Madame Mauborgne, la France a présidé la troisième conférence du programme d'action des Nations unies sur les armes légères et de petit calibre ; cela montre l'importance de l'engagement français à ce sujet. L'initiative prise dans le cadre de l'OSCE que vous avez mentionnée participe de tout ce que l'on a fait monter en puissance dans les organisations régionales – au sein de l'OSCE mais aussi en Afrique et ailleurs – pour rendre la lutte contre la dissémination illicite de ces armes de plus de plus efficace et ajustée aux défis auxquels ces trafics exposent chaque région, car ils diffèrent. En Amérique latine, la problématique est celle de la violence urbaine et des violences domestiques. En Afrique, c'est celle de la gouvernance nationale ou de la réforme du système de sécurité : comment articuler le contrôle aux frontières, l'administration judiciaire et l'administration des douanes. À l'OSCE, ce projet est directement lié à l'une de nos priorités nationales, la lutte contre le terrorisme. Quand nous avons pris la présidence de cette conférence, nous avions cet objectif à l'esprit et il est particulièrement heureux que s'exprime par la voix des parlementaires un intérêt à endosser et porter ce projet. Soyez donc assurée que nous sommes à votre disposition par le biais de notre représentation à Vienne où la mission de défense peut être un interlocuteur précieux pour organiser des rencontres et stimuler la réflexion, en la portant auprès de think tanks pour la faire rayonner ensuite dans les enceintes multilatérales, puisque notre objectif est d'exporter des savoir-faire et les leçons apprises au cours de ces exercices. C'est en tout cas un sujet sur lequel nous continuerons de nous pencher à l'avenir.
Monsieur de la Verpillière, l'accord de Vienne continue de s'appliquer dans toutes ses dimensions, car l'objectif des E3 était bien de faire en sorte qu'il n'y ait pas de rupture dans sa mise en oeuvre. L'Union européenne dans son ensemble, avec l'investissement de la Haute Représentante, et bien sûr un rôle majeur de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne, a tenu à sauvegarder l'accord, auquel rien, aujourd'hui, ne peut être substitué. L'AIEA continue donc de mener des contrôles stricts et rigoureux prévus dans le texte.
Je ne peux détailler les constatations de l'Agence, au-delà de celles déjà présentées dans les rapports périodiques du Directeur général qui sont rendus publics, car celles-ci relèvent d'un niveau de classification élevé, mais je puis vous dire que, dans ce contexte, les exigences de la France se sont renforcées. L'attitude américaine nous conduit aussi à exercer une pression croissante sur l'Iran, parce que le rétablissement de certaines sanctions, qui s'étendra, à partir du 4 novembre prochain, aux hydrocarbures et à d'autres domaines des finances, place ce pays dans une situation particulièrement compliquée, nonobstant ce que nous faisons pour préserver la capacité d'investissement et d'engagement en Iran des entreprises européennes.
Sur le plan financier, nous avons imaginé des mécanismes spécifiques destinés à surmonter les effets des clauses extraterritoriales américaines. Ces mesures sont en cours de mise en place mais le réalisme s'impose : les entreprises prennent les décisions qu'elles estiment devoir prendre sans nécessairement attendre. Il est certain que les acteurs économiques ont leur propre calendrier et leur propre maîtrise des affaires.
Ce dossier reste une priorité et nous essayons de trouver, de manière coordonnée avec les Allemands, les Britanniques et les autres États membres de l'Union européenne, en lien avec la Russie et la Chine, des éléments de réponse aux préoccupations américaines : comment s'assurer, au-delà de la clause de terminaison prévue dans l'accord de Vienne, de la mise en oeuvre continue de la surveillance que le programme nucléaire iranien n'est pas un programme militaire ? Comment s'assurer que les dispositions des résolutions du Conseil de sécurité relatives à la non-prolifération des missiles balistiques seront respectées ? Enfin, comment endiguer l'influence croissante de l'Iran, qui a des effets déstabilisateurs sur l'ensemble du Proche et du Moyen-Orient, notamment par le biais du Hezbollah au Liban, ainsi qu'au Yémen ?
Madame Mirallès, l'armurier Verney-Carron n'a pu répondre à un appel d'offres de la DGA parce que son chiffre d'affaires annuel est inférieur à 50 millions d'euros. Le ministère des Armées a la volonté de toujours permettre à nos PME et à nos petites et moyennes industries de s'insérer dans le plan d'action spécifique, de faire en sorte qu'elles puissent prospérer et être associées aux efforts menés pour rehausser notre profil capacitaire : les dispositifs budgétaires « régime d'appui pour l'innovation duale » (RAPID) et « accompagnement spécifique des travaux de recherche et d'innovation de défense » (ASTRID) visent à utiliser les capacités d'innovation des PME. Mais le type de capacité dont il est question entre aussi en jeu – et dans cette optique, la taille de l'entreprise ne change rien. Pour les armes de petit calibre, nous avons choisi de ne pas nécessairement nous positionner sur un marché national mais d'être alimentés par des importations. Aussi, le problème que vous soulevez relève moins d'un manque de soutien à nos PME – que nous sommes déterminés à prolonger – que d'arbitrages entre les capacités que l'on souhaite développer nationalement et ce pour quoi on accepte de s'en remettre à des importations européennes.
Vous m'avez interrogée, Monsieur Gouttefarde, sur la défense antimissile balistique américaine, qui fera l'objet d'une nouvelle publication dans les prochaines semaines. Telle qu'envisagée par les Américains, elle s'inscrit dans le cadre de l'approche adaptative phasée (EPAA), qui se traduit depuis plusieurs années déjà dans les décisions prises par les alliés lors des sommets de l'OTAN, à Lisbonne d'abord, à Chicago ensuite. Au nombre des paramètres retenus, certains sont fondamentaux pour la France. Il y a d'abord le fait que la défense anti-missile ne se substitue pas à la dissuasion mais lui est complémentaire. Deuxièmement, le fait qu'il ne pourrait y avoir de financement commun exigé des alliés, à l'exception des capacités de commandement et de contrôle de la défense antimissile balistique en Europe. Troisièmement, le fait que ce n'est pas tourné vers la Russie. D'autres paramètres s'ajoutent à ceux que j'ai mentionnés, mais la France s'attachera à s'assurer dans toute la mesure du possible de la préservation de ces lignes fortes ; ce sont nos positions constantes, bien connues de Washington.
Il est trois développements que nous ne pouvons nous permettre. Le premier est un risque d'escalade avec la Russie, qui conduirait, sous forte pression de nos alliés d'Europe orientale, à voir se renforcer des dispositifs stationnés en permanence, ce qui remettrait en cause certains équilibres stratégiques et contreviendrait à l'acte fondateur OTAN-Russie. Deuxièmement, on évitera une éviction capacitaire si l'on demande du financement en commun aux Européens pour l'alerte avancée – mais autant vous dire que même si tous les Européens s'y efforcent, on n'y parviendra en aucun cas avec les deux pour cent du PIB demandés, parce qu'il ne s'agit pas seulement d'alerte avancée mais de capteurs et de senseurs conçus avec une norme américaine particulièrement onéreuse. Enfin, nous continuerons à plaider pour avoir la capacité de surveiller comment la défense antimissile balistique pourra être contrôlée politiquement par les alliés ; autrement dit, comment les sites défendus continueront d'être hiérarchisés, sur quelle base juridique et avec quelle politique juridique pour l'analyse des retombées éventuelles en cas d'interception. Tels sont les enjeux en perspective, car la nouvelle revue de défense antimissile américaine perturbera sans doute certains paramètres essentiels pour nous. Nous sommes déjà engagés dans un dialogue étroit avec notre allié américain à ce sujet, dans des échanges francs et très directs.
Sur la dernière partie de votre question, Monsieur Gouttefarde, quatre conseillers politiques français sont actuellement auprès des commandants de force à l'étranger. L'un est affecté à Barkhane ; un autre à l'opération de l'Union européenne EUNAVFOR-Atalante de lutte contre la piraterie maritime ; un conseiller est affecté à la mission militaire européenne en Centrafrique (EUTM-RCA) ; un autre officie auprès du général Lanata, commandement suprême allié pour la transformation au sein du commandement militaire intégré de l'OTAN.
Dans l'océan Indien, je différencierai, Madame Trastour-Isnart, l'action de la France et celle de l'Union européenne car leur portée stratégique n'est pas la même. Je l'ai dit, la France, avec 11 millions de kilomètres carrés, a le deuxième espace maritime mondial, pour partie dans l'océan Indien, où nos forces navales sont constamment présentes pour renforcer nos messages politiques relatifs à l'importance de la liberté de navigation et du respect de la Convention de Montego Bay. Nous sommes présents par nos zones de souveraineté, que nous protégeons, et de plus en plus par nos bases aux Émirats arabes unis, où sont stationnés 700 personnels, notre base à Djibouti, où stationnent 1 450 personnels, et à La Réunion, où sont affectés 2 000 militaires français. Nous sommes donc dans un vaste ensemble où nous construisons notre relation par des partenariats majeurs avec l'Inde, l'Australie, la Malaisie, Singapour et l'Indonésie. Nous agrégeons ces différentes perspectives et nous essayons de participer aux embryons d'architectures de sécurité régionale. Nous nous efforçons ainsi d'obtenir un poste d'observateur auprès de la réunion des ministres de la Défense de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN). Nous nous exprimons de plus en plus, dans le cadre du dialogue Shangri-La, forum annuel sur la sécurité en Asie, et dans d'autres enceintes. Nous essayons de pousser des formats permettant de mieux observer et anticiper l'évolution de l'influence chinoise dans la zone, tel le mécanisme de consultations trilatérales France-Inde-Australie auquel le président de la République a fait référence dans son discours à Sydney.
La politique française dans l'océan Indien ainsi décrite s'articule avec celle du Royaume-Uni, qui a aussi une capacité de projection. Pour le reste, au sein de l'Union européenne, mis à part les Pays-Bas, l'intérêt porté à la région Indo-pacifique est limité et un effort de sensibilisation reste à faire.
Vous vous inquiétez, Monsieur Jacques, de l'articulation, dans la bande sahélo-saharienne, entre l'action militaire et la gestion des projets de développement, qui vous paraît parfois trop lente. Nous sommes au coeur de ce que l'on a souhaité faire au cours des cinq dernières années, sur la base du retour d'expérience en Afghanistan : déployer des équipes de reconstruction post-conflit visant une approche intégrée de la sécurité et du développement. Dans la bande sahélo-saharienne, un effort considérable et novateur a été fait, que je n'ai pas souvenir d'avoir vu fait ailleurs, même par l'Union européenne où l'on affirme souvent adopter une approche décloisonnée. Au Sahel, nous avons essayé d'aligner tous les acteurs : nos forces opérationnelles, le Centre de crise et de soutien du Quai d'Orsay au travers de sa mission pour la stabilisation, l'Agence française de développement (AFD), le projet structurant de l'Alliance Sahel pour la paix qui organise les relations entre les différents acteurs, y compris les organisations non gouvernementales (ONG) et les acteurs humanitaires, ainsi que les bailleurs de fonds étrangers que l'on doit fédérer et mobiliser. Lors de la conférence de Paris, 413 millions d'euros de dons ont été annoncés, mais pour l'instant, on estime que 60 millions d'euros de versements seulement se sont matérialisés. Une grande part du travail mené consiste en des démarches visant à obtenir que ces promesses de fonds soient honorées. Nous allons pousser à une synchronisation accrue des actions de développement et de reconstruction, dans la foulée des efforts militaires qui permettent de repousser le terrorisme et de consolider la gouvernance. Cela suppose de réunir un grand nombre d'acteurs autour de la table ; c'est le cas maintenant et nous nous efforçons d'encourager une coordination de plus en plus poussée, conformément à l'instruction que nous a donnée le président de la République. Nous nous appuyons pour cela sur le centre de crise rénové du Quai d'Orsay, qui s'articule lui-même avec l'AFD. Dans le même temps, un conseiller « développement » a été intégré au sein de Barkhane. La communication entre les deux sphères s'approfondit donc. C'est un signal positif, mais c'est l'un des domaines dans lequel nous devrons continuer à faire des efforts permanents.
M. Ferrara s'interroge sur le projet Tempest, que M. Gavin Williamson a défendu avec vigueur, enthousiasme, et même quelque arrogance, il y a deux semaines, alors qu'il cherchait à obtenir deux milliards de livres sterling supplémentaires dans le cadre des travaux de préparation du Modernising Defence Programme pour financer non seulement ce projet mais aussi un projet concurrent de Galileo, en agrégeant différents partenaires dont certains ne sont pas membres de l'Union européenne. Cette approche reflète le slogan Global Britain post-Brexit. Il faut prendre ces déclarations pour ce qu'elles sont dans le contexte actuel, et pas davantage. Nous sommes dans une période épineuse : celle où la task-force bruxelloise chargée de la préparation et de la conduite des négociations avec le Royaume-Uni engage au nom des Vingt-Sept, avec le souci de préserver l'intégrité de l'Union européenne et ses capacités de décision autonomes, un dialogue compliqué avec Mme Theresa May pour tenter d'aboutir à un Brexit dans les conditions les moins difficiles possibles – s'il y a encore une chance pour cela. Il faut laisser passer cette vague, poursuivre résolument le projet SCAF engagé avec l'Allemagne, développer le programme FCAS qui demeure un projet franco-britannique, et garder la porte ouverte pour l'avenir. Les décisions principales concernant ce projet devront être prises en 2020-2021 et, aujourd'hui déjà, pour le SCAF, la porte est ouverte à d'autres partenaires. Il faut prendre date et apprécier, en fonction des évolutions des prochaines années, le développement du lien avec le Royaume-Uni en la matière, et si « tempête » il y aura, ou non.