Intervention de Mathilde Panot

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot, rapporteure pour avis :

Mon avis porte sur les moyens du ministère pour opérer la transition écologique. Le bilan est inquiétant… Nous avons mené huit auditions, au moment où le ministre de la transition écologique et solidaire venait de changer, et ses équipes avec lui. Nous avons auditionné l'Agence française pour la biodiversité (AFB), l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), la secrétaire générale du ministère de la transition écologique et solidaire et ses équipes, les syndicats et le Syndicat des énergies renouvelables.

Certes, je ne suis pas le ministre, et j'ai bien compris que celui-ci n'a pas apprécié ma conclusion lors de son audition, mais je persiste : ce budget vise à détruire les capacités de l'État à mener la transition écologique. Pourquoi ai-je abouti à cette conclusion ?

J'aurais pu intituler mon rapport : « La transition écologique avec un État faible : une équation impossible ». Le projet de loi de finances pour 2019 supprime 1 078 emplois. C'est une tendance de long terme : l'an passé, 324 équivalents temps plein (ETP) avaient déjà été supprimés au ministère et chez les opérateurs. Ces derniers s'inquiètent – je pense en particulier à l'Agence française pour la biodiversité (AFB) – de l'équilibrisme dont ils doivent faire preuve, entre l'élargissement de leurs missions et la réduction de leurs effectifs. Ils sont tous touchés, hormis l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui gagne 30 ETP en 2017, 2 en 2018 et 2 en 2019.

Depuis 2013, 13 250 emplois ont été supprimés au sein du ministère et parmi ses opérateurs. Cette suppression massive d'emplois s'explique de plusieurs façons. La première est liée au non-remplacement des fonctionnaires, dont le taux est élevé depuis la présidence de M. Nicolas Sarkozy. Pour 2019, ce taux sera fixé à 55 %. C'est en contradiction flagrante avec l'urgence écologique !

En outre, du fait du gel du point d'indice depuis quinze ans, les opérateurs ont beaucoup de mal à attirer les talents et les compétences : ainsi, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) nous a indiqué que 20 % des candidats qu'il avait retenus se sont désistés pour des raisons salariales. Entre 2016 et 2018, 10 % des recrutements de l'ADEME ont avorté en raison de la rémunération. Le problème se pose principalement dans les secteurs en tension : informatique, numérique big data, économie prospective, etc.

Nous estimons que l'État ampute sa capacité à planifier la transition écologique. Le ministère nous a d'ailleurs répondu que cent quarante-six ingénieurs de haut niveau – équivalent Polytechnique – étaient partis en 2017, dont vingt-trois pour le privé. Je vous laisse imaginer la fuite des cerveaux au ministère si la tendance se poursuit… Plus grave, un quart des ingénieurs des mines, choisis parmi les élèves les mieux classés de l'École polytechnique, ont quitté le secteur public.

Le constat est extrêmement alarmant, d'autant plus que des événements climatiques extrêmes nous frappent et vont encore nous frapper. Le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) le souligne, tout comme l'illustrent les événements climatiques des derniers mois en France…

Aucun des emplois supprimés ne peut être considéré comme secondaire : la prévention des risques perd 18 emplois, alors que les inondations dans l'Aude ont mis en lumière le rôle de Météo-France dans le dispositif d'alerte. Depuis 2013, 380 postes ont été supprimés à Météo France, 90 vont encore l'être chaque année jusqu'en 2022. Cela pose évidemment des problèmes importants en termes de capacités de prévision, capacités pourtant décisives à l'heure du changement climatique…

Vous vous rappelez sans doute le drame humain lié à l'effondrement du viaduc de Gênes. Suite à cette catastrophe, un rapport a été remis au Gouvernement français. Il souligne que 7 % des 12 000 ponts que compte notre réseau sont dans un état « catastrophique ». Que se passera-t-il si le ministère n'a plus l'expertise pour entretenir le réseau routier ? Le ministre nous a répondu que l'on construisait moins de routes. Certes, mais qu'en est-il de l'entretien des ouvrages d'art et de ces routes ? Je vous rappelle qu'un rapport de 1995 indiquait qu'un accident de la route sur deux était lié à l'état des routes.

Il est extrêmement important de conserver cette expertise au sein du ministère. Lorsqu'elle n'existe plus, les pouvoirs publics doivent faire appel au privé. Dans le cas du viaduc de Gênes, la portion de route et le viaduc avaient été concédés à un acteur privé, Atlantia, qui a notamment racheté la Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France (SANEF), troisième concessionnaire autoroutier en France, ainsi que trois aéroports. Atlantia était également candidat au rachat d'Aéroports de Paris. Cette entreprise a réalisé 1,17 milliard d'euros de bénéfices en 2017, dont 1 milliard reversé aux actionnaires ! Lorsque les acteurs privés s'emparent de fonctions essentielles, on ne peut pas compter sur leur sens de l'intérêt général…

De la même façon, le CEREMA qui dispose de fonctions indispensables d'expertise au sein du ministère, perd lui aussi beaucoup d'ETP année après année. Quand la moyenne est à 2 %, le CEREMA est à 3,25 %. Ses capacités d'expertise au service de l'État et des collectivités sont mises en danger, avec une perte de 300 équivalents temps plein et de 15 millions d'euros de budget annuel. Ces économies sont de court terme. Le recours au secteur privé entraînera des frais supplémentaires, sans parler de la souffrance des agents, qui ne se sentent pas reconnus dans leur travail.

Mais surtout, la transition écologique passe nécessairement par des agents de terrain. Or la contraction des effectifs conduit inéluctablement à la diminution de la présence des agents sur le terrain – certaines agences n'ont plus qu'un, voire deux agents par département.

Le budget qui nous est présenté ne reflète donc pas les priorités annoncées. Tous les opérateurs nous l'ont dit : il est de plus en plus difficile d'effectuer les missions qui leur sont confiées ; ils sont obligés de prioriser, voire d'abandonner certaines d'entre elles du fait de cette contraction budgétaire. Même lorsque leur budget augmente, sans moyens humains, ils ne peuvent mettre en oeuvre les priorités gouvernementales. L'Agence française pour la biodiversité en est un bon exemple : elle doit faire face à l'accroissement sensible de ses missions, mais cela conduit à réduire considérablement son soutien à la recherche publique. Dans le même temps, elle est débudgétisée, or il est illégitime que cette agence soit financée par les agences de l'eau. Pourquoi la facture d'eau de l'usager devrait-elle financer les parcs naturels ?

Ce budget n'est pas à la hauteur des enjeux, alors qu'il serait possible de trouver de l'argent : pourquoi la fiscalité écologique ne revient-elle pas à la transition écologique ? C'est un problème, nous l'avons évoqué hier. La taxation de l'économie numérique pourrait aussi être envisagée – ses bénéfices sont souvent comptabilisés hors de France.

En conclusion, je suis défavorable à l'adoption de ces crédits.

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