Intervention de Philippe Michel-Kleisbauer

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 8h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Michel-Kleisbauer, rapporteur pour avis :

Notons néanmoins que nous concourrons aussi à la forte augmentation des crédits alloués à nos armées, de façon pluriannuelle au travers de la loi de programmation militaire. Rappelons qu'il s'agit d'une hausse de 1,7 milliard chaque année, qu'il faut bien trouver les moyens de financer. La mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » contribue donc à cet effort.

De plus, le projet de budget prévoit également le financement de mesures nouvelles. J'en citerai trois principales.

Première mesure, l'extension du bénéfice de la carte du combattant aux militaires français déployés en Algérie durant une période de quatre mois entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964.

Cette évolution, nous l'avons tous souhaitée, sur tous les bancs, de droite comme de gauche. Je dis bien : tous. Ce n'était pas le cas il y a quelques années, lorsque les associations elles-mêmes nourrissaient le débat de leurs oppositions. Mais force est de constater que l'an dernier, à la suite de mon rapport, Mme Darrieussecq s'était engagée à étudier la question. Avec le Premier ministre, ils ont tous deux tranché en faveur de cette extension. Sachons leur reconnaître le fait qu'alors que nous l'avons tous voulu, ils l'ont fait ! Aujourd'hui, le PLF prévoit les financements nécessaires à cette extension.

Concrètement, 50 000 nouvelles personnes pourront demander et obtenir la carte du combattant. Compte tenu de leur âge, ces nouveaux « anciens combattants » pourront bénéficier immédiatement de la retraite du combattant, dont le montant s'élève à 748,80 euros par an, ainsi que de la demi-part fiscale supplémentaire attribuée aux anciens combattants à compter de 74 ans, ainsi qu'à leurs veuves par la suite. En 2019, cette extension se traduira par une dépense de 6,6 millions d'euros, contre 30 millions d'euros en année pleine. À cela s'ajoutera également, à terme, une perte de recettes fiscales de l'ordre de 30 millions d'euros par an pour l'État du fait de la demi-part.

Deuxième mesure, l'augmentation de 300 000 euros de la dotation prévue pour le financement des expertises médicales nécessaires à l'instruction des dossiers de pension militaire d'invalidité. Cela peut paraître anecdotique mais c'est fondamental pour l'amélioration du service rendu à nos anciens. Aujourd'hui, compte tenu de la faiblesse des tarifs de ces expertises, nous ne parvenons pas à attirer de nouveaux experts pour remplacer ceux qui partent à la retraite.

Troisième mesure d'importance, enfin, la mise en place d'un plan d'actions en faveur des harkis et de leurs familles, décidé par le président de la République dans la foulée de la remise du rapport du préfet Ceaux « Aux Harkis la France reconnaissante ».

Ce plan comprend deux mesures. D'abord, la revalorisation, à hauteur de 400 euros, des allocations de reconnaissance et viagère bénéficiant aux anciens membres des formations supplétives et à leurs conjoints survivants. Ensuite, la mise en place d'un mécanisme de solidarité au profit des enfants de harkis rencontrant aujourd'hui des difficultés liées à leur histoire spécifique.

Le coût de ces mesures est estimé à 10 millions d'euros pour l'année 2019.

Ces différentes mesures sont évidemment à saluer. Elles sont à mettre au crédit de la majorité et il me paraît important de souligner l'action de la secrétaire d'État, Mme Geneviève Darrieussecq, dont chaque association a souligné devant nous, l'écoute et l'attention.

Pour mémoire, il y a un an, elle s'était engagée devant la représentation nationale à conduire une vaste concertation, avec les associations représentatives du monde combattant, afin de recueillir leurs principales attentes et de définir les orientations de son action pour les prochaines années. Il s'agissait de l'une des recommandations de mon avis sur le PLF 2018.

Dans ce cadre, trois groupes de travail ont été créés.

Les conclusions de ces travaux constituent une feuille de route pour la politique de reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant pour la période 2018-2022.

Cette méthode innovante a permis de faire le point sur l'état du droit à reconnaissance et à réparation et ses évolutions possibles, à un moment charnière pour le monde combattant. Surtout, elle a montré combien l'État se devait de rester au coeur de cette politique publique, car c'est à son appel que les « appelés » ont répondu, et c'est en son nom que les militaires, devenus professionnels, mettent en oeuvre la violence légitime qu'est la guerre.

La politique de reconnaissance et de réparation est régalienne, et se doit de le rester. Il en va de même de la politique de mémoire, dont je souhaiterais à présent dire quelques mots.

C'est en effet à l'avenir et l'organisation de la politique de mémoire que j'ai décidé de consacrer quelques développements dans la partie thématique partie de mon avis.

Dans ce cadre, j'ai poursuivi mon itinérance sur les lieux de mémoire du territoire national. Je me suis ainsi rendu à Notre-Dame de Lorette et à la prison de Montluc, à Lyon, où furent emprisonnés nombre de résistants et victimes de l'Occupation, dont Jean Moulin. J'ai également découvert la nécropole nationale du Tata sénégalais de Chasselay, où sont inhumés les corps de 194 tirailleurs qui, après une défaite face à l'armée allemande, avaient été séparés des blancs et exécutés à la mitrailleuse ou écrasés par les chenilles des chars parce qu'ils étaient noirs. Je ne peux que vous inviter à visiter ces différents lieux de mémoire. Pour ma part, j'ai eu la chance de me rendre sur huit des neuf hauts lieux de la mémoire nationale et je vous encourage à faire de même.

J'ai également visité les musées de l'Armée aux Invalides, de l'Artillerie à Draguignan, de la Marine à Toulon et de la Légion étrangère à Aubagne. À chaque fois, il m'a été donné l'occasion d'échanger longuement avec les équipes dirigeantes.

Ces déplacements, couplés aux auditions que j'ai pu conduire à Paris, parfois avec certains d'entre vous – je pense à Carole Bureau-Bonnard et Fabien Gouttefarde – m'ont permis de mieux prendre conscience des défis auxquels est confrontée la politique de mémoire.

Au coeur de ces défis se trouve la question de la transmission.

Comme il l'a été dit, le monde combattant est à un moment charnière. Les survivants de la Seconde Guerre mondiale sont déjà de moins en moins nombreux, tandis que les anciens de « l'AFN » sont de plus en plus âgés. Alors comment transmettre la mémoire sans grands témoins ? Comment conserver, et mettre en valeur, le patrimoine de la myriade d'associations qui, parfois dans l'ombre, entretiennent les lieux de mémoire ou les tombes des morts pour la France et assurent l'hommage de la Nation à ceux qui sont tombés pour elle ?

C'est à ces questions qu'il nous faut nous préparer. Il n'est évidemment pas envisageable d'imposer quoi que ce soit au monde combattant, qui devra conduire sa propre réflexion. Néanmoins, nous pouvons tous l'accompagner dans ce travail.

Pour ma part, je serais favorable à la constitution d'une « maison commune », qui abriterait toutes ces mémoires. Car il s'agit bien de préserver la diversité de la mémoire combattante, reflet de la variété des engagements, des combats et des souffrances. Cette maison commune, certains de nos anciens l'appellent de leurs voeux. Sachons les encourager dans ce mouvement.

Il nous faut de plus préserver la diversité de ce que Pierre Nora appelait les « lieux où s'est condensée, incarnée, exprimée, la mémoire nationale ». De ce point de vue, saluons le rôle incontournable des collectivités territoriales et du monde associatif. Comme l'a montré la conduite du cycle du Centenaire, les collectivités territoriales font partie des premiers financeurs et des premiers maîtres d'oeuvre de la politique de mémoire. De même, la Garde d'honneur de Notre-Dame-de-Lorette compte 3 620 hommes et femmes, tandis que les associations patrimoniales jouent un rôle essentiel, comme j'ai pu le constater sur place.

Toutefois, puisqu'il m'incombe d'étudier le budget de l'État, je me suis concentré sur son action. Définie par la direction du patrimoine, de la mémoire et des archives, la politique de la mémoire est aussi mise en oeuvre par l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONACVG), chargé de la gestion et de la valorisation des nécropoles nationales et des neufs hauts lieux de la mémoire nationale. À leurs côtés on trouve les musées des armées, qui ont entrepris un processus de modernisation et d'ouverture vers le grand public.

Si chacun connaît le musée de l'armée, le musée de la marine ou le musée de l'air et de l'espace, de nombreux musées d'arme disposent d'un patrimoine unique. Ma circonscription a d'ailleurs la chance d'accueillir le musée des troupes de marine de Fréjus. Initialement conçus comme des sortes de conservatoires de l'histoire et des traditions des différentes composantes de l'armée française, ces musées d'arme se sont progressivement « démilitarisés » pour s'ouvrir au grand public, et en premier lieu aux scolaires.

Aujourd'hui, tous ces lieux de mémoire ont vu s'ajouter à leurs missions traditionnelles de conservation et de commémoration des fonctions davantage tournées vers l'affermissement du lien armées-Nation : travail de mémoire, enseignement de défense et même sensibilisation aux besoins de recrutement des armées.

Or, que constatons-nous au sujet des musées d'armes comme de certains hauts lieux et nécropoles nationales ? S'il s'agit de lieux institutionnels, administrés par l'État, nombre d'entre eux ont initialement été fondés par des grands témoins ou des anciens militaires. En somme, ces initiatives ont été privées avant d'être soutenues et reprises par la puissance publique.

La mémoire de l'armée noire, qui m'est chère comme je l'ai dit en évoquant le Tata de Chasselay, en est d'ailleurs un exemple. Il n'existe en France que deux monuments en mémoire des tirailleurs sénégalais, malgaches et animistes. L'un à Fréjus, inauguré en 1994, et l'autre à Reims, qui sera de nouveau inauguré par le président de la République le 6 novembre prochain. Deux seulement. Compte tenu du tribut payé par ces hommes, il me semble que cela fait peu. Permettez-moi de le répéter ici. J'invite chacun à réfléchir à cette cause, sur les territoires.

Il y a certainement là matière à réflexion pour préparer la politique de mémoire de demain. L'État ne devra nullement chercher à tout gérer, tout administrer, tout créer, même si les « grands moments » resteront définis par le chef de l'État. Le rôle des collectivités territoriales dans la conduite de la mise en oeuvre de la politique de la mémoire est incontournable, permettez-moi d'insister.

En revanche, nous devrons accompagner, labelliser, soutenir les initiatives foisonnant sur les territoires. C'est en ce sens que la politique de mémoire doit demeurer régalienne. Car si l'État ne doit pas définir une mémoire officielle et unique, il lui incombe de piloter sa transmission. Alors que se poursuit la concertation relative à la mise en place d'un service national universel rénové, il nous faudra nous assurer de la juste place de la mémoire en son sein et suggérer que, dans le parcours de nos jeunes soit prévue la visite de lieux de mémoire, de musées nationaux ou de musées d'arme. Je vous remercie. (Applaudissements.).

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