va pas au contact des parlements des pays où l'on est en résidence. Cela passait pour moi par une participation active à l'assemblée parlementaire de l'OTAN, un très bon relais, et aussi, quand je travaillais au cabinet de Mme Ashton, par une implication directe auprès du Parlement européen et de ses rapporteurs, et aussi auprès des groupes d'amitié qui sont malheureusement moins accessibles ou moins connus. Je suis certaine que l'on peut faire davantage. J'y vois un très grand intérêt et je pense que les interactions peuvent être très fructueuses pour identifier avec vous les meilleures opportunités et atteindre les bons interlocuteurs. L'amiral de Bonnaventure qui est mon adjoint, ici présent, a dernièrement rencontré la délégation de députés du Bundestag venus en France pour participer au groupe de travail parlementaire franco-allemand en matière de défense. J'ai l'intention, dans les mois prochains, d'essayer d'établir un programme « hors les murs » visant à exposer davantage la DGRIS à ces échanges.
Monsieur Favennec Becot, la DGRIS et les conseillers diplomatiques des chefs d'état-major de nos armées ont tout intérêt à agir ensemble et je ne vois aucune duplication ni aucune compétition. Sans doute ai-je aujourd'hui la chance de pouvoir tourner la DGRIS vers l'avenir après la page d'installation de cette structure, mise en place au prix d'une réorganisation de la fonction internationale du ministère et d'une économie de 57 postes sur ce périmètre. L'Initiative européenne d'intervention me donne un premier axe de travail direct avec le général Lavigne, le général Bosser et l'amiral Prazuck que j'ai rencontrés dès mes premières semaines d'activité. Nous avons déjà des échanges très fructueux au sujet de notre présence dans l'Arctique et dans la région Indo-pacifique, sur la manière de contribuer à la surveillance des embargos en Corée du Nord, ou encore sur ce que l'on peut faire pour certains projets capacitaires dans le domaine terrestre qui structureront la remontée en puissance sur le plan conventionnel et la définition d'un modèle d'armées cohérent. La complémentarité existe bel et bien, mais elle doit s'entretenir tous les jours et à tous les niveaux.
La situation dans les Balkans, où le président de la République se rendra avant la fin de l'année, vous préoccupe, Mme Pouzyreff ; la question est en effet d'une importance capitale. Vous avez, Madame, mentionné la forte influence de la Russie et de la Turquie ; à cela s'ajoutent le risque de morcellement de ce territoire, le risque de raidissement de la société sur fond de radicalisation religieuse, certaines poussées nationalistes internes et la difficulté de la normalisation des relations de ces pays avec leurs voisins. Et il faut aussi parler de la Macédoine, qui devra atteindre la fin de l'année les conditions lui permettant de prendre place dans le concert européen. La région connaît une hybridation des tensions et des risques, y compris celui que représente le trafic d'armes – et l'on sait qu'un certain nombre d'armes sont arrivées en France par ce biais, amplifiant la menace du terrorisme. L'intérêt de la sécurité nationale impose que l'on ne se désengage pas des Balkans. C'est le sens des actions poursuivies dans le cadre de l'Union européenne et par les conseils des affaires étrangères de suivi de la situation ; la Haute Représentante joue un rôle tout particulier. Dans le contexte d'un Royaume-Uni hors Union européenne, nous aurons un rôle d'accompagnement plus important à jouer en la matière dans le cadre de l'OTAN, à travers l'opération Althéa.
Monsieur Lachaud, depuis l'entrée en vigueur, il y a trois ans, du traité sur le commerce des armes, j'ai dirigé la délégation française à ses trois premières Conférences d'États-parties. Dans ce contexte, je me suis très fréquemment entretenue avec les représentants de la société civile, Amnesty France et la Coalition pour le contrôle des armes. J'ai constaté les grandes attentes suscitées par la mise en oeuvre de ce jeune traité, le dernier-né en matière de désarmement et de maîtrise des armements dans un environnement où l'on voit plutôt les instruments conventionnels s'éroder, voire s'effondrer. Se pose évidemment la question de nos exportations vers l'Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis. Je le dis une nouvelle fois : contrairement à l'Iran par exemple, nous ne donnons aucune arme aux Houthis. Nous sommes très attentifs à la situation. Des ressortissants français sont au Yémen et l'un de nos concitoyens, le navigateur Alain Goma, est détenu par les Houthis qui l'ont capturé le 3 juin dernier. Nous continuons à mettre en oeuvre de la manière la plus scrupuleuse et la plus rigoureuse le contrôle des exportations d'armement, dans le cadre d'une procédure connue, respectant les directives européennes et le traité du commerce des armes. Parce que nous sommes conscients des risques, cela passe aussi par une réflexion sur les moyens de les atténuer ou de les pondérer au plus juste. La France, évidemment soucieuse des droits de l'Homme, ne se permettrait pas de se mettre en contravention avec le droit international humanitaire. Cela signifie aussi que, puisque nous avons des partenariats stratégiques avec ces pays, nous ne nous privons pas de transmettre les messages politiques appropriés.
Monsieur Michel-Kleisbauer, vous avez souligné tout l'intérêt que nous avons à accueillir des stagiaires étrangers et appelé à ce que nous en recevions davantage, comparant ce que fait la France et ce que font les États-Unis en ce domaine. Vous admettrez que la comparaison ne puisse être faite à cette aune. Cela ne signifie pas que nous devions nous contenter de la situation actuelle mais nos efforts de bonne gestion de l'administration nous ont conduits à resserrer le dispositif au plus juste pour qu'il réponde et à l'impératif de l'influence sur lequel vous avez mis l'accent et aux exigences budgétaires. Dans ce contexte, le ministère des Armées s'est plié depuis 2008 à un effort rigoureux de déflation – 34 % – dans le réseau des missions de défense bilatérales, dont l'effectif est désormais de 280 postes. C'est, en gros, comparable au réseau britannique extérieur de défense, et largement supérieur à celui de nos autres partenaires européens, l'Italie notamment. À présent, pour en venir plus précisément à votre point, le nombre actuel de places pour les stagiaires étrangers à l'École de guerre est lié à la volonté d'optimiser leur accueil et la formation globale dispensée. Des études sont en cours pour trouver des solutions alternatives afin de pouvoir proposer si possible plus de places à nos partenaires dans des formations de haut niveau. Puisque nos ambitions doivent être modestes en termes quantitatifs, nous jouerons aussi sur la qualité.