Intervention de Olivier Serva

Réunion du mercredi 24 octobre 2018 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Serva, rapporteur spécial :

Pour les outre-mer, le projet de loi de finances (PLF) pour 2019 est un moment-clef. Pour le comprendre, il est nécessaire de lier l'analyse des crédits de la mission avec les dispositions fiscales du projet de loi de finances.

L'ensemble de ces mesures constitue une étape fondamentale dans la mise en oeuvre des recommandations du Livre bleu issu des Assises des outre-mer. Le Gouvernement a montré sa volonté de rendre le soutien à nos territoires plus efficient, à effort financier constant. Il s'y efforce et je ne doute aucunement de sa volonté. Même si je déplore la stagnation des crédits de la mission, je suis conscient qu'obtenir la stabilité des crédits est une chose difficile dans un contexte général de maîtrise de la dépense publique.

La première partie de mon intervention porte sur les crédits de la mission Outre-mer. Au total, ils représentent 2,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 2,5 milliards d'euros en crédits de paiement (CP).

Les crédits de la mission sont apparemment en hausse de 473 millions d'euros en AE et de 424 millions d'euros en CP, mais cette hausse s'explique par des mesures de périmètre : la mission profite de la budgétisation de 296 millions d'euros au programme 138 Emploi outre-mer, en lien avec la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en baisse de cotisations pour les entreprises ultramarines.

Cette seule mesure ne suffit pas à expliquer l'augmentation apparente des crédits. Une autre partie est liée au recyclage d'économies permises par la réforme de l'avantage fiscal sur l'impôt sur le revenu et par la suppression de la TVA non perçue récupérable. Sans ces mesures de périmètre et de recyclage, les crédits de la mission seraient stables, comme l'avait d'ailleurs indiqué le secrétaire d'État Olivier Dussopt lors de son audition par la délégation aux outre-mer. Il n'y a d'ailleurs pas de surprise par rapport à ce qui a été voté en loi de programmation des finances publiques 2018-2022. Ce constat confirme les inquiétudes que j'avais exprimées sur le décalage entre l'impératif de convergence des niveaux de vie, désormais mentionné par la loi « Égalité réelle », et la stabilité des moyens de la mission Outre-mer.

Dans le détail, le dispositif d'exonérations de cotisations de sécurité sociale, pris en charge par le programme 138 Emploi outre-mer, est modifié par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2019 pour prendre en compte la suppression du CICE outre-mer, dont le taux était majoré par rapport à l'Hexagone. Des difficultés apparaissent aujourd'hui dans la configuration du nouveau régime d'exonération. La ministre des outre-mer elle-même a affirmé qu'il y avait matière à faire évoluer le dispositif. Je redoute les pertes que pourraient subir certaines entreprises et j'estime que la discussion avec le monde économique doit se poursuivre sur ce sujet. Pourquoi ne pas maintenir un CICE outre-mer, le temps de stabiliser le nouveau régime d'exonérations ?

Dans le même programme 138 Emploi outre-mer, une nouvelle action dédiée au financement des entreprises ultramarines est créée, partiellement financée par les économies issues de la suppression de la TVA non perçue récupérable. D'un montant de 56 millions d'euros, l'action financera un fonds de garantie doté de 10 millions d'euros pour soutenir le dispositif « Avance + » de Bpifrance, qui répondra en partie au problème des délais de paiement des collectivités territoriales. De même, une dotation de 10 millions d'euros permettra d'élargir le bénéfice du prêt de développement outre-mer de Bpifrance aux entreprises de moins de trois ans. Il permettra également de préfinancer les crédits d'impôt.

Le second programme de la mission, le programme 123 Conditions de vie outre-mer, affiche lui aussi des crédits en augmentation grâce à des mesures de budgétisation. La politique contractuelle de l'État est renforcée à hauteur de 23 millions d'euros en AE et 15 millions d'euros en CP. Le fonds exceptionnel d'investissement, qui finance des investissements publics structurants dans l'ensemble des territoires d'outre-mer, sera également renforcé. Son niveau augmente de 70 millions d'euros en AE et de 30 millions d'euros en CP. Je note l'écart important entre les AE et les CP de cette dotation supplémentaire au fonds exceptionnel d'investissement, financée par la diminution de l'avantage sur l'impôt sur le revenu.

La seconde partie de mon intervention porte sur les dispositions fiscales permettant de financer l'augmentation des crédits. En effet, ces mesures de périmètre et de budgétisation sont permises par une refonte de dispositifs fiscaux qui suscite des interrogations, voire de franches oppositions.

Le Gouvernement propose ainsi de supprimer le dispositif de TVA non perçue récupérable. Cette mesure m'inquiète. Je note avec satisfaction que les entrepreneurs qui ont avancé un acompte d'investissement pourront mobiliser la TVA non perçue récupérable pour cet investissement. Toutefois, j'appelle de mes voeux une réforme moins brutale, plus progressive. Les acteurs économiques ont en effet besoin de stabilité, dans les DOM plus qu'ailleurs. Aussi, une nouvelle concertation avec les acteurs économiques serait peut-être utile.

Je réaffirme ici mon opposition à la réforme de l'avantage fiscal d'impôt sur le revenu adopté en première lecture du projet de loi de finances. Cette mesure ne passe pas dans les départements et régions d'outre-mer. C'est la raison pour laquelle je souhaite que l'avantage fiscal soit maintenu.

Je propose que l'on finance ce maintien par la suppression des indemnités d'éloignement perçues par les fonctionnaires métropolitains mutés dans les collectivités d'outre-mer. Créée dans les années 1960 pour prendre en compte la durée du voyage jusqu'aux territoires de destination, cette prime n'a plus de justification. Cette mesure n'affectera pas les fonctionnaires territoriaux. Je remarque d'ailleurs que cette prime d'éloignement n'est pas perçue par les fonctionnaires ultramarins mutés dans l'Hexagone. La Cour des comptes chiffre le coût de ce dispositif à 140 millions d'euros.

Enfin, s'agissant de la réforme des dispositifs zonés, la disparition des zones franches urbaines pénalisera les territoires qui ont besoin de ce soutien à l'activité. Je regrette que le Gouvernement ne sache pas chiffrer la perte pour les entrepreneurs liée à la suppression des zones franches urbaines et des zones de revitalisation territoriale.

Je conclurai mon propos en appelant la vigilance et à davantage d'ambition.

Je soutiens l'action du Gouvernement pour des dispositifs d'aide à l'investissement aussi intenses que les dispositifs existants, mais mieux ciblés. J'espère toutefois que la transformation de certains avantages fiscaux en subventions budgétaires ne conduira pas à un tarissement des financements à destination des outre-mer.

Je rappelle enfin que la convergence vers l'égalité réelle doit aller de pair avec une politique ambitieuse. Cette dernière ne peut passer que par des moyens budgétaires supplémentaires sur la mission Outre-mer, mais également sur l'ensemble des missions concourant au développement de ces territoires. Je répète que je regrette que la programmation budgétaire pluriannuelle prévoie une stagnation des crédits, alors que le principe législatif de convergence requiert des moyens importants.

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