Intervention de Claude de Ganay

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 8h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude de Ganay, rapporteur pour avis :

En tant que rapporteur pour avis des crédits consacrés aux soutiens et à la logistique interarmées, j'ai cette année décidé de concentrer mes travaux sur deux thématiques : le service des essences des armées (SEA) et l'externalisation du soutien.

De manière préalable, comme nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner les crédits inscrits au PLF 2019, je débuterai par une brève analyse des crédits prévus au bénéfice des soutiens. Ces derniers se répartissent au sein de deux programmes de la mission « Défense » : le programme 178, consacré à la préparation et à l'emploi des forces, et le programme 212, qui regroupe les crédits relatifs au soutien et à la logistique interarmées.

La semaine dernière, une représentante d'une association professionnelle nationale de militaires (APNM) nous indiquait, non sans poésie, que « le soutien est un roseau, les forces sont un chêne ».

Première marche de la LPM, le PLF pour 2019 revalorise les soutiens. Sur le seul champ des dépenses transverses participant à la préparation et à l'emploi des forces retracées dans le programme 178, la hausse des crédits de paiement hors titre 2 est de 11 %, et fait suite à une hausse de 14 % en 2018. Les crédits de paiement hors titre 2 inscrits au programme 212 connaîtront, quant à eux, une augmentation de 3 %, après une hausse de 19 % l'an dernier. Au total, ce sont près de 5,3 milliards d'euros de crédits de paiement hors titre 2, répartis à égalité entre le programme 178 et le programme 212, qui seront attribués au soutien en 2019.

De cet effort, il faut notamment s'attendre à un renforcement du soutien de proximité aux unités sur le terrain permettant de revenir sur les excès passés. De même, l'entrée en vigueur programmée de Source Solde, qui doit permettre d'effacer le douloureux souvenir de Louvois, conduit le Gouvernement à réinvestir dans les systèmes d'information. Les incertitudes techniques qui entourent toujours la mise en oeuvre de Source Solde doivent cependant être éclaircies. Un second Louvois n'est pas envisageable.

Ce satisfecit mérite néanmoins d'être tempéré. Le Gouvernement a suscité, par ses promesses, de fortes attentes chez les personnels civils et militaires du ministère avec le risque de les décevoir s'il ne se soucie pas davantage de la mise en oeuvre pratique de ses engagements.

Or, il est à craindre que l'attente soit longue pour nos militaires. Qu'ils s'agissent de mesures programmées après 2022, du lancement de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) en 2021, de la mise en oeuvre du plan parcours professionnels, carrières et rémunération (PPCR) ou également des retraites – les militaires seront-ils mêmes consultés sur cette réforme ? –, un certain scepticisme semble déjà s'installer.

Dans le champ des soutiens, tous les représentants des syndicats de personnels civils et des APNM ont exprimé leur frustration face à la lenteur de la mise en application du plan Famille, pourtant décidé au plus haut niveau. Il serait d'ailleurs dommage, pour ne pas dire inacceptable, que ce plan ne soit, in fine, qu'une opération de communication sur des crédits déjà ventilés.

La rénovation du parc de logements, mal répartis dans les territoires, notamment dans les zones tendues, et dans un mauvais état notoire, se fait attendre, de même que l'augmentation du nombre de places en crèche. De l'aveu même du secrétaire général pour l'administration, l'investissement programmé sur la durée de la LPM ne fera que stopper la dégradation du parc immobilier. Ce constat nous conduit donc à rester lucides et vigilants sur la LPM, à l'heure où les armées font face à un redoutable défi d'attractivité et de fidélisation.

À présent, je souhaite en venir à la présentation des deux questions thématiques que j'ai souhaité aborder cette année. En premier lieu, j'aborderai le sujet du service des essences des armées.

Le choix de travailler sur le SEA est venu d'un contraste, qui m'a paru immense, entre, d'une part, le caractère relativement méconnu de ce service et, d'autre part, l'importance stratégique qu'il occupe sur le terrain et les risques considérables pris par ses personnels pour approvisionner les forces, au plus près du champ de bataille.

De l'approvisionnement en carburants jusqu'à la livraison finale des produits pétroliers, le SEA est en effet un des garants de l'autonomie des forces armées.

L'ensemble des modes d'action du SEA est tourné vers sa mission première : éviter toute rupture d'approvisionnement. Cette mission passe par la maîtrise des voies d'approvisionnement en opération, et donc par une connaissance fine du tissu pétrolier local. Y concourt également une expertise qui permet d'assurer, tout au long de la chaîne d'approvisionnement, la qualité des produits distribués. Il ne faudrait pas, en effet, qu'un carburant de mauvaise qualité immobilise nos aéronefs au sol ou endommage les moteurs des véhicules terrestres en opération.

Le SEA est un service à l'égard duquel la France peut légitimement éprouver un sentiment de fierté. Je citerai deux exemples pour l'illustrer. En 2013, l'opération Serval n'aurait pas pu être possible sans la réactivité du soutien pétrolier, qui permet cette capacité d'entrée en premier sur un théâtre. En ce moment même, dans un tout autre cadre, le SEA assure une grande partie de l'approvisionnement de l'exercice de l'OTAN « Trident Juncture », qui se déroule en Norvège. C'est dire combien il est respecté par nos alliés, aux yeux desquels il fait figure de modèle.

Aujourd'hui, le SEA fait face à deux défis d'ampleur. Le premier est celui d'une surchauffe opérationnelle du service, qui résulte du haut niveau d'engagement de nos armées. Le second défi se rapporte à l'enjeu de la transition énergétique, porteur à la fois de risques et d'opportunités.

Premièrement, l'état de surchauffe opérationnelle dans lequel se trouve le SEA résulte du décalage entre le degré d'engagement de nos forces et les moyens alloués à ce service.

À l'image de nos forces, le SEA est déployé sur de multiples théâtres d'opération. Des théâtres comme le Sahel se caractérisent par des difficultés considérables pour le SEA en raison de la faiblesse du tissu pétrolier, des élongations importantes – rappelons qu'il s'agit de couvrir une zone grande comme l'Europe –, et de l'âpreté du terrain.

Conséquence, sans doute, de la faible attention portée à ce service, les moyens mis à la disposition du SEA n'ont pas évolué à la mesure du nombre et de l'intensité de nos engagements. Pour cette raison, les moyens humains et matériels dont il dispose pour remplir ses missions sont sous tension.

Entre 2011 et 2018, le SEA a perdu 12,3 % de ses effectifs. La LPM, qui prévoit une hausse de seulement 15 personnels jusqu'en 2022, ne sera pas en mesure d'inverser cette tendance.

En dépit des programmes de rénovation en cours, nombre de véhicules employés par le SEA sur les différents théâtres d'opération ont plus de vingt ans d'âge, souffrent d'un état d'usure avancé, certains n'étant même pas blindés. Signe des temps, le SEA déplore de nombreux troubles post-traumatiques parmi ses personnels de retour d'opération.

J'espère que nous n'attendrons pas une rupture d'approvisionnement grave pour nous rendre compte que nous sommes allés trop loin dans les efforts demandés.

Le deuxième sujet, celui la transition énergétique, se pose aujourd'hui avec acuité.

Soyons clairs : compte tenu du caractère régalien de nos engagements, les considérations opérationnelles doivent évidemment primer, en toutes circonstances, sur les considérations écologiques.

Pour autant, cet impératif ne doit pas faire l'économie d'une réflexion sur la transition énergétique, qui permet d'envisager une réduction de notre dépendance aux carburants, voire une performance énergétique accrue. À cet égard, saluons l'ensemble des initiatives qui, dans le cadre national, européen ou otanien, témoignent d'un travail prospectif mené sur ce sujet.

Sans doute ce travail ne sera-t-il pas complet si le traitement des questions énergétiques par le ministère des Armées continue de faire l'objet d'une approche sectorielle – je rappelle que le SEA ne s'occupe que des carburants. Pour ma part, je serais donc favorable à la mise en place d'une gouvernance et d'une réflexion plus centralisée sur ces questions au sein du ministère des Armées.

J'en viens maintenant à la seconde thématique qu'il m'est apparu important d'évoquer. Il est rare, malgré la liberté du rapporteur budgétaire, que son avis comporte deux parties thématiques.

Cependant, plusieurs facteurs m'ont amené à travailler sur l'externalisation du soutien et de la logistique interarmées. Le premier fut une volonté de réfléchir à un bilan des grandes réformes que le ministère des Armées dut mettre en oeuvre sous l'empire de la révision générale des politiques publiques (RGPP) à partir de 2008.

Le mouvement d'autonomisation des soutiens, corolaire de leur interarmisation, est un changement d'organisation des armées comparable, en termes d'ampleur, à la suspension du service militaire par le président Chirac en 1997. La diffusion des pratiques d'externalisation, qui ont accompagné ces réformes et la réduction du format de nos armées, font partie de ce grand ensemble. Ce grand ensemble ayant un peu plus de dix ans, il s'agissait pour moi de comprendre comment celui-ci avait réagi « à l'épreuve du feu », pour reprendre une formule militaire.

De plus, la manière dont le soutien est externalisé a attiré l'attention du Parlement dans le cadre de son rôle d'évaluation des politiques publiques. Ainsi, pour les plus récents, le rapport d'information des sénateurs Yves Krattinger et Dominique de Legge a appelé le ministère à une grande prudence dans la conception des marchés d'externalisation du soutien. Par ailleurs, le rapport de notre collègue Cornut-Gentille de 2017 a attiré notre attention sur les failles de l'externalisation du transport stratégique. Un tel sujet méritait donc d'être couvert de manière transverse.

Au cours des entretiens que j'ai menés avec les professionnels de la défense, je me suis rendu compte que les soutiens étaient une grande préoccupation des militaires. La question de la fonction habillement, de la gestion des infrastructures ou bien du logement sont en effet des sujets brûlants, qui participent de ce malaise des militaires que l'on évoque depuis bientôt dix ans.

L'externalisation du soutien était donc l'angle tout trouvé pour aborder ces différents sujets.

D'abord, qu'entend-on exactement par « externaliser » ? Une instruction du SGA en donne une définition que je résumerai ainsi : l'externalisation consiste à confier, sur une base contractuelle, une fonction exercée partiellement ou totalement en régie à des opérateurs économiques extérieurs au ministère des Armées.

Initialement conçue comme un moyen de pallier des ruptures capacitaires temporaires, l'externalisation est devenue peu à peu une solution pérenne pour l'organisation du soutien des armées. Elle est devenue un procédé courant pour les infrastructures, pour les soutiens en métropole, et de plus en plus, pour les opérations extérieures.

Par ailleurs, à l'avenir, la tendance semble être au développement de ces pratiques. En effet, le maintien en condition opérationnelle (MCO), la fonction restauration et la fonction habillement, qui cristallisent aujourd'hui de nombreuses critiques des militaires sur la nouvelle organisation des soutiens, pourraient être externalisés.

Cependant, le travail que j'ai effectué a révélé plusieurs failles dans cette architecture.

Premièrement, malgré un cadre théoriquement strict, les pratiques d'externalisation courantes souffrent d'un risque réel d'insécurité juridique. En effet, ces pratiques sont encadrées au niveau ministériel par une instruction de 2018 dont l'application ne semble pas être généralisée par tous les services. Conséquence de ce laxisme réglementaire, j'ai constaté des pratiques qui me semblaient peu conformes aux règles des marchés publics.

Ces faits nous inquiètent en tant qu'ils démontrent les failles du contrôle interne et externe ainsi que la persistance de comportements que des parlementaires avaient su, par le passé, mettre en lumière. Afin de renforcer la cohérence de l'architecture des soutiens des armées, il serait pertinent que les services du ministère renforcent les contrôles internes et externes portant sur les différentes externalisations.

De même, on ne doit pas s'interdire l'interruption ou la fin d'une externalisation pour envisager le retour d'une fonction dans le giron du ministère des Armées.

Le soutien est crucial pour nos forces. Le CEMA a évoqué devant notre commission des projets de réforme pour en assurer une plus grande efficience. Je pense qu'il serait souhaitable, avant d'examiner cette réforme, qu'un bilan de l'activité du service du commissariat des armées (SCA) soit mené par notre commission. Dans cette optique, il me semble opportun qu'une mission d'information soit décidée afin d'étudier l'organisation, les modalités et la régularité des processus de soutien de nos forces. Cette mission pourrait utilement s'intéresser au devenir des bases de défense (BdD), mais aussi aux carences de la fonction habillement et à la problématique du logement des militaires, sans pour autant exclure d'autres sujets.

Cet avis budgétaire n'est qu'une introduction à des travaux que je souhaite rapides et approfondis, dans l'intérêt de nos forces armées.

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