Mes chers collègues, nous assistons, nous le savons, à une recrudescence des tensions sur la scène internationale. Je voudrais évoquer un point, qui ne va pas passer inaperçu, pour illustrer mon propos. Ce jeudi 25 octobre, l'OTAN lancera les prémices des plus grandes manoeuvres militaires jamais engagées depuis la fin de la Guerre Froide. Cet exercice, baptisé Trident Juncture 18 – je ne le dirai pas, volontairement, avec un accent anglais –, mobilisera près de 50 000 soldats en Norvège. L'amiral américain James Foggo, commandant en chef de l'exercice, assure que cette opération ne vise aucun pays en particulier. C'est pourtant la sécurité internationale elle-même qui est mise en péril. Cet exercice apparaît, selon nous, comme le franchissement d'une nouvelle étape dans la construction d'une Europe de la défense que je qualifierai d'« atlantiste ». La France participe à la course à la guerre en consacrant une partie de son budget à l'OTAN, contribuant par son financement à ces velléités guerrières.
Outre cet aspect budgétaire, c'est l'absence de véritable doctrine qui rend illisibles et incohérentes, selon nous, toutes les actions et mesures annoncées comme, soi-disant, de « rupture ». Ce budget s'inscrit, en fait, dans la continuité de ses prédécesseurs. C'est une forme d'alignement sur la politique extérieure des États-Unis. L'objectif des 2 % du PIB consacrés au budget de la défense d'ici 2024 en est la meilleure preuve : il est sous l'impulsion de la demande des États-Unis d'Amérique.
Les sommes colossales engagées justifieraient, pourtant, la définition d'une stratégie et d'une vision claire pour notre politique de défense. Nous considérons que ce n'est pas le cas. En lieu et place de sauvegarder son indépendance militaire, la France poursuit une infinie course des armements derrière les États-Unis. Nous assistons à une escalade militaire, une escalade dans la guerre spatiale, une escalade dans le théâtre des opérations extérieures. Mais quelles sont les finalités de telles opérations ? Quel est le sous-bassement stratégique de ces multiples escalades ? Ce budget s'apparente à l'action, certes d'un tacticien, mais non pas d'un stratège. Je le répète une nouvelle fois, Bastien Lachaud l'a déjà dit, c'est l'absence d'une vision générale qui ne nous permet pas de construire une ligne politique propre et indépendante.
Alors que les moyens alloués à cet « atlantisme » – vous me pardonnerez l'expression – effréné ne manquent pas, la défense de notre souveraineté se retrouve marginalisée. Ces moyens pourraient notamment servir à réaffirmer notre souveraineté maritime, aujourd'hui menacée en raison d'un manque de patrouilleurs destinés à assurer notre défense en mer. Les six nouveaux patrouilleurs commandés par la marine en 2019 ne suffiront pas à remplir cette mission. L'amiral Prazuck, chef d'état-major de la marine, l'a déploré en 2017 : nous n'avons plus que quatre patrouilleurs, au lieu huit, disait-il, pour assurer la sécurité du deuxième espace maritime mondial.
Ces moyens pourraient servir aussi pour nos militaires engagés en opération extérieure. J'ai pu en rencontrer, avec certains collègues, au Mali et au Niger, sur la base de Niamey. Leurs conditions de vie pourraient être améliorées. Le manque de moyens matériels adéquats et récents accentue les difficultés inhérentes à toute opération extérieure. Nous pourrions par exemple – pardon si c'est un détail, mais je le répète parce que des soldats me l'ont demandé – au moins permettre qu'ils aient une connexion Wi-Fi qui ne soit plus limitée à 2Go. Cette limitation complique bien souvent les relations qu'ils ont avec leurs familles.
L'armée de l'air, elle aussi, gagnerait à disposer de moyens pour accomplir ses missions. Les taux de disponibilité des aéronefs militaires sont alarmants : un avion sur deux est cloué au sol, deux hélicoptères sur trois sont en maintenance, et j'en passe.
Enfin, nos anciens combattants ne sont pas épargnés par ces difficultés. Leurs avancées sociales sont progressivement remises en cause, sacrifiées au profit, souvent, de considérations économiques. Le plafond de l'allocation différentielle du conjoint survivant n'est toujours pas porté au niveau du seul seuil de pauvreté.
Outre les aspects financiers, l'engagement pour la transmission de la mémoire et de l'histoire ne doit pas être négligé. Notamment, la reconnaissance des harkis doit, selon nous, passer par un important travail de mémoire entre historiens algériens et français, pour que toute leur dignité soit rendue à ces supplétifs de notre armée. De la même façon, pourquoi ne pas mieux retracer l'histoire des fusillés pour l'exemple, qui étaient condamnés par des conseils de guerre expéditifs, afin que cette mémoire soit mieux partagée ? Pourquoi ne pas revenir sur la mobilisation des femmes durant tout ce conflit ? Bref, il y a là tout un travail mémoriel qui pourrait être engagé.
Je termine sur ce que nous montrent de récents travaux d'historiens. De nombreux étrangers se sont engagés dans l'armée française, notamment entre 1914 et 1918. Ont participé à cet effort national – si je puis dire ainsi – près de dix nationalités. Ces faits étaient assez peu connus. Un travail de mémoire pourrait être effectué, pour qu'il n'y ait pas seulement une commémoration d'ordre militaire, mais bien une claire restitution de ces évènements permettant une meilleure compréhension de la Nation, des sacrifices qui ont été faits et de la place des uns et des autres.