Intervention de Général Richard Lizurey

Réunion du mardi 16 octobre 2018 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je suis ravi de me trouver devant vous cet après-midi afin d'évoquer le projet de loi de finances pour 2019 et, au-delà, l'évolution de la gendarmerie nationale au cours des années à venir. La gendarmerie nationale a été placée sous la tutelle du ministère de l'Intérieur en 2009 – il y a presque dix ans –, et le bilan que l'on peut faire de cette migration de la défense vers l'intérieur m'apparaît positif, à la fois en termes d'évolution, de positionnement et de prise en compte de la gendarmerie dans l'architecture de la sécurité intérieure. Aujourd'hui, bien qu'ayant été intégrée à un autre ministère que celui auquel elle était initialement rattachée, la gendarmerie a conservé l'état d'esprit lié à son statut militaire, et tout ce qui fait la spécificité de son personnel, à savoir une certaine rusticité et une grande efficacité. Il est bon de souligner ce point, car en 2009 les choses ne semblaient pas gagnées d'avance et nous avions quelques légitimes inquiétudes.

Nous devons faire en sorte que ce qui apparaît aujourd'hui comme une réussite continue à l'être dans les années à venir. Pour cela, différents projets ont été engagés et d'autres le seront prochainement, notamment en termes de mutualisation des forces de sécurité intérieure. Dans ce domaine, nous avons mis en place un certain nombre d'organismes communs et d'unités de coordination, ainsi que des partages de connaissances et des perspectives communes. L'ensemble constitué par NéoGend et NéoPol est le premier outil nativement partagé entre les forces de police et de gendarmerie – elles utilisent exactement la même version – qui permet à chaque personnel d'emporter son bureau sur le terrain.

L'effort de mutualisation est appelé à se poursuivre, notamment dans le cadre de deux projets : la direction du numérique du ministère de l'Intérieur, d'une part ; le service ministériel des achats, qui a vocation à regrouper l'ensemble des achats effectués par le ministère, d'autre part.

Le troisième grand axe de transformation est celui de la mutualisation des services techniques et scientifiques de la police et de la gendarmerie. Au sein de chaque département, un certain nombre de plateaux auront ainsi vocation à être regroupés soit physiquement, soit fonctionnellement, afin de gagner en efficacité.

Nous devons nous inspirer des expériences réussies du passé pour continuer, au cours des prochaines années, à travailler dans une coopération toujours accrue. À l'été 2018, nous avons fait notre entrée à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ce qui a constitué un grand moment, car jusqu'alors la gendarmerie nationale n'y avait aucun représentant. La présence de deux officiers de gendarmerie au sein de la DGSI – c'est un début – marque le début d'un travail collaboratif en matière de renseignement, à la fois dans le haut du spectre, en son milieu – avec le renseignement territorial – et pour ce qui est du renseignement quotidien, au niveau local.

En matière de renseignement territorial, nous bénéficierons à partir de 2019 de transferts d'effectifs, à hauteur de 27 équivalents temps plein (ETP) par an – 54 en 2019, où nous obtiendrons le bénéfice simultané de deux annuités – en provenance du programme 176 « Police nationale », ce qui nous permettra d'augmenter le nombre de gendarmes affectés au dispositif de renseignement territorial. Une dynamique est enclenchée, grâce à laquelle le renseignement territorial est maintenant un outil partagé, permettant aux forces de sécurité intérieure d'être plus efficaces.

Pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme, nous poursuivons le travail engagé contre la radicalisation, et avons dans ce domaine des objectifs en commun avec nos services partenaires.

En ce qui concerne la lutte contre l'immigration irrégulière, nous sommes dotés d'un dispositif mis en place à proximité de la frontière italienne – où un petit incident a eu lieu il y a quelques heures –, dans le Calaisis, mais aussi à la frontière espagnole, où le flux croissant d'immigrés nous oblige à renforcer nos effectifs. Aujourd'hui, environ six escadrons sont affectés à cette mission, en plus des personnels de la gendarmerie départementale des zones concernées.

La lutte contre la délinquance se poursuit, et nous affichons actuellement de bons résultats en matière de lutte contre les atteintes aux biens, avec une diminution d'environ 6 % du nombre de cambriolages constatés dans notre zone de compétence. Nous faisons en sorte de maintenir notre présence sur le terrain afin d'être en mesure de lutter contre les grands groupes criminels organisés – notamment ceux provenant d'Europe de l'est –, grâce à l'Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI).

Par ailleurs, nous sommes très satisfaits des résultats que notre dispositif d'analyse décisionnelle, récemment mis en fonction, nous permet d'ores et déjà d'obtenir. En alimentant en données relatives à la criminalité, au contexte socio-économique, mais aussi à la météorologie et à toutes sortes d'autres domaines, une application fonctionnant grâce à un algorithme, nous obtenons une sorte de « carte des températures » de la délinquance. À l'issue d'une expérience menée pendant un an dans onze départements, nous avons constaté que le résultat obtenu dans les départements concernés en matière de cambriolage a été meilleur que dans tous les autres. Sur la base des informations fournies par le dispositif d'analyse décisionnelle, qui indique où et dans quel créneau horaire des cambriolages sont le plus susceptibles de se produire, le commandement local peut organiser ses patrouilles en concentrant les effectifs là où ils sont le plus utiles. Les compagnies de gendarmerie disposent ainsi d'un outil de prévision qui les aide dans leur conception de service – sans être pour autant contraints de suivre les orientations suggérées par la machine, évidemment.

Par ailleurs, nous poursuivons notre logique de modernisation dans le domaine de la recherche, dans le cadre d'une démarche de valorisation et d'innovation. Ainsi, nos ateliers de performance (ADP) font appel aux propositions de chacun de nos personnels en matière d'innovation. Nous mettons également en oeuvre une politique de valorisation, dans le cadre de laquelle nous déposons cinq ou six brevets par an. Pour deux de ces brevets, nous nous sommes mis en relation avec un industriel qui, en contrepartie de leur utilisation, nous verse des royalties et nous fait bénéficier d'un prix plancher sur la vente des produits qu'il fabrique.

Pour cela, nous avons travaillé en liaison avec l'Agence du patrimoine immatériel de l'État (APIE) et avons eu recours aux services d'un cabinet d'avocat ; nous avons aussi bénéficié du détachement d'ingénieurs de l'armement – le délégué général de l'armement m'a récemment confirmé que cela continuerait à être le cas à l'avenir –, qui nous apportent en interne toute l'ingénierie dont nous avons besoin dans nos relations avec l'industriel, rendant possible cette valorisation de l'innovation qui ne faisait pas partie de nos pratiques il y a quelques années. Nous avons, enfin, engagé des démarches en vue de l'obtention de financements européens.

Le budget pour 2019 est satisfaisant, dans la mesure où il traduit un engagement très fort du ministre de nous fournir un certain nombre de moyens. En termes d'effectifs, conformément aux orientations du plan 2 500, le schéma d'emplois affiche un solde net de plus 643 personnels qui, à l'exception des 36 personnels affectés au soutien, pourront tous être engagés sur le terrain, au sein des unités territoriales – cet engagement des forces au contact constitue notre priorité depuis deux ans.

Pour ce qui est des effectifs de réservistes, le budget prévoit 98 millions d'euros destinés à nous permettre de maintenir 30 000 personnels. En 2018, nous avons été obligés d'effectuer une régulation. En effet, pour ne pas dépasser ce que prévoit la loi de finances initiale en termes de masse salariale, les deux seuls outils de régulation dont je dispose sont, d'une part, le décalage d'un mois et demi de l'entrée des élèves en école de gendarmerie, d'autre part, les crédits de la réserve. Cela dit, pour 2018, le ministre a obtenu une autorisation d'engagement supplémentaire de 19 millions d'euros afin de permettre d'employer le même nombre de réservistes que celui de 2017, à savoir 2 700 par jour en moyenne – ce chiffre était descendu à 1 800 en début d'année, mais le ministre a souhaité qu'il remonte à 2 700 à partir du 1er septembre. En pratique, nous convoquons depuis septembre des réservistes que nous ne paierons qu'en 2019, en accord avec la direction du budget – un dispositif qui nous a permis de relancer l'engagement des réservistes.

Au sujet de la réserve, je veux également mentionner une modification du système de paiement. À compter du 1er janvier 2019, nous allons mettre en place un dispositif visant à solder à la fois les personnels d'active et les personnels de réserve et s'appuyant sur notre système d'information ressources humaines (SIRH) Agorh@, qui regroupe la totalité des informations portant sur les militaires concernés – nous sommes en train d'en fiabiliser les données. Ce SIRH va servir de calculateur pour la solde de l'ensemble des militaires à compter du 1er janvier 2019. Les tests auxquels il a été procédé durant deux mois, avec des opérations de solde en double, n'ont mis en évidence que très peu d'erreurs, et celles qui sont apparues sont déjà réglées, ce qui me permet d'être très confiant quant au déploiement de ce nouveau dispositif au début de l'année prochaine.

Le fait que les réservistes soient payés grâce à la même application que les personnels d'active va leur permettre de percevoir leur solde plus rapidement – en effet, il fallait jusqu'alors deux à quatre mois pour que le règlement de la solde d'un réserviste soit effectué. Au cours d'une année donnée, on payait les deux derniers mois de l'année précédente, puis les dix premiers mois de l'année en cours. Passer sans aménagement au nouveau dispositif, où les soldes sont réglées sans décalage, nous aurait donc conduits à régler quatorze mois de soldes en 2019, puisqu'en plus des douze mois de solde de l'année 2019, réglés immédiatement, nous aurions également dû régler les deux derniers mois de 2018. Afin d'y remédier, nous avons obtenu que le budget pour 2019 prévoie 17 millions d'euros supplémentaires – n'ayant évidemment pas vocation à être renouvelés –, qui vont nous permettre de faire face à la modification du calendrier de paiement qu'entraîne la mise en oeuvre du nouveau dispositif technique.

Hors titre 2, nous avons bénéficié du « coût de sac à dos » des effectifs créés, ce qui n'avait pas été le cas dans le budget pour 2018, et 13,6 millions d'euros sont également destinés au fonctionnement de la réserve. Ces crédits vont nous permettre d'envisager le renouvellement de notre flotte de véhicules, grâce à l'achat de 2 800 véhicules ; nous allons également pouvoir faire l'acquisition de gilets pare-balles pour des quantités au moins équivalentes à 2018 et rénover un certain nombre de casernes. Les programmes immobiliers vont bénéficier de 105 millions d'euros, dont 15 millions d'euros pour la sécurisation des casernes, ce qui s'inscrit dans une trajectoire amorcée l'année dernière et qui me semble nécessaire, car l'immobilier constitue une préoccupation essentielle pour l'ensemble de nos personnels.

Parallèlement, nous faisons évoluer notre politique en matière de ressources humaines, d'abord en mettant en place de nouvelles modalités de recrutement. Il existe aujourd'hui deux concours, organisés respectivement en mars et en octobre, et pour lesquels certaines épreuves – je pense notamment aux tests psychologiques – se font à l'ancienne, sur papier. Nous travaillons actuellement à la mise en place d'un seul concours en octobre, avec une dématérialisation totale des épreuves – qui, outre qu'elle va nous permettre d'économiser 60 tonnes de papier, va également faciliter la correction. Le prochain concours sera donc organisé en septembre 2019. Si nous avons décidé d'en supprimer un, c'est que nous avions constaté qu'un certain nombre de candidats attendaient jusqu'alors douze à quatorze mois avant d'être intégrés, ce qui provoquait une « évaporation » non négligeable parmi les candidats : bon nombre d'entre eux se désistaient avant leur incorporation. Nous avons donc décidé d'écouler le stock de candidats agréés, avant d'en sélectionner de nouveaux qui, eux, seront intégrés peu de temps après avoir été reçus au concours.

Nous allons également modifier le contenu de la formation dispensée aux nouvelles recrues, en continuant à mettre l'accent sur ces aspects spécifiques que sont le contact, la résilience, l'endurance, la confrontation à la mort et à la difficulté : en d'autres termes, nous voulons travailler le savoir-être plus que les connaissances. En effet, ces connaissances étant aujourd'hui facilement accessibles à partir de l'outil NéoGend, il est inutile de les apprendre par coeur, d'autant que les lois changent tous les jours – vous êtes bien placés pour le savoir !

En ce qui concerne les ressources humaines, nous avons mis en place un dispositif d'avancement semi-automatique, ainsi qu'un nouveau dispositif d'enseignement du second degré – nous avons pour cela modifié toute la partie relative à l'École de guerre, et introduit une notion de mobilité des officiers supérieurs. Je considère pour ma part qu'un officier supérieur de qualité doit avoir servi à l'extérieur de la maison. Si cette exigence n'est pas statutaire, elle me paraît souhaitable en ce qu'elle permet à l'officier concerné de voir autre chose, de rencontrer des personnes ayant une autre vision, et de revenir enrichi de l'expérience ainsi accumulée, donc meilleur. Je rappelle que le taux de féminisation des effectifs de la gendarmerie s'établit actuellement à 19 % et qu'il augmente d'un point par an depuis plusieurs années – ce qui fait que l'on commence à voir arriver des personnels féminins dans les strates de commandement, dont la proportion est appelée à augmenter dans les prochaines années.

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