Monsieur le président, mes chers collègues, s'agissant des crédits du programme 146 « Équipement des forces et dissuasion », dont j'ai l'honneur ‒ comme l'an dernier ‒ d'être le rapporteur pour avis, disons le simplement : les nouvelles sont bonnes. Elles sont bonnes, d'abord, pour 2019. Je ne vais pas vous asséner ici la lecture à voix haute ex cathedra des tableaux de chiffres de mon rapport, mais permettez-moi de vous en donner quelques-uns tout de même. Sur le programme 146, les crédits de paiement augmentent de 6,3 % pour atteindre près de 11 milliards d'euros. Les autorisations d'engagement, elles, progressent de plus de 800 millions d'euros, pour atteindre près de 14,5 milliards d'euros.
Concrètement, à quoi vont être employés ces crédits ? Le plan de commandes et de livraisons de 2019 peut, justement, être qualifié d'ambitieux. Parmi les principales livraisons attendues en 2019, je citerai :
‒ pour la marine nationale : une frégate multi-missions (FREMM), 48 missiles Aster 30, deux hélicoptères NH 90 Caïman, deux lots de missiles de croisière navals, qui ont été employés pour la première fois avec l'opération Hamilton au printemps dernier, six torpilles lourdes Artemis, deux Atlantique 2 rénovés, et deux bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers ;
‒ pour l'armée de terre : huit Caïman, 946 radios Contact, 50 postes de tir et 200 munitions du système de missile de moyenne portée, 89 Griffon, 500 véhicules légers tactiques polyvalents, deux systèmes de drones tactiques, et 8 000 fusils d'assaut HK 416F ;
‒ pour l'armée de l'air, enfin : un A400M, deux systèmes de trois drones Reaper, et la livraison d'un deuxième A330 Phénix, après la livraison d'un premier appareil à Istres, la semaine dernière, où plusieurs de nos collègues étaient présents, ainsi que Monsieur le président.
S'agissant des commandes prévues pour 2019, je citerai brièvement : un sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda ; 72 modules du système d'information des armées ; 125 postes de tir de missile de moyenne portée ; 10 Mirage 2000 rénovés ; et 12 000 fusils HK 416F. J'ajoute que les crédits prévus pour 2019, conformément à la loi de programmation militaire, sont constitués à 100 % de crédits budgétaires. C'en est donc fini de l'épée de Damoclès des recettes dites « exceptionnelles », dont l'expérience a montré qu'elles pouvaient être, bien souvent, hypothétiques.
Les nouvelles ne sont pas mauvaises non plus sur le front de la gestion des crédits 2018. L'année en cours, on peut le souligner, n'aura pas été marquée par des mouvements réglementaires comme en 2017 – c'est la fameuse question des « gels » et des « surgels ». Évidemment, je ne peux que m'en féliciter. 357,5 millions d'euros ont été mis en réserve, et aucun autre « gel » ou « surgel » supplémentaire n'affectera les ressources de la DGA. La principale incertitude pesant encore sur la levée de la réserve de précaution est liée au financement des OPEX, vous le savez. La hausse de la provision qui couvre ces « surcoûts OPEX », que nous avons votée avec la loi de programmation militaire, a pour effet de réduire les tensions de fin d'exercice et, de ce fait, les risques pesant sur les crédits du programme 146, qui ont souvent servi, dans le passé, de variable d'ajustement. Si cette réserve de précaution n'était pas levée, ce ne serait pas sans conséquences pour l'exercice 2019, sous une forme ou une autre, soit que le report de charges augmente – il s'agirait alors de services faits non payés –, soit que des commandes se trouvent décalées. On doit donc souhaiter que les mécanismes interministériels de prise en charge des « surcoûts OPEX » jouent pleinement, comme l'a d'ailleurs réaffirmé la LPM. Sous réserve que l'exercice 2019 ne soit pas affecté par un tel « effet de base » – comme on les appelle en général –, le projet de loi de finances pour 2019 est donc placé sous le signe d'une véritable « remontée en puissance » pour nos armées.
Cet effort de réarmement s'inscrit dans la nouvelle programmation militaire, qui lui fixe un double cap : une progression continue jusqu'en 2025, d'une part, et une « Ambition 2030 », d'autre part. Il faut le souligner, le PLF 2019 est strictement conforme à cette nouvelle loi de programmation militaire. C'est, évidemment, une bonne nouvelle. Dans la programmation, les dépenses d'équipement ne sont pas présentées suivant la même nomenclature que dans les lois de finances : la LPM ne planifie pas directement les dotations du programme 146, mais elle le fait pour un agrégat financier plus large, qui inclut notamment le maintien en condition opérationnelle et certaines infrastructures. Il s'agit de l'agrégat « Équipement ». La loi de programmation militaire du 13 juillet 2018 prévoit une croissance continue des crédits de cet agrégat, de 19,5 milliards d'euros en 2019 à 31,5 milliards d'euros en 2025. Ainsi, cette nouvelle loi programmation militaire investit bien davantage que les deux précédentes dans les équipements de nos armées, à hauteur de 24,7 milliards d'euros par an en moyenne, soit sept milliards d'euros par an de plus que la LPM de 2013, même actualisée.
Ces chiffres suffisent à montrer qu'avec cette loi de programmation militaire, l'État se donne pour ambition d'investir davantage dans les armements. Corollaire de cette ambition d'« investir plus », la LPM planifie aussi des mesures précises en vue d'« investir mieux », et celles-ci doivent commencer à produire leurs effets dès 2019. Qu'est-ce qu' « investir mieux » ? Ce n'est certes pas la première fois qu'on entend énoncer cette ambition ; on l'a dit en 2009, et on l'a dit en 2013, par exemple. Et l'on ne peut pas, d'ailleurs, dire que par le passé rien n'a été fait : la DGA n'a pas attendu 2018 pour mettre en oeuvre, par exemple, une approche incrémentale de certains programmes, comme sur le Rafale ou sur le Tigre, le « pacte Défense PME » ou encore des processus de soutien à l'innovation « new look », si l'on peut dire, tel que le « DGA Lab ». Néanmoins, cette loi de programmation militaire va plus loin dans cette ambition d'« investir mieux » et, ce, au moins à deux égards. D'une part, cette fois-ci, si l'on veut « investir mieux », ce n'est pas en guise de compensation face à une contrainte budgétaire excessive. L'heure n'est plus à « investir moins pour investir mieux ». La transformation de la DGA et de ses procédures n'est plus un palliatif, c'est véritablement un choix, motivé par un souci de gestion performante et d'économie des deniers publics. D'autre part, la loi de programmation militaire elle-même fixe des orientations de réformes profondes.
C'est le cas, par exemple, de la réforme du MCO, qui est engagée pour les matériels aéronautiques depuis la création de la direction de la maintenance aéronautique, en cours pour les matériels terrestres avec le plan MCO Terre, et à l'étude pour les matériels navals. Je ne reviens pas sur les détails de cette réforme, dont la commission a déjà amplement discuté, si ce n'est pour souligner que le projet de loi de finances pour 2019 assure son financement. En effet, une refonte ambitieuse des contrats de maintenance, avec des contrats globaux de long terme, permet de trouver des marges de manoeuvre en matière d'autorisations d'engagement. Ce PLF y pourvoit largement : pour l'entretien programmé du matériel, les crédits de paiement augmentent de 8,4 %, tandis que les autorisations d'engagement doublent. La DMAé et la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) pourront ainsi passer les contrats prévus. Peut-être les précédentes LPM n'offraient-elles pas autant de marges de manoeuvre ; il faut s'en féliciter.
Un autre exemple important est la réforme de l'instruction ministérielle connue sous le nom de « 1516 », qui règle de façon précise les procédures d'acquisition d'armement. Je ne reviendrai pas en détail sur les modalités de la réforme, que vous trouverez, mes chers collègues, dans mon rapport et que le délégué général pour l'armement M. Joël Barre a résumé devant nous il y a quelques jours. Je signale simplement que l'on en attend beaucoup. L'association plus étroite des armées, de la DGA et de l'industrie dans la conduite des programmes doit nous permettre de trouver un meilleur équilibre entre le niveau de sophistication technologique, le coût, les délais de fourniture et in fine le volume des équipements. L'assouplissement des règles doit permettre d'intégrer plus rapidement les innovations technologiques, spécialement celles développées dans le champ civil, ce dont d'ailleurs l'excellent rapport de nos collègues Olivier Becht et Thomas Gassilloud a montré toute l'importance dans la « révolution numérique ». La rationalisation des campagnes d'essais des matériels doit elle aussi permettre de gagner du temps et d'éviter des dépenses redondantes.
Enfin, un dernier exemple de réforme conduite en vue d'« investir mieux » est la création d'une Agence de l'innovation de défense. L'exercice 2019 verra la montée en puissance de cette agence qui a une double mission : d'une part, décloisonner les efforts de soutien à l'innovation au sein du ministère et, d'autre part, améliorer les capacités de détection et d'appropriation des technologies développées dans le secteur civil. En parallèle, le « DGA Lab » sera étendu à tout le champ d'activité du ministère, sous la nouvelle appellation de « Innovation Défense Lab ».
En somme, c'est bien en 2019 que seront mises en application les mesures annoncées par la LPM en vue d'« investir mieux » dans nos équipements militaires. Utiliser l'argent public de façon performante est une exigence de bonne gestion, mais c'est aussi particulièrement nécessaire compte tenu des défis des années à venir en matière d'équipements. La LPM a prévu un plan de modernisation et de renforcement de nos capacités. Sa réussite dépend largement de la bonne conduite des programmes d'armement, et repose donc sur le professionnalisme reconnu de la DGA. De plus, dans une LPM qui fait une large place aux coopérations européennes, le succès de cette entreprise repose également sur des équilibres politiques, diplomatiques et industriels, qui mériteront toute notre attention.
Par principe autant que par souci d'économies, la LPM prévoit en effet que nombre de programmes seront conduits en coopération avec certains de nos partenaires européens, notamment l'Allemagne ‒ pour le système de combat aérien futur (SCAF) ou le Main Ground Combat System (MGCS) ‒ et le Royaume-Uni ‒ pour le système de lutte anti-mines futur (SLAMF). Le succès de ces coopérations implique un contexte politique favorable. Je voudrais citer à cet égard le SCAF. Un accord politique a été trouvé au plus haut niveau le 13 juillet 2017, formalisé par des lettres d'intention au printemps 2018. Il est ainsi convenu que la France aura un rôle prééminent dans la conduite du programme SCAF. Symétriquement, il est entendu que l'Allemagne en aura un dans la conduite du projet de char du futur. Et pourtant, industriels français et allemands ne disposent toujours pas d'un cadre réglementaire, ne serait-ce que pour échanger des informations. Il ressort de mes travaux que la DGA attend des réponses de son équivalent allemand. Ce cadre est d'autant plus nécessaire que la coopération franco-allemande présente en ce moment quelques signes de flottement. En témoigne par exemple le fait que les Allemands déclinent notre proposition de développer en commun un missile européen pour le nouveau standard du Tigre, au profit d'un missile israélien, le Spike. Par ailleurs, l'approfondissement, sans grande publicité et, pour ainsi dire, à bas bruit, du concept de nation-cadre de l'OTAN, consiste à fédérer autour de l'Allemagne les capacités de 17 « petits » pays, ce qui risque de réduire l'intérêt des Allemands pour nos coopérations bilatérales.
Il est donc urgent de poser des jalons aussi irréversibles que possible dans la coopération franco-allemande, tant que le contexte politique le permet. La France y a d'autant plus intérêt que son partenariat d'équilibre avec le Royaume-Uni ne peut qu'être affecté par le Brexit. Certes, la coopération de défense franco-britannique découle bien davantage de l'accord bilatéral de Lancaster House que de la politique de défense et de sécurité commune (PSDC) en tant que telle. Mais, le Brexit intervient précisément au moment où l'Union européenne développe enfin des instruments de soutien financier au développement capacitaire. Il faut noter que si les Britanniques en sont totalement exclus, la France et ses industriels auraient aussi à y perdre. En somme, assurer la poursuite des projets franco-allemands et « arrimer » le Royaume-Uni à l'Europe représentent deux défis essentiels pour 2019, qu'il convient de résoudre tant que le contexte politique y est favorable.
Je conclus, mes chers collègues, en recommandant l'adoption des crédits du programme 146.